Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Le jardin de l'atelier

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Frédéric Soulu

(Archives Henri Poincaré - Université de Lorraine)

Publié le 11/01/2021

Astronomie, météorologie, magnétisme terrestre, sismologie, fabrique de l’heure : ces sciences et techniques, abordées dans les procès-verbaux du Bureau des longitudes, n’ont pas encore toutes une autonomie disciplinaire au 19e siècle. Elles sont parfois désignées par les historiens des sciences comme « les sciences et techniques de l’observatoire » tant les pratiques sont liées à ce lieu de production des savoirs. À Paris, l’observatoire spécialisé de météorologie du parc Montsouris, ou l’observatoire magnétique de Saint-Maur-des-Fossés émergent entre 1875 et 1880. Observatoires et laboratoires ont leurs formes sur le terrain, organisés lors d’expéditions ou de missions : bateau, campement de tentes. Ces différents espaces de production des savoirs ont été largement étudiés par les historiens des sciences.

Il subsiste néanmoins des lieux d’observations plus marginaux qui ont été peu étudiés et que nous révèlent les procès-verbaux du Bureau des longitudes... Cours, jardins et ateliers des constructeurs d’instruments sont parfois utilisés par les astronomes d’État pour leurs observations.

Le procès-verbal du 31 octobre 1849 rapporte que : « M. Babinet rend compte des observations qui ont été faites chez M. Lerebours avec une lunette de 12 pouces. L'étoile γ d'Andromède a été facilement détriplée. » Jacques Babinet (1794-1872) est membre de l’Académie des sciences depuis 1840 et bibliothécaire du Bureau des longitudes depuis 1841. Son hôte, Noël-Jean Lerebours (1762-1840), est artiste adjoint du Bureau des longitudes depuis 1814 et l’un des principaux opticiens français.

Lors de la réunion du 5 avril 1854, les observations pendant trois jours consécutifs d’une nouvelle comète sont présentées aux membres du Bureau par Ernest Laugier (1812-1872), Charles Mathieu (1827-1889) et Ernest Liouville (1834-1880) : « avec un équatorial installé dans le jardin de M. Brunner » Jean (1804-1862) qui est, depuis 1850, artiste adjoint du Bureau des longitudes.

Enfin, un autre exemple est livré par le procès-verbal du 15 octobre 1862 dans lequel les membres du Bureau rapportent être allés au domicile de Léon Foucault (1819-1868). Ils souhaitent voir fonctionner son appareil à mesurer la vitesse de la lumière. Le physicien de l’Observatoire de Paris, admis comme astronome au Bureau cette même année 1862, est aussi le concepteur et fabricant des télescopes à miroir de verre parabolique argenté. La maison de Foucault, bien connue des astronomes, est désignée par Babinet, qui est aussi un publiciste prolixe, comme « le domicile des télescopes paraboliques » (Babinet, 1858). C’est un lieu d’observation et de sociabilité savante.

En 1868, Georges Fleuriais, hydrographe de la Marine, rapporte dans la Connaissance des temps pour 1870 (Fleuriais, 1868, p. 40-63) que pour la mission de la détermination des méridiens fondamentaux commandée par le Bureau des longitudes, il s’est exercé avec un cercle méridien de Brunner du Dépôt de la Marine avant son départ : « Avant le départ  de M. Fleuriais, cet instrument a été établi rue Notre Dame-des-Champs[1], à Paris, dans un terrain dépendant de l'établissement de M. Dumoulin-Froment, constructeur d'instruments, et que celui-ci a bien voulu mettre à notre disposition. Le pilier en brique qui lui a servi de support, repose sur un massif en maçonnerie; rien n'a été négligé pour que l'installation présentât toutes les garanties désirables de stabilité. » (Fleuriais, 1868, p. 40)

Jardin astronomique de Paolo Ignazio Pietro Porro en 1858

Jardin astronomique de Paolo Ignazio Pietro Porro en 1858, extrait de (Porro, 1858) (© British Library).

