Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Les derniers mois de l’horloge parlante

Accueil > Focus > Instruments > Les derniers mois de l’horloge parlante

Colette Le Lay

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 23/05/2022

Portrait d'Ernest Esclangon

Portrait d'Ernest Esclangon en 1932 (Source : https://bibnum.obspm.fr/ark:/11287/2hpLz, Bibliothèque de l'Observatoire de Paris, Inv.I.1810)

Le 1er juillet 2022, l’horloge parlante n’émettra plus ses célèbres quatre tops. De nombreux média ont donné un écho à la disparition programmée d’un service qui n’était plus guère consulté.  

L’initiateur de ce nouvel outil technologique, mis en service en 1933, est Ernest Esclangon (1876-1954), élu à l’Académie des sciences et nommé directeur de l’Observatoire de Paris en 1929, puis membre du Bureau des longitudes en 1932. Né dans une famille modeste des Basses-Alpes, Ernest Esclangon intègre l’École normale supérieure, passe une double licence ès sciences mathématiques et ès sciences physiques avant l’agrégation et un doctorat en sciences mathématiques. Il débute sa carrière à l’observatoire de Bordeaux avant de diriger l’observatoire de Strasbourg puis l’Observatoire de Paris.

Dans une brève note des Comptes rendus de l’Académie des sciences (t. 202, 1936, p. 530-531), Esclangon explique qu’il exposa l’idée en 1930, que l’horloge fut installée en octobre 1932 puis ouverte au public en février 1933. Il y parle également des expériences analogues à l’étranger.

Le procès-verbal du 7 décembre 1932 offre à Ernest Esclangon l’opportunité de préciser les conditions de l’ouverture de l’horloge parlante à ses collègues du Bureau des longitudes :

« M. Esclangon fait une communication au sujet de l’horloge parlante de l’Observatoire. Actuellement tout le monde peut demander l’heure par téléphone, le vendredi de 9h30 à 14h30. Le service complet sera assuré à la fin du mois. L’heure sera donnée automatiquement toutes les 10 secondes pendant les 24 heures de chaque journée. »
Observatoire de Paris : horloge parlante conçue en 1932 par Ernest Esclangon (titre forgé)

L'horloge parlante d'Ernest Esclangon (Source : https://bibnum.obspm.fr/ark:/11287/8Zlxj, Bibliothèque de l'Observatoire de Paris, Inv.I.1167)

C’est la maison Brillié qui est chargée de la réalisation de la première horloge parlante. Cette entreprise de matériel de précision, notamment d’horlogerie électrique, sise à Levallois apparaît au moins 14 fois dans les procès-verbaux du Bureau. Les premiers contacts remontent à une visite des ateliers de Levallois par le Commandant Guyou, directeur de l’Observatoire de Montsouris. Brillié est invité à venir exposer ses instruments lors de la séance du 11 décembre 1907. Deux autres invitations suivent, le 6 mai 1914 pour la démonstration d’un transmetteur horaire et le 5 janvier 1921 pour un exposé sur les pendules.

L’horloge parlante fait l’objet d’une description détaillée dans le Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris pour 1932.

Ernest Esclangon livre aussi au grand public un récit de son invention lors d’une conférence de la Société astronomique de France, le 1er mars 1933, dont le texte est repris dans la revue de la SAF[1].

Dès 1934 la moyenne mensuelle d’appels s’établit autour de 310 000. Même pendant la guerre, le service ne connaît aucune interruption comme le mentionne le Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris pour 1940. Rappelons que c’est pour assurer la continuité du service de l’heure qu’Armand Lambert refuse de quitter son poste et de se mettre à l’abri des rafles, comme l’y invite Ernest Esclangon. Il le paiera de sa vie (voir le focus intitulé : Armand Lambert (1880-1944), astronome à l’Observatoire de Paris, assassiné à Auschwitz).

Horloge parlante Brillié (23 octobre 1934) - Observatoire de Paris (titre forgé)

Horloge parlante Brillié (Source : https://bibnum.obspm.fr/ark:/11287/sQxw2, Bibliothèque de l'Observatoire de Paris, B922)

La première voix de l’horloge parlante est masculine. Une tentative pour lui substituer une voix féminine en 1954 suscite un tollé des usagers et l’abandon immédiat de l’innovation. Ce n’est qu’en 1991 que les deux voix féminine et masculine seront proposées en alternance, non sans soulever quelques réticences.

Pourtant, dès les origines, une femme fait partie des chevilles ouvrières du Bureau international de l’heure de l’Observatoire de Paris : Marie Kauffmann, née en 1889 en Lituanie. Elle est citée dans le procès-verbal du 8 novembre 1916 pour une lettre de candidature à un poste de calculatrice du Bureau des longitudes. Aucun poste n’étant vacant, elle se tourne peu après (1921) vers le stage pour entrer dans le corps des astronomes de l’Observatoire de Paris, où elle sera nommée assistante en 1937. Son nom est mainte fois mentionné dans le Bulletin horaire publié annuellement par le Bureau international de l’heure. 

Paradoxalement, la disparition de l’horloge parlante met l’invention d’Esclangon sur le devant de la scène. Une opportunité pour les historiens : les caractéristiques techniques sont abondamment traitées par l’historiographie. Il reste à raconter l’aventure humaine.



[1] Le lecteur qui souhaite plus d’informations techniques les trouvera à l’adresse suivante : https://syrte.obspm.fr/spip/services/ref-temps/article/l-horloge-parlante-officielle-francaise-de-l-observatoire-de-paris