Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Esquisse des parcours des membres du Bureau des longitudes entre 1795 et 1970

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Julien Muller

Laurent Rollet

Martina Schiavon

(Archives Henri Poincaré - Université de Lorraine)

Publié le 20/03/2020

Une base de données prosopographique

Au cours de son histoire, le Bureau des longitudes a compté dans ses rangs diverses catégories d’acteurs : des mathématiciens, des astronomes, des physiciens, des fabricants d’instruments de précision, des officiers d’artillerie et des marins. La base de données des membres du Bureau des longitudes mise en ligne sur ce site recense les 274 personnalités ayant été membres de cette institution scientifique entre 1795 et 1970. Constituée en premier lieu à partir de l’Inventaire des archives manuscrites du Bureau des longitudes dressé en 1998 par Michelle Chapront-Touzé[1], cette base a été enrichie par des recherches sur l’état-civil des membres, leurs origines sociales, leurs parcours de formation, leurs éventuels engagements politiques, etc. Dans la mesure où les sources sont souvent fragmentaires, l’ambition principale de cette base de données n’est pas d’atteindre l’exhaustivité mais de disposer d’informations homogènes sur un nombre restreint de critères. Elle permet de suivre finement le parcours des membres au sein du Bureau en enregistrant les différents statuts qu’ils ont pu y avoir : membre titulaire, membre adjoint, membre correspondant ou encore membre en service extraordinaire. Voici une synthèse des différents types de statuts qui sont progressivement créés suivant l’évolution de la réglementation. Les six premières lignes permettent de reconstituer la composition initiale de l’institution en 1795.

Evolution des statuts

Tableau – Evolution des statuts des membres du Bureau des longitudes.

L’organigramme du Bureau des longitudes prévoit la nomination annuelle d’un président et d’un secrétaire, tous deux choisis parmi les membres titulaires[2]. Le fonctionnement administratif du Bureau s’effectue également avec d’autres catégories d’acteurs, largement méconnus des historiens, et qui ne rentrent pas dans le cadre de la présente étude : le secrétaire-bibliothécaire, le gardien de bureau et les calculateurs (calculateurs principaux, de 1e, 2e et 3e classe) réunis dans un bureau de calculateurs.

En près de 200 ans le Bureau des longitudes a connu de nombreuses évolutions administratives et scientifiques. Les décrets régissant son fonctionnement font apparaître de nouvelles modalités d’organisation et de nouveaux statuts pour ses membres.

Dans ce focus nous nous intéressons dans un premier temps aux membres du Bureau des longitudes au sein de l’institution elle-même. Par ailleurs, on constate qu’un nombre significatif de membres du Bureau a également appartenu à l’Académie des sciences. Dans un deuxième temps, nous ferons ainsi une analyse globale des membres appartenant à la fois à ces deux institutions[3].

La carrière au sein du Bureau des longitudes

Le tableau ci-dessous présente les différents statuts existant au sein du Bureau des longitudes entre 1795 et 1970. Les indications numériques donnent le nombre d’acteurs entrés avec un statut particulier. Bien qu’il ne dise rien des dynamiques de progression des acteurs au sein du Bureau, ce tableau donne à voir les effectifs globaux de l’institution sur le temps long en fonction du critère d’entrée au sein de l’institution. On peut remarquer l’effectif très important des membres correspondants (126) et le poids non négligeable des membres en service extraordinaire (30). À elles seules ces deux catégories représentent plus de la moitié de l’effectif sur la période considérée. Les membres qui relèvent de ces statuts ne participent pas systématiquement aux séances du Bureau. D’autres groupes importants, beaucoup plus présents lors des séances, se dessinent également : les astronomes et astronomes adjoints (34), les membres appartenant au département de la Marine et les anciens navigateurs (23), les membres de l’Académie des sciences et les géomètres (22) ainsi que les artistes et artistes adjoints (21).

Classement des effectifs d’entrée

Tableau – Classement des effectifs d’entrée au Bureau des longitudes par périodes de 20 ans.

Le tableau met également en évidence l’apparition de nouveaux statuts : correspondant (1874) et en service extraordinaire (1890) ; appartenant à l’Académie des sciences, au département de la Marine et de la Guerre (1854).

Nommé membre adjoint en 1807 à l’âge de 21 ans, l’astronome François Arago (1786-1853) demeure le plus jeune membre de l’institution (en 1805, alors qu’il est encore élève à l’École polytechnique, il occupe déjà la fonction de secrétaire-bibliothécaire). On observe que l’âge moyen de nomination au sein du Bureau augmente tendanciellement tout au long de la période étudiée (la moyenne d’âge globale à l’entrée est de 54,1 ans).

Evolution de l’âge moyen d’entrée

Graphique – Evolution de l’âge moyen d’entrée au Bureau des longitudes.

Sans entrer ici dans les détails, signalons que cette tendance générale masque des phénomènes plus contrastés si l’on tient compte des différents statuts des membres à l’entrée au Bureau. Par exemple, depuis la création du statut en 1854, les membres entrant en tant que membres de l’Académie des sciences voient leur moyenne d’âge augmenter continûment sur l’ensemble de la période (de 50 ans pour la période 1855-1874, à 74,7 ans pour la période 1955-1970). Les correspondants, en moyenne plus jeunes que la catégorie précédente, voient d’abord leur moyenne d’âge augmenter jusqu’à la période 1925-1934, avant de diminuer jusqu’à la fin de la période étudiée.

