[Rapport d'Anatole Bouquet de la Grye au sujet du projet d'heure décimale, envoyé à Alfred Rambaud, ministre de l'Instruction publique]

21 Juillet 1896.

Remise de M. D'Abbadie

à joindre au p.v. du 8 Juillet 1896.

Monsieur le Bibliothécaire du Bureau des Longitudes / emprunté et rendu par A. d'Abbadie

Monsieur le ministre de l'instruction Publique

1^er juillet 96

A Bouquet de la Grye

Monsieur le Ministre

Vous avez bien voulu demander mon avis sur la décimalisation du cercle et du temps, question qui dans ces dernières années a été l'objet de plusieurs vœux [barré : émanant de sociétés] <dans les [barré : réunion des] congrès> de géographie et [mots barrés] <qui a donné lieu> à de nombreuses publications.

En dernier lieu les sociétés de géographie de Marseille Oran Nancy et Toulouse vous ont demandé de confier à une commission le soin d'étudier le meilleur mode d'extension du système décimal à la circonférence et au jour pour simplifier à la fois les calculs des astronomes [barré : et] des marins et des géographes et elles vous <ont> remis un rapport succinct relatant [barré : quelques] <les> antécédents de la question.

Avant de conclure comme le demandent ces sociétés [barré : le] <au> renvoi de cette question à une commission spéciale, je crois devoir indiquer ses origines les phases par lesquelles elle a passé, présenter les diverses solutions <préconisées> qui ont chacune des partisans et enfin [barré : compléter cette] pour faciliter l'étude [barré : de] de [mot barré] <cette> commission spéciale [barré : réunir] joindre à ce rapport un index bibliographique des sources où elle pourra puiser les éléments de son appréciation.

On sait que pour les astronomes l'unité de temps est la durée de la révolution de la terre autour de son axe, donnant naissance au jour sidéral (temps exact de cette révolution) et aux jours solaires vrais et moyens [barré : relatif] <correspondant> aux [barré : deux] passages du soleil vrai ou fictif. Ces jours se divisent en 24 heures.

Pour le géomètre la circonférence est une unité divisée en 360 degrés, pour le géographe la division se compose de deux fois 180 degrés les uns pris dans le sens positif les autres dans le sens négatif. Les heures comme les degrés ont des subdivisions en minutes [barré : et] secondes et tierces dont le module est 60 de telle sorte que le jour comprend 86400 secondes de temps et la circonférence 1.296.000 secondes d'arc, le rapport entre les [barré : subdivisions d / subdivisions] heures et les degrés, de même qu'entre les subdivisions qui portent le même nom [barré : étant] <est> de 1 à 15.

Or [barré : comme] pour certains calculs astronomiques on est souvent obligé de passer des heures à la fraction de la journée, [barré : que] les calculs nautiques exigeant <également> la transformation des arcs en heures et réciproquement, il en résulte un [barré : surcroit de] travail <assez long>, [barré : augmenté] par le fait même des parties aliquotes [barré : non décimales] en usage.

Pour le public enfin il y a une certaine difficulté à saisir la relation si simple qui unit les longitudes aux heures [barré : et aux deg].

Ces diverses unités sont en usage depuis les temps les plus reculés, la journée s'est toujours divisée en douze heures de jour et douze de nuit dont le seul point de départ a varié [report en bas de page : à peine cite-t-on une exception chez les athéniens du temps de Pisistrate qui divisaient le jour en 10 heures (de Chancourtois programme raisonné 1884)]

Il en est de même de la division du cercle en 360 degrés, chiffre excellent d'ailleurs vu le grand nombre de ses diviseurs (22) et se reliant <aussi>, au système duo décimal dont quelques personnes regrettent encore la non adoption.

Quoiqu'il en soit c'est à la suite de la proposition émise [barré : a] en 1799 d'appliquer le système décimal aux mesures de longueur de surface [barré : et] de volume et aux monnaies que l'on songea à étendre le même mode de division au cercle et au temps.

Dans un rapport à l'Académie des sciences du 27 octobre 1790 signé par Borda, Lagrange, Monge on trouve que vu l'impossibilité de faire adopter un système de numérotation duodécimal "l'académie a cru devoir étendre le système de division décimale jusqu'aux mesures dont l'astronome fait usage".

