Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Camille Flammarion et le Bureau des longitudes

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Colette Le Lay

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 24/04/2019

En 1911, le célèbre vulgarisateur Camille Flammarion (1842-1925) publie ses Mémoires biographiques et philosophiques d’un astronome, chez Flammarion (maison d’édition de son frère Ernest). S’il ne faut pas prendre pour argent comptant le portrait avantageux que Flammarion dresse de lui-même, il est loisible de le lire – avec circonspection – comme le témoignage d’un acteur du temps.

Tableau noir d’Arago

Tableau noir d’Arago, Alidade-Observatoire de Paris, Inv. 469 (Source : D. Monseigny/Observatoire de Paris).

Au chapitre X, Flammarion décrit son arrivée au bureau des calculs de l’Observatoire le 28 juin 1858, à la suite d’une entrevue avec le directeur Le Verrier et d’un court examen de mathématiques mené par Victor Puiseux (1820-1883). Voilà quatre ans déjà que le destin du Bureau des longitudes a été dissocié de celui de l’Observatoire. Avec ses premiers salaires, il s’offre quelques ouvrages : « Ma bibliothèque s’accrut du double pendant cette année 1858, grâce à mon passage le long des quais en revenant chaque jour dans l’intérieur de Paris. Je pus acquérir successivement d’année en année, à raison de 10, 15 ou 20 centimes, la collection complète de l’Annuaire du Bureau des Longitudes, depuis sa fondation en 1796, avec les importantes notices scientifiques d’Arago. »

La description du bureau des calculs lui donne l’occasion de rendre hommage à Arago et de décocher une flèche vers son successeur : « Au Bureau des calculs, nous étions six jeunes employés, élèves-astronomes, dans la grande salle du premier étage, occupée maintenant par la bibliothèque, et ornée du grand tableau noir en bois sculpté du cours d’astronomie populaire d’Arago, transporté là en 1854, lorsque Le Verrier supprima ce cours et détruisit l’amphithéâtre pour le convertir en appartements. » Très vite, c’est la déconvenue. Flammarion raconte que ses collègues sont de « très honnêtes bureaucrates » et que ses supérieurs – Joseph-Alfred Serret (1819-1885) et Victor Puiseux, tous deux membres du Bureau des longitudes – n’ont jamais mis l’œil à une lunette.

En 1863, à la suite de son premier succès éditorial, La pluralité des mondes habités, publié l’année précédente chez Mallet-Bachelier, l’éditeur du Bureau des longitudes et de l’Observatoire, Flammarion est sollicité par la revue Cosmos pour y tenir la rubrique d’astronomie. Au chapitre XVI de ses Mémoires, Flammarion précise : « Cette Revue publiait un annuaire, dont les notices scientifiques remplaçaient, pour un grand nombre de lecteurs, celles de l’Annuaire du Bureau des Longitudes, arrêtées depuis la mort d’Arago. » Et, un peu plus loin : « Ces notices scientifiques de l’Annuaire du Cosmos pour les années 1864, 1865 et 1866 ont eu une grande popularité. Celles de l’Annuaire du Bureau des Longitudes arrêtées depuis la mort d’Arago, depuis 1854, furent reprises en 1867, après une interruption de treize années. Ce ne fut un secret pour personne de savoir que mes notices étaient la cause déterminante de cette reprise, et j’avais, sans le vouloir, poussé un peu l’épée dans les reins de mes maîtres, Delaunay, Laugier, Mathieu, etc. » Nous laissons à Flammarion la paternité de cette affirmation qu’aucun PV ne vient confirmer…

Pour expliquer son départ de l’Observatoire en 1862, il évoque des raisons glorieuses : Le Verrier n’aurait pas supporté le succès de son ouvrage. Une lettre manuscrite[1] au directeur (non datée, mais écrite en 1862) le montre sous un jour plus révérencieux, reconnaissant ses « torts » et sa « négligence ». Congédié, il entre au bureau des calculs du Bureau des longitudes, sis au domicile de Delaunay, Laugier, Mathieu, 76 rue Notre-Dame des Champs, où il est « chargé du calcul des positions de la Lune dans la Connaissance des temps […] Ces pages de la Connaissance des temps pour les années 1866 et 1867 ont été calculées par moi en 1862 et 1863. » (Chapitre XII). Flammarion nous fournit de précieuses informations sur cette période d’errance pendant laquelle le Bureau n’a plus de lieu institutionnel d’exercice de ses missions. Nous apprenons ainsi que quatre calculateurs travaillent au domicile de Delaunay, Laugier et Mathieu, tandis que les plus anciens Ulysse Bouchet et Marc-Antoine Gaudin calculent chez eux.

Procès-verbal de la séance du 9 juin 1875

Procès-verbal de la séance du 9 juin 1875 du Bureau des longitudes.

En cet âge d’or de la vulgarisation scientifique, Flammarion se taille rapidement une place de choix. Devenu chroniqueur scientifique au quotidien Le Siècle, il multiplie les ouvrages et les conférences. Le statut de calculateur ne lui suffit plus : il veut devenir astronome. A compter de 1867, il quitte le bureau des calculs et rédige de nombreuses communications, soumises à l’Académie des sciences par Delaunay, Faye ou Bouquet de la Grye, ou proposées au Bureau pour parution dans les Additions de la Connaissance des temps (Ainsi d’un catalogue d’étoiles doubles, soumis par Hervé Faye dans le procès-verbal du 9 juin 1875).

Ayant acquis une position dans le monde du journalisme, il lance Le Siècle dans une longue campagne pour obtenir la destitution de Le Verrier (de 1866 à 1870). Présentée dans ses Mémoires comme une « vengeance », Flammarion lui accorde une influence dont on peut douter. C’est une démission collective des astronomes et une interpellation au Sénat qui auront finalement raison du dictateur de l’Observatoire.

La décennie 1880 est faste : parution de l’Astronomie populaire (dédiée à Arago) en 1880, débuts de la revue L’Astronomie en 1882 et création de la Société astronomique de France en 1888. Entretemps, un généreux mécène offre à Flammarion le domaine de Juvisy dans lequel il installe un observatoire.

Les liens de Flammarion avec le Bureau des longitudes demeurent étroits puisque la plupart des présidents qui se succèdent à la tête de la Société astronomique de France en sont issus : dans l’ordre, Hervé Faye, Anatole Bouquet de la Grye, Félix Tisserand, Jules Janssen, etc.



[1] Cote Ms 1072, document n° 27, Observatoire de Paris. Communiquée par David Aubin que je remercie.