On le voit, les observations chez les fabricants d’instruments liés à l’Observatoire de Paris sont nombreuses en ce milieu de 19e siècle. Ces lieux sont pourtant mal connus et rarement décrits. Un des seuls qui échappe à cette règle est le jardin astronomique de Paolo Ignazio Pietro Porro (1801-1875). L’artiste piémontais, installé à Paris au 10 rue d’Enfer en 1847, en livre une représentation dans son catalogue commercial (Porro, 1857) et une photographie dans un programme de souscription pour le développement de son parc astronomique (Porro, 1858). Ce jardin inclut des instruments d’observation du Soleil, le grand réfracteur de 50 centimètres d’ouverture avec son tube de 60 cm de diamètre et de 15 m de long, un petit cercle méridien, un laboratoire photographique et divers autres instruments à l’arrière de la maison-atelier, dans une bande de terrain de 15 m de large et de 40 m de long. Ces instruments sont destinés à la vente mais sont utilisés ponctuellement pour des observations par les astronomes académiques, comme par Faye lors de l’éclipse de soleil de 1858 (Faye, 1858).

Ainsi donc, les procès-verbaux du Bureau des longitudes nous font découvrir un nouvel ensemble de lieux de production des savoirs : les jardins des ateliers des constructeurs d’instruments. Sont-ils de simples pis-aller quand les astronomes n’ont pas accès aux espaces institutionnels de l’astronomie ? Cela semble bien être le cas pour Laugier, Charles Mathieu et Ernest Liouville en 1854, tandis que Le Verrier impose sa dictature sur l’Observatoire de Paris depuis quelques mois. C’est aussi le cas en 1868 pour Fleuriais, à un moment où le Bureau des longitudes, privé d’observatoire, recherche une place dans Paris pour exercer les géodésiens et hydrographes aux procédures des astronomes.

Ce n’est cependant pas toujours la cause principale et ces observations permettent aussi aux astronomes de profiter des dernières techniques : lentille de grand diamètre chez Lerebours, miroir parabolique chez Foucault, enregistrement photographique chez Porro.

Pour les artistes, co-auteurs invisibles de ces savoirs, ces observations sont un puissant moyen de faire connaître leurs produits, à travers les publications et témoignages des astronomes mais aussi par les récits qu’en livre la presse scientifique grand public en plein essor. Si l’intérêt des constructeurs était bien principalement commercial, on peut faire l’hypothèse que d’autres clientèles ont profité de ces espaces d’observation. Des traces de ces lieux  laissées par des amateurs d’astronomie, des gens du monde, des officiers militaires pourraient livrer de nouvelles connaissances sur la façon de faire science dans ces lieux hybrides.



[1] Plusieurs astronomes chassés de l’Observatoire par Le Verrier en 1854 se sont installés rue Notre-Dame-des-Champs (Mathieu, Laugier) ainsi que Delaunay. C’est aussi là que travaillent quelques calculateurs. Je remercie Colette Le Lay pour cette information.


Bibliographie 

Babinet, Jacques. « Comète de M. Donati visible à l’oeil nu ». Journal des débats politiques et littéraires, Dimanche 12 septembre 1858.

Faye, Hervé. « Astronomie. - Sur les photographies de l’éclipse du 15 mars, présentées par MM. Porrot et Quinet ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, vol. 46, 1858, p. 705‑10.

Fleuriais, Georges. « Rapport sur la longitude de Montevideo déduite des observations méridiennes de la Lune ». Connaissance des temps pour 1870, Additions, 1868.

Porro, Ignazio. Programme de souscription pour la fondation d'un observatoire et d'une société astronomique universelle, ayant pour but le progrès de l'art d'observer et plus particulièrement l'application rationnelle de la photographie et de l'électricité à l'astronomie. Mallet-Bachelier, 1858.

---. Tarif raisonné des produits de l’Institut Technomatique. 1857.