[Note d'Antoine d'Abbadie annexée au procès-verbal de la séance du 30 août 1882]

[en bas de page : Note de M. d'Abbadie <composée de 4 feuilles> à annexer au procès verbal séance du 30 aout 1882]

Le samedi soir du 9 juillet 1853 j'étais dans une maison isolée près Hendaye et à 400 mètres environ du rivage de l'Océan. La chambre où je me trouvais est à 3.5 mètres au-dessus d'une prairie dont le sol est estimé à une altitude de 15 mètres environ, bien que la dépression de l'horizon mesurée quelques jours plus tard et égale à 11'8" ait indiqué une altitude de 42 mètres. (La distance zénithale de l'horizon de l'océan était alors 90°11'8".)

Le ciel était entièrement couvert, mais une lueur vague éclairait un horizon couronné d'un grand nombre de points rouges dans les nuages. Il était alors 8^h25^m de temps moyen. Ce qui était surtout remarquable, c'est que ces disque rouges offraient l'apparence d'autant de soleils bien ronds, et à bords généralement un peu baveux ; ils étaient disposés à peu près parallèlement à l'horizon de l'Océan, et bien nettement espacés sur une étendue considérable. Dans le premier moment j'en comptai dix-sept assez également distants les uns des autres, et deux tout à fait détachés dans la partie du sud près de l'endroit où la pointe dite [barré : Higuier] Higiuer [Higuer] intercepte, près de Fontarabie, la vue de la mer. Le temps vrai étant alors huit heures vingt minutes, le soleil était à 7°10' au-dessous de l'horizon. Je voulus faire un croquis du phénomène ; mais quand je fus en mesure de dessiner, il avait changé d'aspect. La plupart des disques ronds étaient devenus irrégulièrement angulaires, et deux d'entre eux avaient disparu doucement.

La plupart des disques, en commençant à se déformer, jetaient vers l'horizon comme une cascade de flammes assez pareilles à ces sortes de gloires qui, s'échappant des nuages au coucher du soleil, ont été souvent reproduites par les peintres.

Bien que le météore changeât à tout moment, il était important de faire quelques observations précises qui pussent servir de base à une théorie de ce rare phénomène. [mot barré] Descendant dans la prairie attenante, et, après y avoir placé à distance et comme signal une lampe allumée, je pris, au moyen d'un sextant, les angles suivants qui furent orientés le lendemain avec un théodolite. Les azimuts sont comptés du nord par l'est, de manière que le sud est exprimé par 180°, l'ouest par 270°, le nord-ouest par 315°, et ainsi de suite.

A huit heures quarante-deux minutes temps moyen :

Point A. Azimut des deux faux soleils isolés, 280°.

Point B. Azimut du commencement de la suite des 17 soleils, 311°,3.

Point C. Azimut de la fin de cette suite, 340°,5.

A 8^h28^m le point B avait une hauteur de 45',5 au-dessus de l'horizon apparent de la mer vue d'une altitude de 42 mètres : le point C avait 29',5 au-dessus du même horizon, d'où l'on voit que la ligne passant par les dix-sept faux soleils était légèrement inclinée vers le nord.

Les divers disques perdant ensuite leur éclat peu à peu, et se résolvant le plus souvent en de longues lueurs horizontales, il ne restait qu'à observer le moment de leur disparition complète. Les dernières lueurs du point B s'éteignirent à 8^h50^m25^s. Peu à peu un petit disque bien brillant apparut dans son voisinage, s'effaça lentement, et disparut à 8^h52^m39^s. Quatre nouveaux disques apparurent à 8^h55^m8^s : peu après, l'un des anciens disques disparut, et il s'en forma encore un du côté du sud. En même temps les deux disques en C augmentèrent d'éclat, les deux en A avaient disparu complètement en s'éteignant peu à peu, et les disques en B s'écartèrent dans le sens horizontal en allant vers le sud. Le disque le plus méridional n'étant plus qu'une faible lueur, disparut à 8^h59^m18^s. Le disque extrême du côté du nord grandit alors en diamètre, et sa hauteur apparente s'accrut jusqu'à 55', quantité que je dus estimer, car l'horizon était alors trop sombre pour permettre l'usage des instruments. A 9^h2^m8^s le disque extrême du côté du sud continuait à grandir, et le dernier vers le nord perdait son éclat d'un moment à l'autre : celui-ci s'évanouit à 9^h4^m8^s. Enfin à 9^h10^m, la dernière lueur rouge, au sud, venait de disparaître, la dernière au nord n'étant qu'un de ces liserés rougeâtres, faiblement accusés, qu'on voit souvent après le coucher du soleil dans un horizon nuageux.

Le soleil était alors à 13°56' au-dessous de l'horizon, et occupait un point dont l'azimuth était 320°36'. Au commencement du phénomène, l'azimut du soleil était égal à 310°12', ce qui s'écartait peu de l'azimuth 311°3 du point B, si nettement indiqué par le rapprochement de trois disques.

On voit que tous ces phénomènes eurent lieu dans la période crépusculaire ; on peut les expliquer par des solutions de continuité circulaires dans les nuages, qui donnaient ainsi passage aux rayons du soleil ; mais j'ai cru devoir les décrire parce que de pareils effets sont rares, et ne me paraissent pas avoir été mentionnés. Je n'ai rien dit de l'apparence grandiose que présente un chapelet de perles rouges suspendu sur une ligne presque droite dans un ciel nuageux au-dessus d'un horizon nettement défini et relativement bien éclairé. Les promeneurs qui aiment à s'attarder sur le rivage de l'Océan ont [barré : vu] rarement vu un spectacle aussi mobile et aussi délicieusement intense que celui du 9 juillet 1853.