Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

1919, le Bureau des longitudes demande une meilleure rétribution du personnel féminin

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Colette Le Lay

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 03/12/2024

La Connaissance des temps pour l'an 1919

La Connaissance des temps pour l'an 1919 (Source : gallica.bnf.fr / Observatoire de Paris).

Ce focus est centré sur une lettre envoyée, en avril 1919, par le président du Bureau des longitudes Henri Andoyer (1862-1929) au ministre de l’Instruction publique pour obtenir une meilleure rétribution du personnel féminin, à la suite de la Première Guerre mondiale. Nous débuterons par le contexte, puis examinerons le texte de la lettre, et terminerons sur les suites que le ministère y donne.

En 1916-1917, quatre calculateurs de 3e classe sont partis au front [1]. Mais la Connaissance des temps doit paraître comme en temps de paix. Aussi Benjamin Baillaud (1848-1934), directeur de l’Observatoire de Paris et membre du Bureau, obtient-il le détachement de quatre calculateurs de son institution, deux hommes et deux femmes.

La guerre terminée, le Bureau souhaite une reconnaissance financière de l’aide apportée par les deux femmes calculatrices. Le président du Bureau Henri Andoyer, qui supervise aussi la Connaissance des temps, écrit en ce sens au ministre de l’Instruction publique. Il y joint des requêtes analogues pour une calculatrice présente au Bureau depuis le XIXe siècle et pour la gardienne.

Voici le passage de la lettre contenant la demande :

Mme Vve Schmid, attachée au bureau des calculs depuis le 6 janvier 1884, reçoit les émoluments annuels de 3400 F. Peut-être estimerez-vous qu’elle pourrait être assimilée à un calculateur de 2e classe, aux appointements de 4100 F par an.

Mme Lemaire et Melle de Bauller, employées à l’Observatoire de Paris, détachées au Bureau des Longitudes depuis le début de la guerre, reçoivent sur les fonds de notre Etablissement, la première 2040 F, la deuxième 1800 francs par an. Ne vous paraitrait-il pas équitable de les assimiler, quant au traitement, à un calculateur de 3e classe aux appointements de début de 2500 frs.

Enfin Mme Flament, gardienne de bureau intérimaire, qui n’a qu’un salaire de 1300 francs, pourrait, semble-t-il, être portée à 1800 francs, chiffre de début.

Le Bureau des Longitudes, qui n’a qu’à se louer des services rendus par ces quatre dames, m’a chargé d’insister particulièrement auprès de vous pour que vous vouliez bien examiner leur situation avec le plus bienveillant intérêt et attribuer à chacune d’elles des émoluments plus en rapport avec leurs années de services et les exigences actuelles de la vie matérielle. [2]

Présentons les quatre dames dont il est question.

Registres de copies de lettres, actuellement déposés aux Archives de l’Académie des sciences

Les registres de copies de lettres, actuellement déposés aux Archives de l’Académie des sciences (cliché de Guy Boistel).

Zoé Louise Schmid (1853-1933) est entrée au service des calculs du Bureau en 1884, à la suite de son époux, à titre de calculatrice temporaire. Devenue veuve en 1906, elle n’a pu bénéficier d’une pension car son mari était également auxiliaire. En 1909, le Bureau avait tenté de la faire intégrer à la 2e classe mais le ministère avait refusé au motif qu’elle était déjà trop âgée ! Les archives du Bureau la décrivent donc comme « calculatrice temporaire avec avancement ». Son fils Maurice est l’un des calculateurs partis au front, dont il reviendra blessé.

Louise Lemaire (1876-1937) est entrée à l’Observatoire en 1896 pour mesurer les plaques photographiques de la Carte du Ciel. Marie-Louise de Bauller (1875-1950) a été embauchée en 1909 pour le même motif. Auparavant, elle travaillait au Bureau international des Poids et Mesures. Elle était titulaire d’un brevet supérieur, le plus haut diplôme préparé dans les lycées de jeunes-filles avant 1924 (nous célébrons en 2024 le centenaire de la préparation au baccalauréat dans les lycées de jeunes-filles). Elles sont toutes deux calculatrices temporaires.

