Note pour le Bureau des Longitudes

Procès-verbal du 11 octobre 1893

Note pour le Bureau des Longitudes

<M. Fizeau et> M. le C. Amiral Fleuriais, dans la séance des 2 et 9 août, ont appelé l'attention du Bureau sur les inconvénients que présente l'emploi de l'acier dans les spiraux des chronomètres en raison de la puissance croissante des dynamos à bord des cuirassés et des transatlantiques.

La magnétisation de ces spiraux peut en effet modifier les marches de ces garde-temps sans que rien puisse trahir leur altération.

M. Fleuriais a pensé qu'il appartient au Bureau <des Longitudes> de saisir de cette question le Ministre de la Marine en lui indiquant la voie dans laquelle des expériences pourraient être faites, et mes collègues m'ont chargé de préparer une note dans ce but.

Les membres du Bureau [barré : des Longitudes] se souviennent qu'un congrès de chronométrie s'est tenu à l'Observatoire de Paris en 1889 sous la Présidence de M. Phillips ; comme [barré : membre du Bureau] vice président de ce congrès, j'ai suivi avec le plus grand intérêt les séances, et les procès verbaux mentionnent qu'une longue discussion a eu lieu au sujet de l'emploi de l'acier et du Palladium dans la fabrication des spiraux.

Tout le monde était d'accord sur les avantages qu'offre un spiral en métal non magnétisable, mais l'emploi du palladium ou de l'alliage qui portait ce nom avait présenté des inconvénients [barré : graves] sérieux.

Il a été démontré au moyen d'un relevé des [barré : registres journaux de Bord que] <registres du service des> chronomètres au dépôt de la marine, que sur 75 garde temps achetés par le dépôt dans la période s'étendant de 1878 à 1889, 37 avaient un spiral en palladium. Dans les derniers concours ces derniers seuls étaient arrivés en tête de la liste.

La facilité du réglage des chronomètres à spiraux [barré : de] en Palladium avait frappé les horlogers de la marine qui désiraient ne plus employer de spiraux en acier, lorsqu'ils furent sinon arrêtés du moins fort génés dans leur intention par le fait que l'un des horlogers qui obtenait les plus grands succès aux concours, venait de traiter avec l'industriel de Genève qui seul fabricait [fabriquait] des spiraux en palladium. [barré : et que Ils] <Les autres artistes> étaient obligés de passer par les conditions qu'il [barré : lui] plairait <au premier> de leur imposer, ayant obtenu le monopole de la vente en France de ces spiraux.

D'un autre côté il a été établi au congrès que le métal employé pour la fabrication des spiraux était dans les dernières années [barré : qui l'ont précédé] loin d'être pur. Quelques échantillons contenaient jusqu'à 30p% d'alliage, ce qui rendait les procédés de réglage moins uniformes et moins sûrs.

L'emploi d'un métal plus mou que l'acier donnait manifestement des marches des chronomètres meilleures dans les concours, mais ce manque d'élasticité ne devait-il pas être nuisible à la longue dans le service de ces instruments de la mer. [barré : Je demandai] <Pour s'en assurer je demandai> alors à M. Rollet de l'Isle, [barré : une statistique] ingénieur attaché au service des instruments, de faire un dépouillement des journaux des officiers des montres en ce qui concerne les chronomètres à spiraux en palladium et il fut constaté que sur 29 de ces chronomètres embarqués, 12 étaient arrêtés sans cause apparente ou mis hors de service par suite d'écarts de marche excessifs.

5 chronomètres sur 29 mériteraient seuls la qualification de bons.

La proportion des instruments mauvais étant beaucoup plus considérables que dans les chronomètres à spiraux en acier le service des chronomètres ne peut alors qu'émettre des doutes sur l'utilité d'encourager [mot barré] <l'emploi> du nouveau métal.

Ajoutons qu'un fabricant [barré : genevois] a présenté au congrès des [barré : nouveaux spiraux] <échantillons> de palladium pur demandant que des essais soient faits au point de vue de son élasticité.

Le rapport de M. Rozé [organe ?] d'une sous-commission s'exprime ainsi au sujet de la question des spiraux en palladium.

Après une discussion minutieuse et intéressante dans laquelle les membres ont successivement et à plusieurs reprises apportés leur contingent de faits expérimentaux et de considérations théoriques, la commission a reconnu à l'unanimité qu'il n'y avait pas lieu quant à présent de préconiser l'emploi d'un métal ou d'un alliage quelconque, que tout au contraire il convenait de proposer au congrès d'émettre les vœux suivants :

1° Qu'il soit institué des essais comparatifs et méthodiques portant sur l'acier, les alliages du Palladium et telles autres substances [dotées ?] de propriétés les rendant propres à constituer un spiral de chronomètre [en haut de page : Procès-verbal du 11 octobre 1893] que les chronomètres munis de spiraux en acier et ceux munis de spiraux en palladium continuent à prendre part aux épreuves et concours.

Ces vœux adoptés par le congrès à l'unanimité ayant été transmis au ministre de la marine, ce dernier répondit <ultérieurement> à M. Phillips par la lettre suivante.

D'où l'honneur de vous faire connaître en ce qui concerne le premier de ces vœux que le service hydrographique procèdera aux expériences demandées en vue de s'assurer de la valeur relative des corps métalliques employés pour les spiraux et les balanciers des montres ainsi que des types et formes de ces derniers ; le service des chronomètres a d'ailleurs commencé des études de ce genre dont celles indiquées ci-dessus ne sont que la suite naturelle. Effectivement on avait antérieurement étudié au dépôt de la marine l'action des aimants sur la marche des chronomètres munis de spiraux en acier et l'un de nos confrères ayant émis des doutes sur l'utilisation du palladium par suite de la facilité avec laquelle il absorbe l'hydrogène, des expériences furent faites par M. Bouillet dans le service des chronomètres pour élucider cette question.

Pour répondre d'autre part au vœu émis par le congrès une entente fut faite avec M. Rozé pour commander deux instruments pareils destinés à mesurer la valeur de l'élasticité des échantillons de spiraux en divers métaux, l'un de ces instruments [barré : et] devait être attribué au service des chronomètres l'autre au laboratoire de Physique de l'école polytechnique ; je ne sais où en est la construction de ces appareils dont le principe autant qu'il me souvient était indiqué par M. Phillips. Je crois que si la question n'a pas [barré : fait une] été élucidée depuis trois ans c'est que toute l'attention du service s'est portée sur les montres de torpilleurs dont il fallait régler les concours et étudier par urgence les conditions de construction.

Mais en vertu des instructions ministérielles le service des chronomètres est à même de faire les essais dont il s'agit et il suffit de lui en donner les moyens en instant sur l'utilité du résultat à obtenir. D'un autre côté il ressort de [barré : cette note] ce qui est dit plus haut que la demande faite par un horloger de séparer les concours des garde-temps à spiraux en palladium de ceux en acier n'a pas de raison d'être, le réglage des premiers étant plus facile.

En résumé il appartient à l'amiral Directeur du dépôt de donner des instructions dans le sens indiqué ci-dessus au service des chronomètres et le Bureau des Longitudes sera heureux d'aider de ses conseils l'ingénieur chargé de poursuivre les expériences demandées par le congrès de chronométrie de 1889.

A Bouquet de la Grye

10 octobre 1893