Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

[Lettre d'Henri Perrotin à Hervé Faye, président du Bureau des Longitudes]

Titre [Lettre d'Henri Perrotin à Hervé Faye, président du Bureau des Longitudes]
Créateur Perrotin, Joseph (1845-1904)
Contexte Volume 1886-1890
Date 1890-01-11
Identifiant O1886_1890_261
Relation O1886_1890_260
Format 12,1 x 20,1 cm; image/jpeg;
Éditeur Bureau des longitudes; Observatoire de Paris; Laboratoire d'Histoire des Sciences et de Philosophie - Archives Henri Poincaré (UMR 7117 CNRS / Université de Lorraine);
Droits CC BY-SA 3.0 FR
Type Manuscrit; Text; Lettre;
Description

Monsieur Faye, de l'Institut, Président du Bureau des Longitudes, Paris.

Observatoire de Nice

Nice, le 11 janvier 1890

Monsieur le Président,

Je viens de lire et vous avez probablement lu aussi dans le dernier numéro des "Astronomische Nachrichten", le n° 2944, le remarquable article de M. Schiaparelli sur Mercure, dans lequel ce savant astronome annonce comme un résultat de ses observations que (ainsi que cela a lieu pour la lune et Japetus [Japet]) la durée de la rotation de cette planète autour de son axe est égale à la durée de sa révolution sidérale autour du soleil.

A ce propos et dans le même ordre d'idées, je prends liberté de vous rappeler que le 4 septembre dernier, dans la séance du Bureau des longitudes de ce jour, j'avais l'honneur de faire, avec votre autorisation, un résumé des travaux exécutés à l'observatoire de Nice dans le courant de l'année 1889 et qu'incidemment, à l'occasion de mes recherches sur Vénus, avant d'avoir connaissance des résultats obtenus par l'astronome italien (j'en ai entendu parler pour la première fois quelques jours plus tard, à Bruxelles, pendant le Congrès astronomique, par M. Tisserant) j'émettais des doutes au sujet de la durée de la rotation de cette planète généralement admise par les astronomes et déterminée par de Vico. Cette partie de ma communication provoqua même, si je m'en souviens bien, la protestation d'un des membres les plus illustres du Bureau ainsi qu'en pourrait témoigner peut-être le procès-verbal de la séance.

Depuis cette date (je dois ajouter et surtout d'après vos conseils, Monsieur le Président) j'ai repris les observations de la planète et du 22 septembre au 23 novembre suivant, sauf une interruption de quelques jours au commencement d'octobre, j'ai suivi attentivement Vénus et noté l'aspect de sa surface qui dans cet intervalle se présentait sous forme d'un disque de plus en plus éclairé. Vingt-six fois, j'ai pu l'observer avant le lever du soleil (à plusieurs reprises j'ai pu prolonger les observations jusqu'après le lever de cet astre), par des conditions atmosphériques favorables et chaque jour j'ai pu apercevoir sur ce disque deux taches sombres, mais mal définies, et voisines l'une de la corne boréale l'autre de la corne australe. Ces taches présentaient des particularités qui rendent l'hypothèse d'une illusion tout-à-fait invraisemblable et mettent hors de doute le fait de leur existence. La tache australe affectait vaguement la forme d'un immense triangle ; la tache boréale était allongée dans une direction normale à la ligne des cornes et plusieurs fois elle m'a paru divisée en deux parties, d'inégale largeur (la plus large du côté du centre du disque) par une étroite bande lumineuse dirigée dans le sens de la longueur de la tache.

De plus, les deux taches étaient inégalement distantes des cornes ; la tache boréale était plus éloignée de la corne nord que la tache australe ne l'était de la corne sud.

Chaque jour et à peu près aux mêmes heures, j'ai retrouvé ces taches sur la surface du disque de la planète. Malheureusement, en raison de leur manque de netteté, à cause aussi de la variation dans la qualité des images avec la hauteur de la planète au dessus de l'horizon, il ne m'a pas été possible de décider si ces taches occupaient d'un jour à l'autre exactement la même position sur la surface éclairée du disque ou si elles se déplaçaient dans le courant d'une même observation (bien que celles-ci aient souvent duré 1h et demie et même 2 heures).

L'impression à ce sujet a été souvent fort différente et je ne puis actuellement me prononcer entre les deux hypothèses qui s'accordent également avec mes observations et les quelques dessins que j'ai faits de la planète l'une qui veut que la durée de la rotation soit de 24 heures environ l'autre que cette durée soit beaucoup plus longue.

Sur ce qui concerne la position de l'axe de rotation, j'ai aussi éprouvé des impressions différentes et contradictoires. Il m'avait tout d'abord semblé que les taches sombres dont j'ai fait mention se prolongeaient l'une et l'autre en cercle sur le pourtour du disque lumineux et que l'aspect répondait à celui d'une planète ayant, comme Jupiter, de large bandes, s'étendant beaucoup de part et d'autre de l'équateur, mais regardée par un observateur placé dans une direction voisine de celle de l'axe de rotation. Cette manière de voir a été de courte durée et j'ai cru reconnaître aussitôt que l'existence de bandes faisant le tour complet de la planète était une pure illusion.

Dès les premiers jours d'ailleurs mon attention avait été attirée vers la corne boréale par une tache lumineuse qui persistait à monter dans le voisinage immédiat de cette corne. Cette tache que j'ai vue aussi quelquefois sous forme de bande a été aperçue tous les jours d'observation à peu d'exceptions près et son existence ne m'a pas semblé douteuse. Quoique avec un éclat bien moindre et surtout moins bien terminée, elle [barré : rappelle] rappelait les taches brillantes des pôles de Mars, et, par analogie, j'étais amené à penser que l'axe de rotation de Vénus pourrait bien passer dans le voisinage des cornes, auquel cas l'inclinaison de l'équateur de la planète sur son orbite serait bien plus faible qu'on ne l'aurait cru jusqu'ici.

Ce sont là de simples conjonctures, mais dans l'état actuel de mes observations il m'est difficile de rien dire de positif sur ces intéressantes questions.

J'ai lieu de croire que dans un avenir peu éloigné elles recevront une solution satisfaisante, à moins que cela ne soit déjà fait par d'autres astronomes, M. Schiaparelli par exemple dont le talent d'observateur est certainement hors de pair et qui vient d'augmenter singulièrement le champ des études physiques auxquelles on peut se livrer sur certaines planètes en montrant le parti que l'on peut tirer des observations de jour.

J'ai quelque fois regardé Vénus après le lever du soleil, mais jamais je n'aurais songé à étudier la surface de Mercure à 3° seulement du disque solaire.

Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous l'écrire je ne voulais vous entretenir de ce sujet qu'après avoir fait de nouvelles observations, mais à la suite de l'article de M. Schiaparelli j'ai cru devoir changer d'avis.

Quand le moment sera venu, je ne manquerai pas, Monsieur le Président, de vous communiquer, s'il y a lieu, le résultat de mes recherches.

En attendant, je vous prie, Monsieur le Président, de vouloir bien transmettre tous mes hommages à Madame Faye, et me croire, avec le plus profond respect,

Votre tout dévoué serviteur

Perrotin

Type de document Procès-verbal
Transcripteur Muller, Julien
Collection Volume 1886-1890
Citer ce document “[Lettre d'Henri Perrotin à Hervé Faye, président du Bureau des Longitudes]”, 1890-01-11, Les procès-verbaux du Bureau des longitudes, consulté le 18 avril 2024, http://purl.oclc.org/net/bdl/items/show/4374

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