Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

[Remarques d'Antoine d'Abbadie sur le procès-verbal du 7 janvier 1880]

Titre [Remarques d'Antoine d'Abbadie sur le procès-verbal du 7 janvier 1880]
Créateur Abbadie, Antoine d' (1810-1897)
Contexte Volume 1876-1880
Date 1880-01-07
Identifiant O1876_1880_265
Relation O1876_1880_228
Format 12,8 x 20,6 cm; image/jpeg;
Éditeur Bureau des longitudes; Observatoire de Paris; Laboratoire d'Histoire des Sciences et de Philosophie - Archives Henri Poincaré (UMR 7117 CNRS / Université de Lorraine);
Droits CC BY-SA 3.0 FR
Type Manuscrit; Text; [Note];
Description

[en marge : à annexer au procès verbal de la séance du 7. Janv 1880] A propos du procès-verbal M. d'Abbadie s'exprime ainsi qu'il suit :

Pour les voyages par terre on a recommandé l'usage d'un sextant accompagné d'un horizon artificiel. Il n'est pas difficile de montrer l'erreur de cette opinion. Le liquide indispensable à l'horizon artificiel est sujet à se répandre, et ne peut guère se remplacer en voyage. Les glaces qui servent à l'abriter ont rarement des surfaces parallèles et introduisent ainsi dans les meilleures observations des erreurs qu'on ne peut mesurer. Ce n'est pas tout : il est de l'intérêt du voyageur de réduire ses bagages et de ne pas porter avec lui une quantité encombrante de chandelles. Il est donc pratiquement amené à n'observer que de jour et à déterminer sa latitude par le soleil. Or l'intervention de l'horizon artificiel oblige à mesurer le double de l'angle au-dessus de l'horizon. Précisément les contrées où il y a les plus de découvertes à faire sont situées en Afrique entre les tropiques. Le Soleil y culmine près du zénit et le sextant ne peut mesurer alors sa hauteur dans l'horizon artificiel, car ce sextant n'embrasse jamais un arc de plus de 140 degrés.

Une raison plus grave nous commande de proscrire l'usage du sextant en voyage : cet instrument ne donne pas les azimuts des divers points d'un paysage, et prive ainsi le voyageur de ces directions liées que meublent à si peu de frais les espaces blancs d'une carte. Enfin, et à moins de recourir à un procédé fort long, on n'obtient pas par le sextant les altitudes relatives ou absolues des hauteurs lointaines que l'entrecroisement des directions permet de placer sur la carte.

En conséquence le voyageur qui n'a que le sextant comme instrument de précision se borne toujours à observer des latitudes non liées, des longitudes plus rarement, et à raccorder ces points isolés par ses temps de parcours qu'il corrige tant bien que mal par l'estime c'est-à-dire par une hypothèse le plus souvent gratuite.

L'instrument à deux cercles perpendiculaires, le théodolite ou altazimuth des Anglais est donc par excellence l'instrument de précision du voyageur. Il s'en servira pour observer sa latitude à n'importe quelle hauteur de l'astre qu'il observe et sa longitude par des différences d'azimuths d'un astre et de la lune, ou plus commodément par des séries d'apozénits de la lune, en ayant soin de les encadrer dans des hauteurs d'un astre servant à donner l'heure du lieu. Cet instrument à deux cercles donne surtout et à peu de frais les azimuts absolus ou relatifs des montagnes éloignées, et de plus leurs altitudes toutes les fois qu'on s'est ménagé une base.

Un premier voyage en Ethiopie, m'ayant démontré pratiquement les désavantages du sextant, j'ai commandé à Gambey un petit théodolite que j'attendis en vain pendant six mois. Pressé de partir j'achetai alors un instrument fait par Pistor à Berlin. Malgré de sérieux défauts de construction, cet instrument servit, faute de mieux à tout mon voyage d'exploration. Dès mon retour je l'ai donné comme modèle à Lorieux, et j'y introduisis quelques améliorations. C'est ce modèle prussien qu'on appelle, au Dépôt de la marine, le théodolite Lorieux. Parmi les défauts de construction qu'on y trouve je me bornerai à citer la petitesse de la lunette, le manque de contrepoids, la grande difficulté qu'on y éprouve à observer un astre près du zénit, et surtout l'ennuyeuse nécessité de régler les niveaux que le ballotage des vis dérange presque toujours en route. J'ai rémédié à tous [en marge, verticalement : ces défauts dans l'instrument de voyage que j'ai fait construire depuis 1865.]

On continue à recommander au voyageur les observations des distances lunaires qui ne peuvent se mesurer directement qu'avec le sextant ; mais les apozénits ou les azimuts de la lune sont bien plus commodes à observer et m'ont toujours donné des longitudes bien plus concordantes que celles des distances lunaires. C'est par le moyen de l'instrument Prussien, qui a servi de modèle au théodolite dit de Lorieux, qu'en employant la méthode des azimuts croisés j'ai obtenu 800 latitudes et longitudes en Ethiopie. Ces positions, n'étaient controlées ça et là que par 52 latitudes astronomiques, et s'appuyaient sur une longitude fondamentale [barré : contrôlée] vérifiée par un très-petit nombre de longitudes indépendantes. Quand on a obtenu ainsi un grand nombre de points rapprochés et [barré : se contrôlant] s'appuyant réciproquement, les erreurs dans les détails du temps de parcours du voyageur deviennent beaucoup moins importantes s'il s'agit d'un voyage d'exploration.

