Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

La boussole de déclinaison Gambey de l'Observatoire de Paris

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Instrument présenté par Frédéric Soulu (Centre François Viète)

Publié le 19/07/2021

Boussole de déclinaison de Gambey (© Martina Schiavon / Frédéric Soulu)

  • Date : 1821 - aujourd’hui
  • Type : instrument de mesure de la déclinaison magnétique
  • Format : longueur=0,64m, diamètre du cercle=0,30m, hauteur=0,53m
  • Instrument dans la base = IPVBDL0781

Contexte d’émergence

En Europe, le magnétisme terrestre est utilisé pour la navigation maritime, avec plus ou moins de succès, depuis le Moyen-Âge. Au 15e siècle, les navigateurs portugais se sont familiarisés avec l’écart existant entre la direction du nord magnétique et celle du nord géographique que l’on appelle la déclinaison. Ils constatent sa variabilité sur le globe (Bellec, 2002, 41). Ces « lois dont la connaissance contribuerait puissamment aux progrès de la navigation[1] », une des missions premières du Bureau des longitudes, sont cependant encore très embrouillées au début du 19e siècle. L’ensemble des efforts visant à connaître le champ magnétique terrestre à cette période a été appelé, par l’historien des sciences John Cawood, la « croisade magnétique ». Carl Friedrich Gauss (1777-1855) sous l’impulsion d’Alexandre von Humboldt (1769-1859) développe un réseau mondial, épaulé par Edward Sabine (1788-1883), puis par Adolphe Quételet (1796-1874). La compétition est alors intense. De nouveaux instruments de mesure émergent dès le début du 19e siècle.

Signature de Gambey sur le cercle horizontal gradué (© Martina Schiavon / Frédéric Soulu)

À l’Observatoire de Paris, les variations du magnétisme terrestre sont étudiées depuis Jean-Dominique Cassini dit Cassini IV (1748-1845). En 1793, un nouvel instrument y est développé avec Michel, ouvrier de Françoise Marie Anne Langlois (ca 1748 - >1795), épouse et veuve Lennel, qui conjuguent les fonctions d’un théodolite et d’une boussole de déclinaison dont l’aiguille est suspendue par des fils : « j’ai réuni dans mon instrument la perfection de la suspension du fil de soie du citoyen Coulomb, et celle de la mesure des angles du cercle entier du citoyen Borda[2]. » Cassini condamne alors définitivement l’usage des boussoles sur pivot, « inadmissible dans les observations délicates[3] ». Cet instrument, plus sensible, lui permet de se rendre compte des perturbations des masses métalliques de la structure du bâtiment de l’Observatoire et un nouveau site d’observation est créé au fond du jardin. Cet instrument est cédé à la nouvelle direction, puis aux membres du Bureau des longitudes qui prennent les lieux en main en 1795. De nouvelles boussoles sont alors acquises : une boussole de variation de Coulomb (n°12 de l’inventaire de Cassini où elle est notée « sans aiguille » sur le manuscrit original[4]) est réparée par Fortin en 1798, une boussole de déclinaison auprès de Étienne Lenoir (1744-1832) en 1798, puis en 1800, réalisée avec une chape d’agate et déclarée aussi précise que les boussoles à suspension. Une boussole d’inclinaison magnétique, sur le même principe et réalisée en collaboration avec Abraham-Louis Bréguet (1747-1823), est commandée en 1817 à Lenoir.

À partir de 1810, François Arago (1786-1853), qui a vécu un échouage au large d’Alger et est attentif à ces problèmes de navigation (Arago, 1813, p. 139), observe le champ magnétique terrestre à l’Observatoire de Paris. Ses mesures sont publiées dans l’Annuaire du Bureau des longitudes à partir de 1812 et dans la revue Annales de Chimie et de Physique qu’il édite avec Joseph Louis Gay-Lussac (1778-1850). La déclinaison absolue et ses variations diurnes sont observées avec la boussole de Lenoir (Arago, 1813, p133-135) ou avec une boussole dite « de Fortin » mais plus probablement celle à suspension de Coulomb réparée par Fortin, d’après une description contemporaine de l’astronome genevois Alfred Gautier (1793-1881).

