Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Séance du 18 février 1857

Titre Séance du 18 février 1857
Créateur inconnu
Contexte Registre 1845-1859 (copies)
Date 1857-02-18
Identifiant C1845_1859_630
Format 25,7 x 38,6 cm; image/jpeg;
Éditeur Bureau des longitudes; Observatoire de Paris; Laboratoire d'Histoire des Sciences et de Philosophie - Archives Henri Poincaré (UMR 7117 CNRS / Université de Lorraine);
Droits CC BY-SA 3.0 FR
Type Manuscrit; Text; Procès-verbal;
Description

Séance du 18 Février 1857.

Présidence de M. Deloffre

Il est donné lecture du procès-verbal de la séance précédente, sa rédaction est adoptée.

Le Bureau reçoit le n° 1066 des Nouvelles Astronomiques, ce N° contient une lettre de M. Moesta, Directeur de l'Observatoire de Santiago au Chili sur le mouvement propre de l'étoile ɛ de l'Indien dans l'hémisphère Sud et des notes de M. Schmidt d'Olmutz sur différentes étoiles variables.

M. Mathieu présente le volume de la Connaissce des Temps pour  1859, sans additions.

M. Villarceau présente la Note qu'il a rédigée conformément à la demande qui a été faite dans la dernière séance.

On parle de la comète dont le retour est annoncé pour cette année.

 

Note sur l'aberration de la lumière

et

Considérations sur le mouvement du système solaire

Par M. Yvon Villarceau

18 Février 1857.

 

L'étude du rôle que joue l'aberration dans le mouvement apparent des étoiles doubles m'a conduit à reprendre la théorie de l'aberration.

Pour obtenir des résultats à l'abri de toute objection sérieuse, il m'a paru nécessaire de rattacher la théorie de l'aberration à un principe simple et clair et qui fut en harmonie avec ce que l'on possède de mieux établi en cette matière.

Ce principe qui est d'ailleurs admis par les physiciens peut s'énoncer ainsi : la propagation des ondes lumineuses dans les espaces célestes se fait en ligne droite, et elle est indépendante du mouvement de la source lumineuse.

Si l'on admet que l'Ether n'éprouve lui-même aucun mouvement de translation, le mouvement de propagation de la lumière sera un mouvement absolu.

Partant du principe énoncé, j'ai fait usage de l'analyse des coordonnées rectangulaires appliquée d'abord aux mouvemens absolus, en introduisant les composantes inconnues du mouvement de translation du système solaire et la vitesse absolue de la lumière. Les mouvemens relatifs ou apparents ont été déduits sans peine et transformés en substituant les coordonnées sphériques et les distances aux coordonnées rectangulaires.

Ce mode d'analyse fournit en même temps les aberrations et parallaxes diurnes et annuelles. Les termes qui contiennent la vitesse de la lumière fournissent les aberrations et ceux qui en sont indépendants donnent les parallaxes.

Une vérification des résultats obtenus consiste en ce que, si l'on suppose nulles les trois composantes de la vitesse du système solaire, on retrouve les formules connues de l'aberration diurne et annuelle, les expressions des parallaxes coïncident également avec celles que l'on emploie journellement.

Mais en tenant compte de la vitesse de translation du système solaire, on trouve que la quantité connue sous le nom de constante de l'aberration varie avec les coordonnées angulaires des étoiles, au lieu d'être un coefficient restant le même pour toutes.

La constante de l'aberration est donnée ordinairement en raison inverse de la vitesse de la lumière, tandis qu'elle doit être en raison inverse de la vitesse de la lumière composée avec celle du système solaire prise en sens contraire. La nécessité de ce changement peut être aisément vérifiée par la géométrie.

Si l'on suppose que l'on ait déterminé par les observations, les coefficients de l'aberration particuliers à un certain nombre d'étoiles distribuées convenablement dans le ciel, on pourra essayer d'en déduire les trois composantes du mouvement de translation du système solaire et la vitesse de la lumière. Dans le cas où les coefficients de l'aberration ne seraient pas suffisamment distincts, on ne pourrait pas déduire même approximativement les trois premières inconnues, mais en fixant les limites des erreurs des données fournies par l'observation, il sera toujours possible de fixer la [barré : vitesse] limite correspondante de la vitesse du système solaire.