Dans leur grande majorité, les membres restent associés au Bureau jusqu’à leur décès. L’analyse de la base de données permet cependant de recenser 33 cas qui dérogent à cette « règle »[4]. La longévité la plus importante au sein de cette institution revient à Claude-Louis Mathieu (1783-1875), qui en a été membre pendant 58 ans, de 1817 jusqu’à sa mort. La durée de présence des membres au Bureau des longitudes est en moyenne d’environ 20 ans.

Les liens avec l’Académie des sciences

Entre 1795 et 1970, 165 membres du Bureau des longitudes sont également membres ou correspondants de l’Académie des sciences (soit 60,2 % de l’effectif total). Le graphique ci-dessous permet d’observer l’évolution des relations entre les deux institutions : si l’appartenance au Bureau des longitudes va très souvent de pair avec l’affiliation à l’Académie des sciences pour les générations les plus anciennes (entrées au Bureau entre 1795 et 1834), cette double appartenance voit sa part diminuer progressivement à partir de la fin du 19e siècle.

Membres du BDL à l'Académie des sciences

Graphique – Part des membres du Bureau des longitudes appartenant à l’Académie des sciences par périodes d’entrée.

Concernant l’ordre d’entrée dans les deux institutions, 74 personnes ont d’abord été nommées membres du Bureau des longitudes avant d’accéder à l’Académie des sciences ; le temps écoulé entre les deux entrées allant de 1 à 31 ans (moyenne : 8,6 ans). À l’inverse, 82 membres sont d’abord entrés à l’Académie des sciences avant d’être nommés au Bureau des longitudes ; le temps écoulé entre les deux entrées allant de 1 à 46 ans (moyenne : 13 ans). 9 membres ont fait leur entrée dans ces deux institutions la même année.

Répartition des membres

Tableau – Répartition des membres des Bureau des longitudes en fonction de leur statut d’entrée et de leur appartenance à l’Académie des sciences.

L’analyse de la base de données révèle des parcours contrastés selon les différents statuts d’entrée. Par exemple, les astronomes adjoints entrent beaucoup plus fréquemment au Bureau avant ou la même année qu’à l’Académie des sciences ; alors que ceux qui entrent comme astronomes au Bureau des longitudes sont le plus souvent d’abord membres de l’Académie des sciences. Ce cas peut s’expliquer assez facilement, semble-t-il, par la différence que l’on peut observer dans l’âge moyen d’entrée de ces catégories au Bureau des longitudes : respectivement 36,7 ans et 56,8 ans (soit 20 ans d’écart).

On notera que la catégorie des membres entrant au Bureau comme astronomes est une des rares à être entièrement représentée à l’Académie des sciences. Ceux appartenant au département de la Guerre (deux individus concernés) et le surnuméraire Gaspard Prony sont également dans une situation similaire. Demeurent les deux derniers cas de figure, pour lesquels l’explication de la présence systématique à l’Académie des sciences – et de son antériorité par rapport à l’entrée au Bureau – semble assez naturelle : il s’agit des statuts de « membre de l’Académie des sciences » et de « géomètre »[5].

Conclusion

Cette brève présentation du parcours des membres du Bureau des longitudes n’a d’autre prétention que d’exposer l’exemple d’un usage parmi d’autres qui peut être fait de la base de données accessible sur ce site. Elle nous invite surtout à nous engager dans une analyse plus fine des parcours et des logiques de carrière des différents acteurs, afin de mieux comprendre quels sont les déterminants scientifiques, institutionnels, politiques, sociodémographiques, etc. des phénomènes que cette analyse globale nous a permis de repérer.



[1] Chapront-Touzé, Michelle. Inventaire des archives manuscrites du Bureau des longitudes. Observatoire de Paris, projet Alidade, 1998.

[2] La nomination à ces fonctions est renouvelable. A titre d’exemple, Hervé Faye (1814-1902), assurera la présidence du Bureau sans interruption entre 1875 et 1893.

[3] Les traitements de données qui ont été réalisés pour obtenir les résultats de cette étude ont été effectués sous Excel 2016.

[4] 18 d’entre eux concernent des membres en service extraordinaire : leur affiliation au Bureau cesse logiquement au moment où ils quittent le service justifiant ce statut. 4 cas correspondent à des démissions (Cassini IV, Chardonnet, Harmand, Puiseux). Certains cas particuliers, tels que celui de Wilhelm Julius Foerster qui était membre correspondant, tiennent au contexte historique. Dans ce cas précis, Foerster étant de nationalité allemande, il s’est trouvé évincé du Bureau des longitudes au commencement de la Première guerre mondiale (Rollet, 2019). On connaît un cas de révocation (Joseph Nicollet 1786-1843), un cas de suppression de poste (Charles Trépied 1845-1907) et quelques autres cas où les membres quittent le Bureau sans qu’on puisse connaître la raison exacte.

[5] Dans l’histoire du Bureau des longitudes, le statut de Géomètre correspond à l’ancien statut de Membre de l’Académie des sciences.