Construction (1821)

La boussole est présentée pour la première fois aux membres du Bureau des longitudes lors de la séance du 28 février 1821.

Treuil d'accrochage du fil de soie (© Martina Schiavon / Frédéric Soulu)

Lors de la séance de l’Académie royale des sciences du lundi 9 avril 1821, « M. Gambey demande des commissaires pour une nouvelle boussole qu’il a déposée à l’Observatoire » (Gay-Lussac, Arago, 1821, « Extrait des séances de l’Académie royale des sciences », Annales de Chimie et de Physique, vol. 17, p. 405)

Le rapport « très favorable » (Gay-Lussac, Arago, 1823, « Extrait des séances de l’Académie royale des sciences », Annales de Chimie et de Physique, vol. 24, p. 417), présenté à l’Académie par François Arago le 3 novembre 1821, est publié dans ses œuvres complètes.

La boussole est très coûteuse. Une somme de 1170f est versée à Gambey pour premier acompte le 5 mai 1821 (AN, F/4/2140, « Bureau des Longitudes. Compte de l’exercice 1820 »)

Au milieu des années 1820, la boussole de déclinaison de Gambey est présentée dans les expositions nationales comme par exemple lors de l’Exposition pour l’industrie nationale au Louvre en 1823 où il obtient la médaille d’or[5]. Son usage sur le terrain et en expédition est cependant rendu délicat par sa dimension. Deux opérateurs semblent nécessaires pour sa mise en œuvre.

L’ingéniosité de la construction de Gambey permet de mesurer la déclinaison magnétique à quelques secondes d’arc près.

Description

Cet instrument permet la mesure de la déclinaison magnétique, c’est-à-dire la valeur de l’angle entre la direction du Nord géographique et la direction du Nord magnétique donnée par l’aiguille de la boussole.

Dans cette boussole, un barreau magnétique aimanté est suspendu à un fil de soie sans torsion par l’intermédiaire d’une pièce de cuivre qui permet de retourner le barreau selon son axe de direction pour s’affranchir d’erreurs de mesure systématiques. Le fil est accroché à un treuil mobile qui permet de s’assurer de l’absence de torsion.

Barreau aimanté et boussole sans ses protections en bois (© Martina Schiavon / Frédéric Soulu)

Le fil est protégé par une boîte verticale vitrée.

Le barreau est lui aussi couvert par une boîte de bois, escamotable et vitrée à ses extrémités pour permettre la visée de la position du barreau, ou plus précisément de repères fixés à ses extrémités.

Un vernier solidaire de la boîte, permet de mesurer l’angle de position par rapport à un cercle gradué horizontal qui constitue la base de l’instrument. Cette base repose sur un tripode réglable. Une lunette de visée, sous le cercle, permet de s’assurer, sur une mire, que l’instrument n’est pas déplacé pendant la durée des mesures.

Deux colonnes, mobiles avec la boîte selon l’axe vertical de l’instrument, soutiennent le treuil du barreau. Elles se prolongent pour servir d’appui à une lunette mobile verticalement sur cet axe.

La lunette sert à la fois pour la visée d’astre, ou de mire, pour déterminer le méridien céleste local mais, par l’ajout d’une pièce optique, devient un microscope de visée des repères du barreau aimanté. Cette astuce est un des principaux apports de Gambey.

Le principe général de la mesure est le suivant : avec la lunette supérieure, on vise un astre situé dans le méridien. On note sur le cercle horizontal la division correspondante. La quantité dont il faut ensuite faire tourner la boite sur le cercle, pour que l'on puisse apercevoir les pointes du barreau, indique la déclinaison.

Désignations

boussole de déclinaison, boussole de déclinaison absolue, aiguille de déclinaison

Usage scientifique de 1821 à 1882 (?)

Les observations réalisées par François Arago ont été exposées dans un article de synthèse :

Arago François, « Magnétisme terrestre », in Barral Jean-Augustin, Oeuvres complètes de François Arago, tome 4, Gide (Paris) et T. O. Weigel (Leipzig), 1854, p. 459-544.

