Avec Martina Schiavon, nous cherchons les traces des femmes dans les procès-verbaux du Bureau des longitudes[1]. Les deux noms les plus fréquemment cités sont ceux d’Edmée Chandon (1885-1944) pour 19 occurrences et de Dorothea Klumpke (1861-1942) pour 5 occurrences. Dorothea Klumpke dirigea le bureau des mesures de la Carte du Ciel et Edmée Chandon fut la première femme à entrer dans le corps des astronomes à l’Observatoire de Paris. Grâce aux travaux récents[2], elles sont sorties de l’ombre. Tel n’est pas le cas de Rose Bonnet (1894-1973) à laquelle ce focus est consacré.
Figure 1 - Fragment d’une Carte photographique du ciel, Observatoire de Paris (© Colette Le Lay, licence CC-BY).
Rose Bonnet, titulaire d’une licence de mathématiques, est entrée à l’Observatoire à titre de stagiaire en 1919. Pour accéder aux trois grades du corps des astronomes (aide astronome, astronome adjoint, astronome titulaire), il faut attendre qu’un poste soit vacant car leur nombre est contingenté. C’est en 1925 que Rose Bonnet devient aide astronome et ce n’est qu’en 1945 qu’elle est nommée astronome adjointe sur le poste occupé précédemment par Edmée Chandon décédée en 1944. Pas plus qu’Edmée Chandon, Rose Bonnet ne parviendra à atteindre le dernier grade. Comme elle, classée première par la direction de l’Observatoire, elle est rétrogradée au profit d’un collègue masculin par l’Académie des sciences qui procède aux nominations.
Pendant ses premières années à l’Observatoire, Rose Bonnet est essentiellement affectée à la prise de clichés de la Carte du Ciel et à leur traitement, comme l’atteste la carte ci-contre (Figure 1).
Figure 2 - Autoportrait de Raymonde Chevallier-Dubois, carnet d’astronome 1929, bibliothèque de l’Observatoire de Paris (© Colette Le Lay, licence CC-BY-NC-SA).
Sur la période de numérisation des procès-verbaux (1795-1932), Rose Bonnet est citée à deux reprises, aux côtés d’Edmée Chandon, à propos de la première Opération mondiale des longitudes, celle de 1926. Lors de la séance du 16 juin 1926, une liste des personnes engagées dans l’entreprise est établie : « Dans ces conditions, les équipes françaises seraient ainsi constituées : À Paris, pour le cercle méridien, MM. Simonin, Maneng, Brisse, le capitaine de Volontat (du S. G.) ; pour l’astrolabe, Mme Chandon, Mlle Bonnet, M. Gougenheim (si celui-ci ne se rend pas à Alger) » le procès-verbal évoque ensuite les astronomes déployés dans les stations d’Alger, Shanghai et San Diego.
Lorsque débute l’Opération, Martial Simonin (1863- ?) est astronome titulaire ; Louis Maneng (1874-1951) et René Brisse (1894-1965) sont aides astronomes comme Rose Bonnet. Robert Rosario Joseph de Volontat de Merville (1890-1956) appartient au Service géographique de l’Armée et André Gougenheim (1902-1975) est ingénieur hydrographe. Finalement comme le laissait entendre le procès-verbal, ce dernier se rend à Alger.
L’astrolabe dont il est question est l’astrolabe à prisme, instrument de mesure de hauteur d’étoiles, mis au point par Auguste Claude (1858-1938) et Ludovic Driencourt (1858-1940), et documenté dans une publication de 1910[3]. Edmée Chandon et Rose Bonnet en sont devenues des spécialistes à l’Observatoire, comme le mentionne le directeur Benjamin Baillaud (1848-1934) dans le procès-verbal du 3 novembre 1926 : « M. Baillaud donne des renseignements détaillés sur les Observations à l’astrolabe relatives aux opérations de la Longitude qui s’effectuent à l’Observatoire. Mesdemoiselles Chandon et Bonnet qui sont chargées de ce travail ont déjà l’une treize, l’autre quatorze soirées qui constituent environ 22 journées d’observation. »
Le Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris de 1927 rappelle, au sujet de la détermination mondiale des longitudes, que « l’Observatoire de Paris a été le centre, le cerveau qui a préparé et dirigé l’opération entière ». Les participants répartis sur le globe y revinrent en particulier pour déterminer leur équation personnelle, sous la conduite d’Edmée Chandon et de Rose Bonnet.
Rose Bonnet ne participe pas à l’édition suivante de l’Opération mondiale des longitudes en 1933. Auprès d’Edmée Chandon, elle est remplacée par Raymonde Chevallier-Dubois (1902-1973), entrée comme stagiaire en 1924 et nommée aide astronome en 1932.
À partir des années 1930, Rose Bonnet se consacre à l’étude des étoiles binaires pour laquelle elle reçoit deux récompenses de l’Académie des sciences : le prix Villemot en 1938 et le prix Valz en 1943. Elle est la deuxième femme à recevoir ce prix d’astronomie, après Jeanne Clavier (1889-1940) en 1940. Elle soutient sa thèse intitulée « Spectres, périodes et excentricités des binaires » en 1945.
Figure 4 - Rose Bonnet à l’oculaire de l’équatorial de la tour de l’Ouest, L’Image, n° 26, 1932 (© G.L. Manuel Frères).
Frédéric Soulu a découvert récemment sur Gallica un très joli récit de visite à l’Observatoire par Fernand Lot (1902-1986), publié en 1932 dans le numéro 26 du magazine L’Image, dirigé par Roland Dorgelès (1885-1973)[4]. Le journaliste est reçu par Rose Bonnet et sa chienne Finette qui l’assiste activement dans ses travaux, lui signalant par ses jappements les oublis de procédure. Rose Bonnet est à l’oculaire de l’équatorial de la tour de l’Ouest comme le montre le magnifique cliché qui illustre l’article. Pour son interlocuteur, elle dévoile les aspects physiques (ouverture des trappes de la coupole, montée et descente aux échelles) et techniques (détermination des coordonnées des astres à observer, choix des oculaires) de sa tâche. Après la traditionnelle observation de la Lune elle termine en lui montrant Saturne, non sans avoir consacré quelques minutes à l’une de ses étoiles doubles, Delta de la constellation du Serpent.
Les clichés et témoignages sur les femmes astronomes de l’entre-deux-guerres restent rares. Seule la recherche collective permet d’étoffer les collections et d’ajouter à la connaissance du rôle-clef qu’elles jouèrent tant dans les tâches de service que dans les entreprises internationales comme les Opérations mondiales des longitudes.
[1] Nos premiers résultats ont été publiés dans l’ouvrage Le Bureau des longitudes en société de la Collection du Bureau des longitudes, Actes du colloque final de l’ANR.
[2] Voir, par exemple : http://images.math.cnrs.fr/Les-carrieres-feminines-a-l-Observatoire-de-Paris-1908-1940-de-l-integration-au.html.
[3] Voir, sur Gallica : « Description et usage de l’astrolabe à prisme », par Auguste Claude et Ludovic Driencourt.
[4] Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k974425f/f11.item