Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

L’histoire du Bureau des longitudes de Guillaume Bigourdan

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Colette Le Lay

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 15/07/2020

Cabinets d'observation

Les premiers Cabinets d’observation M, Q, C, bâtis respectivement en 1731, 1742 et vers 1760. Illustration extraite de G. Bigourdan, «Le Bureau des Longitudes, son histoire et ses travaux de l’origine (1795) à ce jour» - Première partie, Annuaire du Bureau des Longitudes, 1928 (Source : gallica.bnf.fr).

Toute personne qui souhaite se pencher sur l’histoire du Bureau des longitudes dispose d’une source passionnante, aujourd’hui transcrite sur le site : Le Bureau des longitudes / son histoire et ses travaux de l’origine (1795) jusqu’à ce jour, publiée par Guillaume Bigourdan (1851-1932) dans les Annuaires de 1928 à 1933[1]. Pour la composer, Bigourdan s’est appuyé sur les procès-verbaux mais également sur des correspondances et autres documents aujourd’hui dispersés ou disparus[2].

Après quelques éléments biographiques et des traces de la rédaction de l’histoire du Bureau des longitudes par Bigourdan dans les procès-verbaux, nous prendrons quelques exemples montrant l’intérêt de cette source encore peu exploitée.

Né dans le Tarn-et-Garonne, Guillaume Bigourdan poursuit ses études à la faculté des sciences de Toulouse où il a pour professeur Félix Tisserand (1845-1896) qui dirige l’observatoire de la ville. Celui-ci lui propose d’y devenir astronome à compter de 1877. Lorsque Tisserand part pour l’Observatoire de Paris, Bigourdan le suit en 1879. Couronnement d’une belle carrière, il entre en 1903 au Bureau des longitudes et en 1904 à l’Académie des sciences. Jusqu’à sa mort, il mène de pair ses études astronomiques et ses recherches historiques comme le prouve son abondante œuvre imprimée[3].

Dès novembre 1903, le Bureau des longitudes confie à Bigourdan le contrôle et la vérification de la bibliothèque. Ainsi découvre-t-il l’ensemble des documents rassemblés depuis 1795 dont il connaissait déjà une bonne partie : le Bureau l’avait autorisé à consulter les procès-verbaux lors de la séance du 28 juillet 1880 et, le 19 octobre 1887, il avait sollicité la permission d’examiner les manuscrits et ouvrages de Delambre. C’est lors de la séance du 24 novembre 1926 qu’il fait part « de son intention d’écrire l’histoire du fonctionnement des Observatoires sous la direction du Bureau ». La première Notice (celle de l’Annuaire de 1928) est envoyée à l’imprimeur en août 1927. Le 7 décembre 1927, il annonce à ses collègues qu’il dépouille les procès-verbaux. Arrêté par des problèmes de santé, ce n’est qu’à la fin de la séance du 27 février 1929 qu’il donne « des indications sur l’état d’avancement de sa Notice historique sur le fonctionnement du Bureau depuis sa création ». Puis il se penche sur « le rôle du Bureau des Longitudes dans l’établissement du Système métrique » (29 mai 1929). Le 23 avril 1930, il soumet la Notice pour l’Annuaire de 1931. Enfin le 27 mai 1931, « M. Bigourdan dépose le manuscrit de sa Notice pour l’Annuaire de 1932 et en fait une rapide analyse : cette notice est relative aux travaux du Bureau des Longitudes pendant la période de 1795 à 1854. » Bigourdan décède brutalement en février 1932. Avait-il mis la dernière main au volet prévu pour l’Annuaire de 1933 ou sa veuve a-t-elle remis au Bureau les documents préparatoires ? Toujours est-il que l’ultime Notice peut paraître en temps et en heure, mais à titre posthume. L’histoire s’arrête en 1874. Vu le titre que Bigourdan avait choisi, on peut légitimement penser qu’il projetait de traiter des décennies restantes (1874-1933).

Grande coupole

La grande coupole de la tour de l'Est de l'Observatoire de Paris. Illustration extraite de G. Bigourdan, «Le Bureau des Longitudes, son histoire et ses travaux de l’origine (1795) à ce jour» - Quatrième partie, Annuaire du Bureau des Longitudes, 1931 (Source : gallica.bnf.fr).

La structure de l’ensemble porte les marques de sa rédaction par étapes. Ainsi le cadre institutionnel (lois, règlements, statuts) est développé dans les premières pages mais également dans la troisième partie. Le système métrique et la métrologie occupent une part considérable (deuxième partie). Bigourdan, qui y fut astronome pendant de longues années, accorde également une large place à l’Observatoire de Paris, à ses instruments et aux travaux qui y furent réalisés (quatrième partie), ne distinguant pas toujours les moments où le Bureau des longitudes exerce la tutelle sur l’Observatoire de ceux où il en a été écarté. La cinquième partie consacrée, entre autres, à la séparation Observatoire/Bureau de 1854 et au conflit avec Le Verrier livre des pièces importantes qui complètent utilement les procès-verbaux. Enfin, la dernière partie met en avant la géodésie qui permet au Bureau de recouvrer son lustre après les années noires et, ainsi que l’écrit Bigourdan, d’envahir « le terrain réclamé par Le Verrier ».