Le nombre des inconnues étant de quatre, on voit que quatre déterminations du coefficient de l'aberration sont indispensables ; ajoutons d'ailleurs que les quatre étoiles qui les ont fournies ne doivent pas être toutes situées sur un même petit ou grand cercle de la sphère. En en employant plus de quatre la même condition substiturait [subsisterait] ; d'où l'on conclut que si, comme il convient de le faire, on applique le procédé d'observation qui consiste à mesurer les distances zénithales d'étoiles passant près du zénith d'un observatoire, les observations faites en un même lieu seront insuffisantes pour résoudre le problème posé.

On conçoit d'ailleurs qu'il sera toujours convenable d'employer un nombre de données de beaucoup supérieur à celui des inconnues et l'on aura une preuve de l'exactitude de la théorie si les valeurs des inconnues déterminées avec discernement satisfont à toutes les observations dans les limites assignées par leur précision.

Avant d'aller plus loin nous allons rapporter ici les formules à l'aide desquelles on peut calculer les valeurs des composantes de la vitesse du système solaire et la vitesse même de la lumière en supposant donnés les coefficients de l'aberration particuliers à diverses étoiles.

Soient

v la vitesse de la lumière

u la vitesse de translation du système solaire

AR [un tiret au-dessus du symbole] et D [un tiret au-dessus du symbole] l'ascension droite et la déclinaison de la direction de cette même vitesse

a le demi grand-axe de l'orbite terrestre

e l'excentricité de cette orbite

T la durée de l'année sidérale

α le coefficient de l'aberration d'une étoile

AR et D l'ascension droite et la déclinaison de cette étoile

π rapport de la circonférence au diamètre

On posera pour chaque étoile une équation de la forme

(1)  [formule mathématique]

u, x, y, z [un tiret au-dessus de x, y et z] sont des inconnues qu'il s'agit de déterminer.

Ayant déduit les valeurs de ces inconnues d'un nombre convenable d'équations de la forme précédente, appliquée à des étoiles convenablement distribuées dans le ciel, on obtiendra les inconnues AR [un tiret au-dessus du symbole] et D [un tiret au-dessus du symbole] et une quantité ϒ au moyen des formules.

(2)  [formules mathématiques]

Les conditions de l'emploi de ces formules sont que ϒ et cosD ressortent positifs.

On calculera ensuite

(3)  [formule mathématique]

(4)  [formule mathématique]

et l'on aura

(5)  [formule mathématique]

(6)  [formule mathématique]

Telle est la [barré : situation] solution exacte du problème.

Si l'on suppose déterminées les quantités précédentes où γ" désignerait la vraie constante de l'aberration, [barré : et] <on> pourra rechercher le coefficient α particulier à l'étoile dont AR et D sont l'ascension droite et la déclinaison.

A cet effet on commencera par calculer l'angle x formé par la direction de l'étoile et celle du mouvement absolu du système solaire. Les trois formules suivantes donneront cet angle et en outre un angle ψ qu'il est inutile de considérer d'ailleurs.

(6) [formules mathématiques]

soit φ un angle auxiliaire donné par la relation

(7)  [formule mathématique]

et sous la condition que cosφ soit positif, on aura finalement

(8)  [formule mathématique]

Cette expression ne fournit qu'une valeur de α malgré l'ambiguïté apparente de x : en effet, si l'on change le signe de sinx on change en même temps celui de sinφ et dès lors le numérateur et le dénominateur changent simultanément de signes, ce qui ne produit aucun changement dans la valeur du coefficient α

 

Applications.

Deux circonstances semblent indiquer que la théorie précédente ne peut conduire à la détermination du mouvement du système solaire.

En premier lieu, on possède déjà des résultats qui s'ils ne sont pas exacts à 1/3 ou ¼ près de leur véritable valeur, paraîtraient cependant de nature à fixer les idées sur la grandeur de la vitesse du système solaire.