Une reconnaissance géodésique de ce genre, bien qu'on n'y mesure généralement que deux angles dans chaque triangle, suffit pour donner les différences de longitudes, et dispense de l'emploi du chronomètre. Ces instruments délicats si utiles en mer où ils ne sont exposés qu'aux mouvements relativement moelleux du navire qui les porte ne rendent pas les mêmes services dans un voyage sur terre. Malgré plus de 300 observations du temps je n'ai pu obtenir par chronomètre que six différences de longitude inférieures à la vérité de deux minutes et quatre autres qui en dépassent cinq. Ces énormes erreurs n'ont jamais été atteintes dans mes différences de longitudes par azimuts lesquelles montent aussi à 800.

Peut-être pourrait-on se fier à des différences de longitude si elles étaient données [barré : par] d'une manière concordante par deux ou trois chronomètres. L'achat de plusieurs de ces montres constitue une dépense importante pour bien des voyageurs. Le transport des chronomètres expose en outre à deux inconvénients graves : on sait que leur échappement, qui est à ressort, ne se remet pas en marche quand il a été arrêté. Une chute du voyageur, un heurt, ou même le genre de marche de certaines bêtes de somme suffit pour arrêter un chronomètre ainsi que cela m'est arrivé trop souvent. Enfin, il est souvent difficile de se rappeler qu'on doit monter son chronomètre. La règle si naturelle de le faire tous les matins avant de manger n'est réellement utile que dans un navire où l'on dort à côté de ses vivres. Il n'en est pas ainsi en voyage du moins en Afrique. Ici on doit ne cheminer que de nuit : plus loin le voyage de jour est le seul pratiquable, ailleurs enfin la chaleur force tout le monde à se réposer de midi à trois heures. Ce n'est pas tout : maintes fois l'heure du repas est irrégulière et il arrive si souvent de ne manger qu'une seule fois dans l'espace de trente heures que le chroniqueur du voyage cesse de narrer toujours un fait si monotone quoique désagréable pour lui. Dans ce genre de voyage je préférerais de beaucoup deux ou trois bonnes montres dont l'échappement repart de lui-même quand on l'arrête et dont la marche diurne sera donnée par des observations spéciales faites tant avant qu'immédiatement après les observations de latitude et de longitude. Quant aux azimuts, il vaut mieux les déterminer sans le secours d'une montre.

Je demanderais pardon d'être entré dans tous ces détails s'ils ne m'amenaient naturellement à parler de l'observatoire où le Bureau des longitudes a eu la [barré : excellente] bonne pensée d'offrir une instruction spéciale tant au voyageur par terre qu'au marin. Nous avons à la Sorbonne des cours publics où d'excellents proffesseurs donnent à tout venant des instructions admirables. Il ne manque pas de gens pour les écouter, les uns par désœuvrement, les autres parce qu'ils se laissent séduire à la beauté de ces leçons. Sauf pour les écoles spéciales astreintes à suivre ces cours et obligées à subir des examens sur leurs enseignements, ces leçons de la Sorbonne, si généreusement et si bien données sont le plus souvent perdues pour l'ingrat public. Il en sera [barré : trop souvent] <quelquefois> de même pour l'instruction si largement offerte aux voyageurs à Montsouris. Ne serait-il pas à propos de denier à ces élèves le droit de se désigner comme ayant été instruits dans cette école unique au monde, à moins qu'ils ne s'astreignent en la quittant à subir un examen qui leur donnerait par exemple le titre d'agréés du Bureau de longitudes? Cet examen serait tout pratique : par un beau jour et quand la lune serait sur l'horizon l'un de nous partirait en chemin de fer avec le candidat, s'arrêterait à une petite station non désignée d'avance, et désignerait dans le voisinage un lieu marqué sur la carte de l'Etat major. L'élève devrait aussitôt procéder à l'observation de l'heure, de la latitude, de la longitude, de l'azimut et de l'altitude. Il finirait par un tour d'horizon qui embrasserait tous les objets saillants. Ensuite le professeur se séparerait de son élève en emportant le double de tous ses chiffres. Si ce dernier est assez avancé, il réduira toutes ses observations lui-même ; mais il sera aisé d'en tirer bon parti même dans le cas où l'observateur peu rompu aux calculs, aura suivi scrupuleusement un guidane préparé d'avance. Si je suis entré dans tous ces détails c'est afin de donner toute son efficacité et tout son éclat à l'Ecole des voyageurs fondée, avec tant de raison, par le Bureau des Longitudes.

Type de document Procès-verbal
Transcripteur Muller, Julien
Commentaires Cette note aurait été remise par M. d'Abbadie à la séance du 28 janvier 1880.
Collection Volume 1876-1880
Citer ce document “[Remarques d'Antoine d'Abbadie sur le procès-verbal du 7 janvier 1880]”, 1880-01-07, Les procès-verbaux du Bureau des longitudes, consulté le 29 mars 2024, http://purl.oclc.org/net/bdl/items/show/3511
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