Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Le constructeur Jean-Baptiste Soleil

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Alain Le Rille

Publié le 16/10/2020

Prototype de lentille à échelon présenté à la Commission des phares le 31 octobre 1820

Figure 1 - Prototype de lentille à échelon présenté à la Commission des phares le 31 octobre 1820[1] (collections de l'Observatoire de Paris).

Avec Jean-Baptiste Soleil (1798-1878), on est en présence d'un des plus grands constructeurs d'instruments scientifiques. son entreprise, ainsi que celles qu'il a léguées à ses successeurs, ont marqué l'optique du XIXe siècle. Ses réalisations ont été partie prenante du développement industriel et scientifique. On retrouve un grand nombre d'instruments de physique construits par la maison Soleil dans les institutions d'enseignement ainsi que dans les laboratoires scientifiques et industriels en France et dans le monde.

Une dynastie d'opticiens

Jean-Baptiste naît en 1798, il sera opticien, comme la plupart des hommes dans la généalogie des Soleil : François Soleil (son père), Henri (son fils), Henri Joseph Wauquier et Jean-Jacques François (ses beaux-frères), Jules Louis Duboscq (son gendre), Léon Laurent (le gendre de ce dernier et donc le mari d'une des petites-filles de Jean-Baptiste Soleil), Albert Alexis Duboscq (à la fois le gendre et le neveu de Jules Louis Duboscq). Si Jean-Baptiste Soleil n'est pas le fondateur de la dynastie, il est chronologiquement un des premiers constructeurs d'instruments d'optique de cette longue lignée. Jean-Baptiste côtoie de nombreux autres savants de l'époque.

En 1825, Jean-Baptiste Soleil s'installe au 21 rue de l'Odéon à Paris où il demeure plus de 25 ans et y domicilie son entreprise spécialisée dans la fabrication « d'instruments d'optique et de précision ». François et Jean-Baptiste dirigent leurs entreprises de construction de matériel optique parallèlement pendant plusieurs années, l'un (François) plutôt spécialisé dans une production industrielle de lentilles à échelon pour les phares en collaboration avec Fresnel, l'autre (Jean-Baptiste) produisant principalement des prototypes scientifiques ou didactiques.

Instruments de la collection fabriqués par Jean-Baptiste Soleil. a) Microscope d'Amici. b) Appareil d'étude des « anneaux de Newton » obtenus par interférences lumineuses. c) Appareil de Silbermann utilisé pour l'étude des lois de la réflexion et de la réfraction. d) Appareil d'étude des cristaux anisotropes.

Figure 2 - Instruments de la collection[2] fabriqués par Jean-Baptiste Soleil. a) Microscope d'Amici. b) Appareil d'étude des « anneaux de Newton » obtenus par interférences lumineuses. c) Appareil de Silbermann utilisé pour l'étude des lois de la réflexion et de la réfraction. d) Appareil d'étude des cristaux anisotropes.

Dans les années 1840, Jean-Baptiste Soleil est un des opticiens parisiens les plus renommés. Il postule en 1847 pour une place d'artiste adjoint au Bureau des Longitudes. Entre 1838 et 1850 son nom apparaît dans une quarantaine de communications des membres et correspondants de l'Académie des sciences, souvent très élogieuses vis-à-vis des instruments construits par la maison Soleil. En recevant une médaille d'or à Paris à l'exposition nationale de 1849 puis la légion d'honneur en 1850 et enfin la « council medal » (la plus haute récompense) à l'exposition de Londres de 1851 (qui inaugure l'ère des grandes expositions universelles), Jean-Baptiste Soleil voit le couronnement de sa carrière.

C'est au sommet de sa réussite, qu'il choisit justement de se retirer des affaires. Il vend sa société (scindée en deux) à ses deux descendants : son fils Henri et sa fille qui a épousé Jules Duboscq, un opticien que Jean-Baptiste a formé. Ses héritiers continuent leurs activités au 21, rue de l'Odéon, qui est aussi leur demeure. Il est remarquable de voir comment la société Soleil reste d'une façon ou d'une autre dans la famille pendant plusieurs décennies, même si elle change de propriétaires et de nom (suivre ce lien pour un résumé synthétique de l'évolution des différentes sociétés).

Figure 3 - Saccharimètre de Soleil. © musées de la Communauté d'Agglomération du Niortais, Renaud Berthrand.

Figure 3 - Saccharimètre de Soleil (© musées de la Communauté d'Agglomération du Niortais, Renaud Berthrand).

L'œuvre de Jean-Baptiste Soleil

Jean-Baptiste participe auprès de son père à la mise au point des lanternes des phares à lentille à échelon. Il réalise quelques appareils d'optique géométrique comme des instruments destinés à la focométrie, un héliostat, divers instruments astronomiques ainsi que des microscopes.

Mais Jean-Baptiste Soleil accompagne surtout le développement de l'optique ondulatoire qui triomphe à partir de 1819. Il met au point des dispositifs qui permettent de faire des expériences de diffraction et d'interférence, aussi bien dans le cadre de la recherche dans un cabinet d'optique que dans le cadre de la diffusion pédagogique de cette optique nouvelle.

La maison Soleil construit en effet de nombreux matériels pédagogiques. La Société Française de Physique considère ses catalogues de matériels comme de véritables manuels de physique pratique. Il est possible de trouver encore de nos jours de nombreux appareils didactiques de la maison Soleil dans les collections de physique des établissements d'enseignement, en France et dans le monde.

Figure 4 - Ouvrage de Soleil sur la photographie

Figure 4 - Ouvrage de Soleil sur la photographie (Source : BnF[3]).

La production d'instruments pour l'étude de la polarisation de la lumière, les molécules chirales en solution, l'effet Faraday, et toutes sortes d'applications qui en découlent. Mais la principale application de la polarisation est le dosage des sucres en solution effectué grâce aux saccharimètres de Soleil qui sont incontournables pour toute la communauté scientifique française dans le second quart du XIXe siècle. Les différents perfectionnements de son instrument aboutiront à l'analyseur à pénombre de Laurent (qui reprendra la société de Duboscq), encore utilisé de nos jours.

Jean-Baptiste Soleil s'intéresse aussi à la photographie naissante en 1840. Photographe lui-même, il améliore le procédé chimique de Daguerre et publie même un ouvrage à l'usage des utilisateurs du daguerréotype.

Amateur éclairé, il utilise ses talents de pédagogue dans ce livre sur la photographie, montrant qu'il transcende les frontières. N'étant pas seulement constructeur d'instruments, Jean-Baptiste Soleil signe lui-même 7 articles dans les comptes-rendus de l'Académie des Sciences. Artisan ou artiste, commerçant, entrepreneur, scientifique, pédagogue, Jean-Baptiste Soleil fut au carrefour de tous ces métiers. Il a marqué l'optique du XIXe siècle et nous pouvons encore aujourd'hui admirer et utiliser ses instruments.



[2] FST. Fondazione Scienza e Tecnica. it-IT. Library Catalog : www.fstfirenze.it. URL : https://www.fstfirenze.it/?s=Soleil (visité le 10/05/2020).

[3] Jean-Baptiste Soleil. Guide de l'amateur de photographie, ou Exposé de la marche à suivre dans l'emploi du daguerréotype et des papiers photographiques, par J.-F. Soleil. FR. 1840. URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6554140w (visité le 05/05/2020).