Secondement ; les déterminations de la constante de l'aberration déduites des observations de diverses étoiles paraissent s'accorder autant que le permet la précision actuelle des instrumens employés.

Les résultats obtenus par divers astronomes et notamment par M. Otto Struve indiqueraient que la vitesse de translation du système solaire est telle qu'en une année notre système parcourt un chemin compris entre une et deux fois le demi grand axe de l'orbite terrestre. Si l'on admet qu'effectivement la vitesse du système solaire soit de cet ordre de grandeur, il faudrait pour la déduire de notre théorie pouvoir répondre de l'exactitude des coefficients de l'aberration jusque dans les demi-millièmes de secondes d'arc ; or il est pour ainsi dire certain que les conditions atmosphériques dans lesquelles se font inévitablement les observations, ne permettront jamais d'obtenir une telle précision ; le coefficient de l'aberration n'étant pas de ceux dont l'exactitude puisse croître avec le temps qui sépare les époques des observations.

Pour apprécier la nature du résultat obtenu par M. Otto Struve, il convient de nous arrêter un instant sur les hypothèses que l'on a été jusqu'ici obligé de faire dans ce genre de recherches.

Les données, quant à la direction du mouvement solaire, sont les mouvements propres des étoiles fournis par la comparaison des positions angulaires obtenues à de longs intervalles et dépouillés des effets de la précession de la mutation [nutation ?] et de l'aberration. La détermination du mouvement lui-même nécessite en outre l'emploi de parallaxes observées ou déduites d'hypothèses plus ou moins vraisemblables. Or, on ne peut éviter d'introduire dans les calculs les différences des composantes des vitesses absolues des étoiles et du soleil ; en sorte que si l'on imagine que les étoiles comparées et le soleil soient animés d'une vitesse commune entièrement arbitraire, telle que celle du centre de gravité de leur ensemble, cette vitesse commune disparaîtra, et les différences des composantes se réduiront aux différences des excès de ces mêmes vitesses sur la vitesse commune. On ne pourra donc obtenir finalement autre chose que la vitesse du soleil et la direction de cette vitesse relativement à des axes animés de la vitesse commune ; encore pour y parvenir sera-t-on obligé d'admettre sans démonstration que les excès des composantes de la vitesse des étoiles sur la vitesse commune s'entredétruiront dans un résultat fondé sur la considération d'un très grand nombre d'étoiles ?

La seule probabilité qu'il en peut être effectivement ainsi se déduirait de la condition que les résultats convergent vers de certaines limites à mesure que le nombre des étoiles que l'on emploie est plus grand. Quoiqu'il en soit, l'impossibilité d'assigner la vitesse commune et la direction subsiste toute entière, et par suite, celle de fixer le vrai mouvement du système solaire.

On aura peut-être quelque peine à concevoir qu'un ensemble considérable d'étoiles soit animé d'un mouvement commun, et peut-être préférera-t-on, pour cela, le supposer nul a priori ? Il est possible que ce mouvement soit effectivement très petit et négligeable vis-à-vis de celui de l'un des corps qui le composent, mais on n'en sait absolument rien.

En interprétant la pensée de M. Struve père sur la construction physique de l'univers, on pourrait arriver à une conception qui exclurait ce que nous avons présenté comme arbitraire dans le mouvement commun d'un ensemble d'étoiles en y substituant un mouvement commun dans l'acception ordinaire du mot.

M. Struve étendant les spéculations d'Herschel sur la constitution de la voie lactée arrive presque à cette conclusion ; que la voie lactée comprend toutes les étoiles en apparence isolées, qui sont situées dans toutes les directions, même dans la direction perpendiculaire au plan moyen de cette nébuleuse. Si l'on excepte les autres nébuleuses et les amas d'étoiles, la voie lactée renfermerait tout le reste de l'univers accessible à nos instruments. Or, si l'on se place à ce point de vue, il ne répugnera nullement d'admettre que cet immense système ne soit animé d'un mouvement commun dont la grandeur importe peu pour l'instant ; car autrement il finirait par se disperser en vertu des mouvements particuliers aux étoiles qui en font partie.

