Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Proposition faite au Bureau des Longitudes par M. d'Abbadie en juin 1888

Titre Proposition faite au Bureau des Longitudes par M. d'Abbadie en juin 1888
Créateur Abbadie, Antoine d' (1810-1897)
Contexte Volume 1886-1890
Date 1888-06
Identifiant O1886_1890_151
Relation O1886_1890_150
Format 12,9 x 20,3 cm; image/jpeg;
Éditeur Bureau des longitudes; Observatoire de Paris; Laboratoire d'Histoire des Sciences et de Philosophie - Archives Henri Poincaré (UMR 7117 CNRS / Université de Lorraine);
Droits CC BY-SA 3.0 FR
Type Manuscrit; Text; [Note];
Description

Proposition faite au Bureau des Longitudes par M. d'Abbadie en Juin 1888.

Les anciens avaient des idées exagérées sur les dimensions de la terre. Ptolémée est le dernier d'entr'eux qui nous ait renseigné sur ce grand problème, mais par une réaction en sens contraire, son résultat est trop petit. Longtemps après un calife Arabe ordonna la mesure d'un degré dans les plaines de la Mésopotamie ; on en déduit pour le globe terrestre une circonférence trop grande de 3 8000 000 mètres.

Parmi les savans modernes c'est un Français, le médecin Fernel qui eut l'honneur, en 1550, d'inaugurer la géodésie en mesurant, par le nombre de tours de roue de sa voiture, la longueur d'un degré entre Paris et Amiens. Des compensations heureuses durent aider cette méthode grossière : car deux siècles plus tard on constata que le degré de Fernel était trop grand de 1/5700 seulement.

Soixante ans après le Hollandais Snellius eut l'heureuse idée d'obtenir les vraies dimensions de notre globe par un réseau orienté de triangles, en partant d'une base mesurée directement. Snellius mit en pratique sa théorie, et obtint un degré trop grand de 1/26 de sa valeur totale. C'est ce que Picard prouva par son travail exécuté en 1669 entre Paris et Amiens et qui servit à Newton pour asseoir sa grande théorie de la gravitation universelle. Quatorze ans plus tard Cassini II commença son immortelle mesure du méridien de Paris entre Collioure et Dunkerque. Ce grand travail confirma celui de Picard.

On avait dès lors les dimensions de la terre supposée sphérique : il restait à en trouver l'aplatissement par la mesure d'un degré près l'équateur. C'est encore à la France que revient l'honneur d'avoir mené à bien cette entreprise par les travaux de Lacondamine [La Condamine], Bouguer et Godin exécutés au Pérou vers le milieu du siècle dernier. Les résultats obtenus par ces savants, non controlés depuis, ont été acceptés partout comme le dernier mot de la science. Cet accord général s'est effectué faute de mieux, et pour le justifier on peut remarquer que la longueur du pendule déterminée à Paris par Godin, au moyen d'une boule suspendue à un fil de pite, est à 1/100 de millimètre près la même que M. le Capitaine Defforges a trouvée en 1885. Il est donc naturel de supposer que Godin et ses compagnons ont fait avec autant de soin leurs mesures de l'arc du méridien au Pérou

Toutefois une présomption fondée sur l'analogie, est loin d'être une preuve. Depuis le siècle de Bouguer on a appliqué le microscope aux cercles divisés et la construction de tous les instruments a gagné beaucoup en précision. La dilatation des métaux est mieux connue aujourd'hui : dans la mesure des angles on discute la fraction de seconde là où la seconde entière semblait jadis le Dernier terme de l'exactitude. Au perfectionnement des moyens d'exécution nous avons ajouté celui des méthodes : les bases extrêmes d'un réseau sont mesurées deux fois, allant et revenant : les triangles sont mieux choisis et moins dissemblables qu'autrefois, l'emploi des signaux lumineux a permis de les agrandir ce qui atténue les chances d'erreur, la réduction au centre est éliminée et la mesure des angles se fait aux heures où l'expérience a montré que les troubles de l'athmosphère sont les plus petits. Sans parler d'autres améliorations réalisées, il est donc légitime d'admettre qu'une mesure de quelques degrés du méridien faite aujourd'hui près l'équateur augmenterait la précision de nos connaissances sur les dimensions du globe terrestre. La géodésie, ébauchée en Hollande, a été pratiquement fondée en France et il est digne de notre patrie de se mettre encore à l'avant-garde du progrès en réitérant la grande opération qu'elle fit exécuter il y a 140 ans.

La mesure d'un arc de méridien près l'équateur pourrait, à la rigueur, être effectuée en six lieux différents, à savoir : près les deux côtes de l'Afrique et de l'Amérique méridionale ainsi que dans les iles de Bornéo et de Sumatra. Cette dernière ile a une étendue de 3° environ praticable dans le sens du méridien, mais les montagnes sont nombreuses, le climat est malsain et la domination hollandaise n'est pas encore bien assise. Bornéo a des inconvénients analogues et la portion peu connue, de cette ile qui est traversée par l'équateur est toujours aux mains des indigènes.

