Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Le marégraphe de Marseille

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Alain Coulomb

(Institut national de l’information géographique et forestière)

Publié le 11/01/2021

Bâtiments du marégraphe de Marseille

Les bâtiments du marégraphe de Marseille sont construits en 1883-1884. Ils ont été édifiés pour durer : il suffit d’apprécier le volume total de l’édifice et la qualité de sa construction pour s’en persuader (© Alain Coulomb).

Le mot marégraphe est composé de l’élément latin mare (la mer) et de l’élément grec grapho (j’écris, je décris). Étymologiquement, un marégraphe est un instrument qui trace l’évolution du niveau de la mer en fonction du temps. On appelle marégramme la courbe ainsi obtenue. Sur les appareils modernes, ce traçage ne se fait plus par un dessin mais au moyen de fichiers numériques. Le mot marégraphe désigne également le bâtiment qui abrite l’instrument de mesure. En France, les premiers observatoires marégraphiques furent conçus et installés par l’ingénieur hydrographe Rémi Chazallon (voir les focus consacrés à Chazallon : partie 1 et partie 2).

Le marégraphe de Marseille est unique pour de multiples raisons : le volume et la qualité de son ensemble immobilier ; son site exceptionnel, extérieur au port de Marseille ; l’extrême finesse de ses premiers enregistrements graphiques ; son appareil mécanique dit totalisateur ; ses liens avec le nivellement général de la France (il abrite le point fondamental du réseau de nivellement français continental)... Un livre lui est consacré et une association a pour objet d’agir pour sa mise en valeur, sa promotion, son renom et son rayonnement. L’observatoire et l’instrument historique sont classés monuments historiques.

Le marégraphe totalisateur de Marseille

Le marégraphe totalisateur de Marseille. Depuis 1988 (départ du dernier gardien) l’appareil ne produit plus de marégramme. Seule la partie totalisatrice (à gauche de l’image) est encore utilisée. Cet appareil a été entièrement rénové en juin 2018 (© Alain Coulomb).

L’histoire du marégraphe de Marseille

La surface de référence du premier nivellement général de la France, effectué par Paul Adrien Bourdalouë entre 1857 et 1864, avait pour point de référence le trait 0.40 m de l’échelle de marée du Vieux-Port, à Marseille. Le choix de cette matérialisation s’appuyait sur des connaissances mal étayées. Aux environs de 1880, le ministère des Travaux publics voulut une référence mieux définie. Il créa une Commission du nivellement général de la France qui commença par diligenter une enquête sur les marégraphes français, évoquée au Bureau des longitudes le 10 décembre 1884, puis fit construire le marégraphe de Marseille.

Cet observatoire est constitué de deux bâtiments principaux : un bâtiment technique et une maison d’habitation où 11 gardiens-observateurs se sont succédé entre 1884 et 1988. La conception du bâtiment technique doit beaucoup au savoir de l’ingénieur hydrographe Anatole Bouquet de La Grye. Celle de l’appareil qu’il abrite fut le résultat d’une concertation entre F.H. Reitz, inventeur de ce type d’instruments, et Charles Lallemand, jeune secrétaire à l’époque de la Commission du nivellement général de la France.

Plan du marégraphe de Marseille

Plan du marégraphe de Marseille établi pour l’exposition universelle d’Anvers en 1930 (© IGN).

Sa spécificité réside dans le fait qu’il contient un intégrateur mécanique, appelé aussi totalisateur parce qu’il fait en permanence des sommes de niveaux d’eau. Avant son invention, le niveau moyen sur une période de temps donnée pouvait être déterminé soit par de longs calculs arithmétiques, soit en mesurant sur les marégrammes, au moyen d’un planimètre, l’aire formée par la courbe du niveau de la mer. Le marégraphe totalisateur remplace ces travaux fastidieux et sources d’erreurs par une simple division de deux chiffres fournis directement par l’instrument.

Reitz fit construire 3 marégraphes totalisateurs : le premier fut installé sur l’île d’Helgoland dans la mer du Nord, le deuxième à Cadix en Espagne, et le troisième à Marseille. Les deux premiers, non conçus pour durer, ont disparu assez rapidement. Celui de Marseille, qui est encore en parfait état de marche, est donc unique au monde.

Cet appareil et cet observatoire sont mentionnés dans quelques comptes rendus des séances du Bureau des longitudes (23 mars 1887, 6 janvier 1892, 7 décembre 1892, 28 juillet 1909). La surface de référence des altitudes de France continentale fut fixée grâce aux données qu’ils ont produites entre le 1er février 1885 et le 1er janvier 1897.

L’intérêt scientifique actuel du marégraphe de Marseille

Élévation du niveau de la mer à Marseille

Élévation du niveau de la mer à Marseille établie à partir des moyennes annuelles calculées et validées par le Permanent Service for Mean Sea Level (PSMSL). La courbe présente des lacunes car, quand il manque plus de 15 jours d’observations dans le mois, la moyenne mensuelle n'est pas calculée ; de même, il faut au moins 11 moyennes mensuelles par an pour que la moyenne annuelle soit calculée (© Médéric Gravelle – SONEL).

Le marégraphe de Marseille n’est pas seulement un lieu chargé d’histoire, c’est également un observatoire équipé d’instruments modernes : un marégraphe numérique à capteur radar double le vieux marégraphe mécanique toujours en activité ; une station permanente de positionnement par satellite assure de la stabilité des instruments de mesure. L’observatoire accueille aussi périodiquement des gravimètres mesurant l’intensité de la pesanteur. Ces équipements font du marégraphe de Marseille une station de surveillance de haute qualité, intégrée aux programmes nationaux et internationaux d’observation du niveau des mers.

La série temporelle de mesures fournie par le marégraphe mécanique de Marseille est très longue (135 ans d’observations, pratiquement sans interruption). Cette série est également l’une des plus « cohérente » (très peu de changements d’appareils, pratiquement pas de changements dans l’environnement des mesures). Elle permet donc d’établir, pour l’élévation du niveau moyen de la mer à Marseille qui est de l’ordre de 17 cm depuis 1885, une tendance robuste et fiable. Pour plus de précision : https://www.sonel.org/?page=maregraphe&idStation=1802.

Cette élévation du niveau moyen des mers est une des très nombreuses conséquences des changements climatiques. Aujourd’hui, le principal intérêt du marégraphe de Marseille est sa participation à la compréhension et au suivi de ces changements.


Bibliographie

Coulomb, Alain. Le marégraphe de Marseille – De la détermination de l’origine des altitudes au suivi des changements climatiques : 130 ans d’observation du niveau de la mer. Presses des Ponts, 2014.

Lallemand, Charles, et Eugène Prévot. Le nivellement général de la France de 1878 à 1927. Imprimerie nationale, 1927.

Leclerc de Pulligny, Jean-Marie-Félix. Note sur les marées de la Méditerranée et le marégraphe de Marseille. Impr. de Barlatier et Barthelet, 1891.

Reitz, F. H. Fluth-Apparat System F.H. Reitz, Hamburg = Fide-apparatus. 1876.

Reitz, F. H. Fluthmesser System F.H. Reitz : Selbstwirkende Eintheilung Registrirung der Wasserstände und Integrirung für die mittlere Höhe. Friederichsen, 1884.