Il est donc évident que le procédé employé jusqu'ici pour déterminer le mouvement propre du système solaire ne peut fournir qu'un mouvement relatif aux étoiles. Le mouvement commun peut être très faible, mais quelque grand qu'on le suppose, les déterminations dont il est question sont impuissantes à le déceler. Entre le mouvement relatif qu'elles représentent et le mouvement absolu, aucun rapport de grandeur ne peut être assigné a priori.

La théorie de l'aberration, au contraire, nous ferait connaître le mouvement absolu ou résultant, si la précision des observations était suffisante ; en combinant ce mouvement avec le mouvement relatif obtenu par M. Otto Struve, on en déduirait le mouvement commun que l'on pourrait regarder comme propre à la voie lactée, si l'on admettait la conception que nous prêtons à M. Struve père.

Examinons actuellement l'objection tirée de la concordance des diverses valeurs obtenues de la constante de l'aberration.

Le degré de concordance de ces nombres ne descend pas jusqu'à la dernière des décimales qui y figurent. Toute la question est donc de savoir si leur discordance doit être imputée toute entière aux méthodes et observations ou si une partie ne devrait pas en être attribuée à des différences réelles tenant aux diverses situations des étoiles dans le ciel.

Pour résoudre cette difficulté, le seul moyen consisterait à observer de nouveau les étoiles déjà étudiées avec soin, dans des lieux ayant à peu près la même latitude que ceux où elles ont déjà été observées, et d'employer des méthodes différentes autant que possible. Enfin, il conviendrait aussi de se procurer des déterminations de l'aberration au moyen d'étoiles observables au zénith dans les régions de l'hémisphère Sud et de comparer les résultats obtenus par des méthodes et observations différentes. On parviendrait de la sorte à établir un accord entre les déterminations relatives à une même étoile qui se maintiendrait jusqu'à un ordre de décimales de secondes au-delà duquel commencerait l'incertitude.

Si toutes les étoiles donnaient des résultats identiques, jusqu'au même ordre de décimales où deux déterminations d'une même étoile s'accordent, on aurait la preuve que la constante de l'aberration est bien la même pour toutes les étoiles jusqu'à cet ordre de décimales, et ayant ainsi fixé la limite de précision des données de l'observation, on obtiendrait une limite supérieure de la vitesse de translation du système solaire ainsi qu'il a été dit plus haut.

Si, au contraire les coefficients de l'aberration concordants pour une même étoile ne s'accordent pas avec ceux relatifs à d'autres étoiles pour chacune desquelles l'accord des déterminations individuelles serait suffisamment établi, on aurait le moyen d'obtenir une valeur au moins approximative de la vraie vitesse de translation du système solaire et la vitesse de la lumière elle-même.

Les recherches de cette nature paraissent loin d'être inopportunes ; en effet les coefficients de l'aberration donnés par divers astronomes ne présentent pas tout l'accord désirable ; et récemment M. Main de Greenwich a déduit de ses propres observations de γ du Dragon poursuivies pendant environ 12 ans, une constante de l'aberration qui ne s'accorde pas avec celle à laquelle s'arrête la généralité des astronomes. M. Main déclare que sa méthode lui paraît exempte de toute cause d'erreurs dont il n'ait pas tenu compte, et il appelle l'attention des astronomes sur les procédés qu'il a employés et sur les résultats qu'il en a déduits. Le mouvement du système solaire pourra-t-il expliquer cette anomalie du moins en partie ? c'est ce que l'avenir éclaircira sans doute.

                  Observatoire

                             1857 février 18.

                                         Signé : Yvon Villarceau.

Type de document Procès-verbal
Président de la séance Deloffre, Théodore (1787-1864)
Transcripteur Muller, Julien
Commentaires Ce procès-verbal est suivi d'une note sur l'aberration de la lumière et de considérations sur le mouvement du système solaire par M. Yvon Villarceau.
Collection Registre 1845-1859 (copies)
Citer ce document “Séance du 18 février 1857”, 1857-02-18, Les procès-verbaux du Bureau des longitudes, consulté le 20 avril 2024, http://purl.oclc.org/net/bdl/items/show/10005

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