Lieu

Lors de son installation à l’Observatoire de Paris, la boussole est probablement stockée dans le bâtiment pendant la première année. Lors de sa mise en œuvre, elle est installée loin des perturbations métalliques du bâtiment, dans une petite cabane au fond du parc de l’Observatoire. L’astronome genevois Gautier en donne la description suivante : « au bout de la terrasse de l'Observatoire du côté du midi, un petit pavillon octogone, construit en bois avec des fondements de pierre, et dont toute la partie métallique est en laiton. C'est sur un pilier en pierre, placé à son centre, qu'on établit les appareils magnétiques destinés aux mesures absolues » (Gautier, 1825, p. 96).

Cette boussole est toujours utilisée à l’Observatoire de Paris en 1858 (Annales de l’Observatoire impérial de Paris – Observations, tome 14, Mallet-Bachelier (Paris), 1861, p. 54).

Elle est même utilisée quelques années plus tard pour une expédition d’observation de l’éclipse de Soleil au Siam, sur la presqu’île de Malacca, dans l’actuelle Thaïlande (Stephan Edouard, 1868, « Rapports sur l’éclipse de Soleil du 18 août 1868 », Archives des missions scientifiques et littéraires, 2e série, tome 5, p. 599).

Entretien, réparation

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Désinstallation, conservation

Mouchez ne semble pas utiliser l’instrument lorsqu’il réorganise un service de géomagnétisme dans les salles souterraines de l’Observatoire de Paris en 1882 (Mouchez Ernest, Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris pour l’année 1882, Paris, Gauthier-Villars, 1883, p. 11-12).

Il n’est pas certain que l’instrument conservé dans les collections de l’Observatoire (Inv. D1) soit celui qui servit à Arago, même s’il est d’un modèle identique.



Bibliographie

Arago François, 1813, « Sur les Phénomènes de l’Aiguille aimantée », Annuaire du Bureau des longitudes, vol. 1814, p. 132-139.

Bellec François, 2002, « Les hypothèses de Joào de Lisboa. Déviation magnétique et fausses pistes. », in Jullien Vincent (dir.), Le calcul des longitudes, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 37-59

Cawood John, 1979, « The Magnetic Crusade: Science and Politics in Early Victorian Britain », Isis, 70(4), p. 493-518.

Gautier Alfred, 1825, « Astronomie. Coup d’œil sur l’état actuel de l’astronomie pratique en France et en Angleterre », Bibliothèque universelle des sciences, belles-lettres, et arts, vol. 28, p. 89-106.



[1] Arago François, 1813, « Sur les Phénomènes de l’Aiguille aimantée », Annuaire du Bureau des longitudes, vol. 1814, p. 132.

[2] Cassini Jean-Dominique, an 12 [1804], « Description d’une nouvelle boussole propre à déterminer avec la plus grande précision la direction et la déclinaison absolue de l’aiguille aimantée », Mémoires de l’Institut National des Sciences et Arts. Sciences mathématiques et physiques, vol. 5, p. 148.

[3] Cassini, an 12 [1804], « Description ... », art. cit., p. 153.

[4] Bibliothèque de l'Observatoire de Paris, D5/39 (42)-(43). Fortin, Jean (1750-1831), Lenoir, Etienne (1744-1832), et Charles, “Inventaire des Instruments d'optique et d'astronomie de l'Observatoire de la République. 1793.,” Bibliothèque numérique - Observatoire de Paris, consulté le 10 juin 2021, https://bibnum.obspm.fr/ark:/11287/3mX4p.

[5] « Le jury ne pense pas qu’il y ait maintenant en Europe d’artiste supérieur à M. Gambey ; il lui décerne une nouvelle médaille d’or. » Héricart-Ferrand de Thury Louis-Étienne-François, Migneron, Pierre-Henri, Rapport sur les produits de l'industrie française , présenté, au nom du jury central, à S. E. M. le Comte Corbière, ministre secrétaire d'état de l'intérieur, Paris, Imprimerie Nationale, 1824, p. 322