Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Introduction à la Connaissance des temps, éphéméride astronomique vivante, lointaine héritière des éphémérides de Johannes Kepler, 1679-2018

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Guy Boistel

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 08/12/2020
Dessin d'une éclipse

Figure 1 - Dessin d'une éclipse extrait de la Connaissance des temps pour 1679 (Source : gallica.bnf.fr).

Établir des calendriers, prévoir les éclipses de Lune et de Soleil, ainsi que la position des astres dans le Ciel a toujours constitué une part importante du travail quotidien des astronomes depuis l’Antiquité. Ce travail passe par l’établissement de tables astronomiques de positions des planètes issues de théories cinématiques (de Ptolémée jusqu’à Newton) ou dynamiques (après Newton), et la constitution de catalogues de positions d’étoiles. Mais les usages au quotidien de ces tables nécessitent des calculs prémâchés, simplifiés et mis en forme pour que tout un chacun puisse établir ses prévisions à l’aide d’un minimum de calculs. C’est l’objet des éphémérides astronomiques, sortes de petits calendriers journaliers, mensuels ou annuels qui paraissent régulièrement à partir du début du XVIIe siècle et le développement de la nouvelle astronomie qui naît après Nicolas Copernic, Tycho Brahé et Johannes Kepler.

Kepler refond l’astronomie copernicienne en publiant à partir des années 1620 des éphémérides qui vont essaimer dans toute l’Europe et Galilée a ouvert la voie à la prédiction des éclipses des satellites de Jupiter, sa grande découverte de 1610. Lorsque Kepler décède en 1631, les astronomes de Dantzig assurent une certaine postérité à ses travaux, et parmi eux, Johann Hecker qui publie des éphémérides qui connaissent un franc succès chez les astronomes en Europe.

Quand les astronomes royaux s’établissent dans le nouvel observatoire que Louis XIV vient de leur construire à Paris à la fin des années 1660, ils s’inquiètent de ce qu’il n’existe pas d’éphémérides prenant le relais de celles de Hecker qui s’achèvent en 1680. Ainsi naît dans les mains de Joachim Dalencé, conseiller et bibliothécaire du Roi Soleil, la Connoissance des tems, ou Calendrier et éphémérides du lever et coucher du Soleil, de la Lune et des autres planètes avec les éclipses pour l’année 1679 calculées sur Paris et la manière de s’en servir pour les autres élévations avec plusieurs autres tables et traités d’astronomie et de physique et des éphémérides de toutes les planètes en figure (Connaissance des temps par la suite). Le titre est clair : on y trouve les éphémérides des principaux astres du système solaire et diverses tables pour les usages des astronomes, mais aussi des marins et d’un public plus large, comme des tables pour identifier la fausse monnaie (tables de densité et de masses volumiques) par exemple, et la volonté plus ou moins claire d’éradiquer l’astrologie des pratiques quotidiennes des astronomes !

Titre et frontispice Connaissance des temps 1679

Figure 2 - Titre et frontispice de la Connaissance des temps pour 1679 (Source : gallica.bnf.fr).

L’ouvrage est annuel et le premier volume pour l’année 1679 paraît dans les premiers jours du mois de mars 1679. La Connaissance des temps paraît donc depuis ce moment-là et n’a jamais connu d’interruption dans sa publication : c’est un fait remarquable !

Nous avons donné dans un autre focus la liste des directeurs et de leurs proches collaborateurs jusqu’en 1930 environ. Son titre connaît aussi des variations ; nous renvoyons le lecteur à la longue présentation que nous en avons faite avec Jean-Eudes Arlot sur le site dédié à la Connaissance des temps sur le site de l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Éphémérides (IMCCE).

Nous présentons ici quelques informations complémentaires sur l’évolution du contenu scientifique de cette éphéméride.

Jusqu’en 1740 et la parution des tables astronomiques de Jacques Cassini, il est assez difficile de savoir sur quelles tables sont calculées les éphémérides des planètes : celles de Kepler révisées par Ismaël Boulliau, les tables de Philippe et Gabriel de La Hire, les Tables carolines de l’anglais Thomas Street ? … Lorsque Jérôme Lalande prend la direction de la Connaissance des temps en décembre 1758, la situation change radicalement et, désormais on peut mieux suivre l’évolution du calcul des éphémérides ; les auteurs des tables sont identifiés dans les « avertissements » de la Connaissance des temps, dont la lecture est recommandée pour suivre l’évolution de cette publication jusqu’au début du XXe siècle (voir le site Connaissance des temps de l’IMCCE). Aux tables de Halley révisées, Lalande et ses successeurs intègrent les nouvelles tables astronomiques post-newtoniennes construites sur la nouvelle mécanique céleste bâtie par Euler, Clairaut et d’Alembert notamment. À partir du début du XIXe siècle, ce sont désormais des tables issues de la théorie de la gravitation révisée par Pierre-Simon Laplace qui prévalent pour la construction de la Connaissance des temps (tables du Bureau des longitudes, de Bouvard, Delambre, Bürg, Burckhardt, Damoiseau, Carlini, Plana, etc). Au cours du XIXe siècle, ce seront les tables de la Lune de Hansen ou les tables des planètes d’Urbain Le Verrier, puis celles de Simon Newcomb qui prendront le relais à l’aube du XXe siècle.