Donnons maintenant quelques exemples d’informations, anecdotiques ou importantes, parfois absentes des procès-verbaux, que l’on peut trouver dans les Notices de Bigourdan[4].

La première concerne le lieu de réunion du Bureau des longitudes. Ce n’est qu’en 1804 que le Bureau s’installe à l’Observatoire. Auparavant, Bigourdan nous précise qu’il se réunit « au « Palais national des Sciences et des Arts » (Louvre) sauf quelques séances tenues chez le président Borda, malade. » (p. 10).

Les procès-verbaux du 17 avril et du 8 mai 1816 évoquent, sans autre précision, un échange de correspondance avec le ministre de l’Intérieur au sujet d’une demande de Cassini. Pour en savoir plus, il suffit de lire les lettres dont Bigourdan nous livre la teneur (p. 27-28). En cette période de restauration monarchique, Cassini IV (1748-1845) propose de faire sortir l’Observatoire du giron du Bureau pour lui conférer de nouveau le statut d’Observatoire royal qu’il dirigerait à la suite de ses père, grand-père et arrière-grand-père. C’est Jean-Baptiste Delambre, secrétaire du Bureau, qui répond au ministre en contredisant point par point les arguments développés par Cassini.

Bigourdan nous communique également le rapport Sur les Observatoires de France rédigé par Jérôme Lalande en 1795, à la demande du Comité d’Instruction Publique (p. 36-38). Lalande ne manque pas d’y rendre hommage aux astronomes de Province avec lesquels il correspond, comme Antoine Darquier (1718-1802) à Toulouse ou Honoré Flaugergues (1755-1830) à Viviers. Il livre là un état des lieux de l’astronomie en France au moment de la fondation du Bureau des longitudes.

Triangles mesurés jusqu'à Formentera

Les triangles mesurés jusqu’à Formentera, plus l’arc de parallèle d’Arago. Illustration extraite de G. Bigourdan, «Le Bureau des Longitudes, son histoire et ses travaux de l’origine (1795) à ce jour» - Cinquième partie, Annuaire du Bureau des Longitudes, 1932 (Source : gallica.bnf.fr).

Dans la colossale partie consacrée au système métrique, Bigourdan fournit un inventaire très complet (396 items) des instruments et étalons confiés au Bureau ainsi que des manuscrits des deux opérations de la Méridienne de France : celle de Delambre et Méchain, de Dunkerque à Perpignan, afin de définir le mètre, puis la prolongation de Biot et Arago jusqu’aux Baléares (p. 42-59).

Le recrutement des élèves astronomes à l’Observatoire fait l’objet d’une lettre du ministre de l’Instruction publique, datée du 19 janvier 1838 que Bigourdan communique p. 107. A l’image de ce qui se fait pour l’Ecole polytechnique ou l’Ecole normale, le ministre verrait d’un bon œil une admission sur concours. Il suggère également un examen de fin d’études sur le mode de l’agrégation afin de valoriser la formation acquise. Comme l’indique Bigourdan dans les pages suivantes, le Bureau des longitudes crée une commission pour envisager la question puis n’en parle plus. Ainsi reste-t-il maître du choix des élèves astronomes qui reste opaque et favorise un système de clans familiaux.

Bigourdan nous épargne également des travaux de compilation. Ainsi des budgets annuels, de 1806 à 1878, communiqués sous forme de tableau p. 113-116. Nous y découvrons l’effondrement des dépenses de matériel lors de la séparation d’avec l’Observatoire de 1854. Entre 1853 et 1854, les dépenses de matériel sont divisées par 10[5] ! A la même période, Bigourdan révèle les lacunes dans les archives. Il n’a pas trouvé trace des budgets de 1856, 1861, 1862 et 1863, époques de grande errance du Bureau des longitudes dont les membres sont contraints d’emporter les documents chez eux par crainte de ne pas en disposer à la séance suivante[6].

Nous n’avons pas parlé des nombreuses figures, notamment les plans de tout ou partie de l’Observatoire, qui sont aussi l’une des richesses de ce document incontournable dont nous n’avons donné dans les lignes qui précèdent qu’une idée très partielle.



[1] http://bdl.ahp-numerique.fr/source-histoire.

[2] De nombreux manuscrits de Bigourdan relatifs à son travail historique sont conservés à la bibliothèque de l’Observatoire de Paris sous les cotes Ms 1028-1031.

[3] Voir, par exemple, l’inventaire https://data.bnf.fr/fr/15290885/guillaume_bigourdan/.

[4] Les numéros de pages sont ceux du pdf disponible sur le site. Celui-ci indique la pagination originale.

[5] Toutefois, les travaux menés par Guy Boistel sur les archives ne conduisent pas toujours aux chiffres donnés par Bigourdan. Comme nous l’avons dit plus haut, il ne distingue pas nécessairement l’Observatoire du Bureau des longitudes même pour les périodes où les deux institutions sont séparées.

[6] Rappelons que, bien que le décret de 1854 prévoie qu’il puisse tenir séance à l’Observatoire, le Bureau des longitudes fait face à de multiples manœuvres du directeur Le Verrier pour lui compliquer la tâche (clef prétendument égarée, pièce non chauffée, etc.).