L'équateur coupe le rivage oriental de l'Afrique près l'embouchure du Jub : cette côte est malsaine ; les Anglais et les Allemands sont en lutte pour y établir leur domination et l'intérieur non décrit de cette contrée n'offre encore aucune sécurité.

La côte orientale de l'Amérique offre plus de facilités. Sur le territoire arrosé par le fleuve des Amazones et ses affluents on pourrait mesurer, au Sud de la Guyane française plus de dix degrés du méridien sans s'approcher des montagnes ; mais ces terrains d'alluvion sont malsains et l'expérience m'a appris combien il est difficile, pour ne pas dire impossible, d'astreindre les observateurs à se faire des fumigations quotidiennes d'acide sulfureux comme préservatifs des fièvres endémiques intermittentes ou même pernicieuses. Cette région étant d'ailleurs fort boisée, l'établissement, toujours coûteux, des signaux artificiels entrainerait une grande perte de temps.

On est donc ramené au Pérou. Il serait toujours intéressant d'y refaire le travail des académiciens Français du siècle dernier. Toutefois une opération rigoureuse y serait gênée par l'attraction des montagnes. Pour l'éliminer avec la dernière exactitude il faudrait faire prendre par deux observateurs, au même instant physique et sur le méridien commun, l'apozénit de la même étoile au Nord et au Sud de la montagne en tachant d'avoir les deux stations à la même altitude. Ces observations seraient encore compliquées par l'insécurité du Pérou où, depuis sa guerre avec le Chili, on n'a un peu d'ordre que dans les villes. C'est là du moins ce que les dernières nouvelles nous ont appris.

A ne faire la mesure que d'un arc unique, une autre considération nous porte d'ailleurs à ne pas l'exécuter en Amérique jusqu'à ce que de nouvelles opérations aient controlé le travail exécuté par Mason et Dixon en Pensylvanie [Pennsylvanie] de 1764 et 1768. Faite sans triangulation cette mesure considérable commencée et finie avec une chaine à tiges d'acier donne une différence de 74 toises par degré ou la plus forte qu'on ait encore trouvée par rapport à la moyenne généralement adoptée. Cette différence de 74 toises est en moins tandis que le résultat trouvé par Godin accuse 32 toises en plus. On voit donc qu'il y a un désaccord évident même sans sortir du Pérou, et l'on est tenté de croire que la courbure de l'Amérique diffère de celle de l'ancien monde. Il est bien à désirer que les géodésiens des Etats-Unis vérifient, si cela est possible, le travail de Mason et Dixon.

En attendant on peut opérer [barré : d] dans l'Afrique occidentale. Le méridien de Paris y atteint le golfe de Guinée à Badagri par 6°.5 de latitude nord ce qui est déjà un peu loin pour une bonne mesure près de l'équateur. On s'en éloignerait encore plus dans l'intérieur du pays où les chefs indigènes toujours en guerre entr'eux, opposeraient des obstacles sérieux à un travail qui demande la sécurité. Heureusement le Congo français lui offre un champ propice à 8° environ de longitude est et au nord de Brazzaville. M. Brazza, gouverneur de cette contrée et actuellement à Paris, nous apprend qu'on peut mesurer, au nord de cette station, un arc de 4° au moins, probablement de 5°, et peut-être davantage. Ce terrain a là une altitude de 800 mètres environ ; par conséquent on y est au-dessus de la zone des fièvres. De petits plateaux courant dans le sens des parallèles permettraient d'y mesurer des bases et le pays n'est boisé que tout près des villages.

La seule crainte de M. de Brazza est qu'on ne puisse pas y nourrir convenablement une grande réunion d'Européens car peu d'entr'eux se contenteraient des maigres aliments usités par les indigènes ; mais il se chargerait d'entretenir quatre ou cinq Français.

Si le Bureau des Longitudes approuvait ce projet, il serait peut-être prudent d'envoyer à Brazzaville un observateur chargé de lever trois ou quatre degrés par les méthodes de la géodésie expéditive et d'obtenir les latitudes des stations extrêmes. Cette reconnaissance préliminaire servirait à étudier le pays sous le point de vue géodésique et à indiquer des modifications possibles dans le choix des instruments et des moyens d'exécution. En tout cas cette reconnaissance géodésique serait utile pour asseoir les fondements d'une carte exacte dans un pays qui est sous le protectorat de la France. Tout en faisant cette reconnaissance il serait intéressant d'y joindre des observations du pendule ou en tout cas des trois éléments du magnétisme terrestre. Jusqu'ici on a comparé les arcs de l'Europe et de l'Inde à un méridien mesuré dans le nouveau monde : un arc déterminé dans le monde ancien serait une confirmation précieuse des résultats généralement admis par les géodésiens, peut-être avec trop de confiance.

Type de document Procès-verbal
Transcripteur Muller, Julien
Commentaires Numéroté A et B.
Collection Volume 1886-1890
Citer ce document “Proposition faite au Bureau des Longitudes par M. d'Abbadie en juin 1888”, 1888-06, Les procès-verbaux du Bureau des longitudes, consulté le 23 avril 2024, http://purl.oclc.org/net/bdl/items/show/4266

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