Configurations des satellites de Jupiter

Figure 3 - Tableau présentant les configurations des satellites de Jupiter, extrait de la Connaissance des temps (Source : gallica.bnf.fr).

Dès les années 1690, on voit paraître irrégulièrement les tables de Jean-Dominique Cassini des éclipses de Io, premier satellite de Jupiter dont les immersions et émersions (entrée et sortie du disque de Jupiter) peuvent être observées au cours d’une même (longue) nuit d’hiver. Ce type d’observation constitue la méthode privilégiée à la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIIIe siècle pour déterminer avec suffisamment de précision les longitudes terrestres et rectifier la carte du royaume de France. Ces tables évoluent significativement au cours des XVIIIe et XIXe siècles, jusqu’à avoir les éclipses des trois premiers satellites de Jupiter, données à partir de 1808 sous forme de graphique faisant penser à des sinusoïdes. La « figure de la Terre » occupe quelques commentaires dans des « Additions » à la Connaissance des temps dès les premiers numéros, relatant les « exploits » savants des astronomes du Roi Soleil quant à la mesure du méridien terrestre.

Au fil des années, tant sous la direction de l’Académie royale des sciences que sous celle du Bureau des longitudes, les contenus évoluent, certains disparaissent, d’autres apparaissent. Ainsi, avec Lalande en 1772, la Connaissance des temps passe d’une éphéméride au seul usage des astronomes, à un usage nautique pour les navigateurs avec l’intégration des distances lunaires (observation des distances angulaires entre la Lune et le Soleil ou la Lune et des étoiles choisies du zodiaque), méthode reine pour la détermination des « longitudes à la mer », jusqu’en 1905. C’est à partir des années 1760, que la Connaissance des temps est publiée 2 à 3 années à l’avance afin que les marins puissent disposer de l’éphéméride avant d’embarquer pour des voyages au long cours.

Tables des distances lunaires

Figure 4 - Tables des distances lunaires, extraites de la Connaissance des temps pour l'année 1872 (Source : gallica.bnf.fr).

Les catalogues des positions d’étoiles s’enrichissent et sont régulièrement révisés et augmentés à partir des années 1770 ; on voit aussi apparaître le catalogue des nébuleuses découvertes par Charles Messier à partir de la fin des années 1770. Des observations de comètes sont régulièrement publiées et commentées. Lalande et ses successeurs vont enrichir considérablement la Connaissance des temps en « Additions », véritables mémoires scientifiques remplis d’observations astronomiques, de considérations historiques sur telle ou telle découverte, sur les dernières évolutions de la géodésie, des mesures du « degré de méridien terrestre », de nouvelles « théories » des différentes planètes, des progrès de l’horlogerie astronomique et/ou nautique, etc. La Connaissance des temps s’enrichit aussi en tables de positions géographiques des principaux ports à la demande des marins, puis de lieux géographiques remarquables lorsque les explorations coloniales se multiplient dans la seconde moitié du XIXe siècle. La Connaissance des temps se nomme désormais Connaissance des Temps ou des Mouvements Célestes, à l’usage des astronomes et des navigateurs, titre qu’elle conservera jusqu’en... 1979 !

Figure 5 - Géographie (Source : gallica.bnf.fr).

Le XIXe siècle est aussi celui de la découverte des « petites planètes » c’est-à-dire des astéroïdes naviguant entre Mars et Jupiter. Leur nombre croît très rapidement et les tables donnant les positions de ces astres, comme les tables des positions géographiques, contribuent à faire exploser le nombre de pages de la Connaissance des temps. En 1700, la Connaissance des temps occupe environ 110 pages ; elle en fait un peu plus de 200 en 1760, presque 450 en 1780, et près de 1000 en 1885 !

On le voit dans cette courte introduction, la Connaissance des temps est un ouvrage aux contenus riches, témoin précieux, privilégié et incontournable de l’évolution de la science astronomique et de ses acteurs (français et internationaux) depuis la fin du XVIIe siècle. La conservation de cette collection relève de la conservation d’un patrimoine scientifique mondial essentiel.

Nous y consacrerons bien évidemment d’autres focus.


Bibliographie

Bléchet, Françoise, et Guy Boistel. « Notice sur La Connaissance des temps (1679 - 1789) ». Dictionnaire des journaux 1600-1789, http://dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr/journal/0221-la-connaissance-des-temps. Consulté le 27 octobre 2020.

Boistel, Guy. « La lente structuration d’un « service des calculs » du Bureau des longitudes et de la Connaissance des temps ». Les procès-verbaux du Bureau des longitudes - Un patrimoine numérisé (1795-1932), 18 décembre 2017, http://bdl.ahp-numerique.fr/focus-publications-gb-structuration-serv-calculs. Consulté le 27 octobre 2020.

« Connaissance des temps ou des mouvements célestes à l’usage des astronomes et des navigateurs... / publiée par le Bureau des longitudes - 172 années disponibles (1804-1984) ». Gallica, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34354613f/date. Consulté le 27 octobre 2020.

« La Connaissance des temps - 124 années disponibles (1679-1803) ». Gallica, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb327469896/date.r=.langFR. Consulté le 27 octobre 2020.