Madame Flament est devenue gardienne de bureau temporaire en remplacement du précédent, hospitalisé.  En plus de sa charge, le Bureau lui demande de copier des procès-verbaux.

Jusque-là, le Bureau avait utilisé ses fonds propres pour rétribuer plus justement Mme Flament. Ainsi pouvons-nous lire dans le procès-verbal du 12 décembre 1917 :

III.- M. le Président donne lecture d’une note en date du 12 Décembre courant de M. le Secrétaire-Bibliothécaire. D’après cette note les suppléments temporaires de traitement récemment attribués à Mmes LEMAIRE [barré : NE], de BOULLER [Bauller] et SAINT-PAUL sont prélevés sur un chapitre spécial, différent du chapitre 60 qui concerne le personnel du Bureau des Longitudes. Dans ces conditions, [barré : il reste sur] ce dernier chapitre <dispose d’> un reliquat qui permettrait de donner une augmentation de traitement de 300 francs en faveur de M. SCHMID, calculateur.

M. ANDOYER [barré : approuve] <appuie> cette proposition qui est approuvée par le Bureau.

IV.- Sur la proposition de M. le Secrétaire-Bibliothécaire le Bureau approuve l’allocation d’une somme de 100 francs pour [barré: des] heures supplémentaires à Madame [barré : FLORMOND] <Flament>, employée temporaire. [3]

Mais il semble légitime au Bureau de demander au ministère de s’acquitter de ses devoirs envers ses personnels.

La lettre reçoit une réponse positive, bien qu’avec quelques restrictions. Ainsi Mme Lemaire et Melle de Bauller deviennent calculatrices de 3e classe à compter du 1er janvier 1919. Le ministre précise qu’elles pourront bénéficier de l’avancement mais n’auront pas de droit à pension. Mme Lemaire prendra sa retraite en 1937 et Melle de Bauller en 1938, avec une pension, la loi ayant été modifiée.

Deux mois plus tard, une indemnité mensuelle de 150 frs est octroyée à Mme Flament. Elle demandera à quitter le Bureau en 1920.

Et Mme Schmid reçoit une indemnité annuelle de 4100 frs, ce qui correspond au salaire d’un calculateur de 2e classe. Toutefois, ce titre ne lui est pas reconnu, pas plus que le droit à pension. Elle quittera le Bureau en 1933, l’année de sa mort, à l’âge de 80 ans.

S’il n’a pas été question ici des calculateurs masculins prêtés par l’Observatoire, c’est parce que leur situation n’a posé aucun problème : ils ont pu poursuivre naturellement leur carrière après l’épisode de la guerre.

Jusqu’en 1920, les femmes ne sont pas autorisées à se syndiquer sans l’aval de leur mari. Et, bien sûr, elles ne bénéficieront pas du droit de vote avant 1944. Elles n’ont donc aucune possibilité légale de revendiquer de meilleures conditions. Comme nous l’avons montré par ailleurs avec Martina Schiavon, elles peuvent compter sur le Bureau pour porter leur voix auprès de la tutelle. [4]



[1] Pour des informations circonstanciées sur les calculateurs et les calculatrices, consulter les compléments prosopographiques de Guy Boistel à son ouvrage sur la Connaissance des temps : http://bdl.ahp-numerique.fr/files/original/c6cf9a8cc4c2bd965efbad6bcf0c870b.pdf. Les éléments biographiques de ce focus en sont extraits.

[2] Cette lettre se trouve dans les archives redécouvertes dans une cave de l’Institut, dont Guy Boistel établit un inventaire.

[3] “Bureau des Longitudes - Procès-verbal de la séance du 12 décembre 1917”, 1917-12-12Les procès-verbaux du Bureau des longitudes, consulté le 8 septembre 2024, http://purl.oclc.org/net/bdl/items/show/6469.

[4] Voir notre contribution « Traces des femmes dans les procès-verbaux », au volume final Le Bureau des longitudes en société.