Le 25 novembre 1792 Lalande dans un discours prononcé devant la convention au nom de l'académie des sciences fait la même déclaration. [barré : le jour sera divisé en 10 heures le cercle en 400 grades].

Le 29 mai 1793 Dans un rapport adressé au comité de l'Instruction publique, les commissaires Borda, Lagrange et Monge disent que le quart du méridien est pris comme unité angulaire de même <qu'> il est pris comme unité de mesure métrique ; le jour sera divisé en 10 heures.

Ainsi dès l'origine du système [barré : métr] décimal il y a discordance entre le temps et la circonférence. Les géomètres il est vrai étaient intervenus pour affirmer que l'angle droit était l'angle type par excellence, celui qui comprenait dans son étendue toutes les grandeurs des lignes trigonométriques, sans ajouter il est vrai que leur développement complet avec les signes dont ils sont affectés [barré : doit] comporte l'emploi de la circonférence entière.

[barré : Quoiqu'il en soit] L'almanach de la république française de l'an II contient les heures et couchers du soleil et de la lune exprimés en heures décimales, il en est de même dans l'almanach de l'an III mais quoique des horlogers aient construit des garde temps dans le nouveau système ce mode de comptage cessa officiellement l'année suivante, l'almanach de l'an IV revient aux anciennes mesures pendant que Laplace dans son Système du monde, emploie la décimalisation du jour et la division du quadrant en cent grades.

Cette dernière division est encore employée sur les cartes du service géographique de la Guerre. Il faut sauter plus d'un demi siècle pour voir renaitre la question de la décimalisation du jour. Le 9 novembre 1864 M. Yvon Villarceau en saisit le Bureau des Longitudes, il note que le mot quadrant pris pour unité jure avec son sens [barré : q] grammatical qui est le quart de quelque chose et il s'étonne que les astronomes aient mis entre les mains du public pour les mesures de longueur de surface un excellent système en conservant à leur usage d'anciennes mesures.

Le 23 mai 1870 M. d'Abbadie ayant présenté à l'académie une note sur l'utilité de substituer le grade au degré, une discussion s'engage entre lui et MM. Villarceau, Wolf de Zurich, et Houël, discussion qui dura jusqu'aux premiers événements de la guerre. Elle fut reprise l'année suivante au congrès géographique tenu à Anvers, puis en 1875 à celui de Paris où elle donna lieu à plusieurs communications.

Depuis cette date jusqu'à l'heure actuelle [barré : tous le] on peut dire que tous les congrès [barré : de] traitant de questions de géographie ont mis sur le tapis la décimalisation du temps et de la circonférence en la présentant sous diverses faces.

En 1885 à la suite du congrès de Washington une commission composée de 24 membres a été nommée par le ministre de l'Instruction publique "à l'effet d'examiner l'opportunité et les conséquences de l'extension du système décimal aux mesures de l'espace angulaire et du temps. Cette commission qui devait être présidée par le ministre par [barré : l] suite de diverses circonstances n'a jamais été réunie, mais des mémoires nombreux ont été publiés sur ce sujet tant en France qu'à l'étranger montrant tous qu'il y a un intérêt scientifique et économique à préparer une modification [barré : du système] <des mesures usuelles>. [barré : A l'heure actuelle] <Actuellement> les promoteurs de la décimalisation du temps et du cercle sont divisés en quatre groupes.

1 Les uns comme M. de Sarrauton, estiment qu'il est impossible de modifier l'heure actuelle tellement elle est entrée dans l'esprit de toute la race blanche. Il suffit de décimaliser l'heure et de diviser la circonférence en 240 parties.

Un changement de position de la virgule suffira pour passer du temps à l'angle et réciproquement.

Pour avoir la fraction du jour les astronomes useront de tableaux de concordance.

2 M. de Rey-Paillade [Rey-Pailhade] s'inspirant des idées des promoteurs du système métrique et de celles exposées par M. Yvon Villarceau divise le jour en cent cès le cercle en cent cirs. Chaque cé vaut à peu près un quart d'heure.

On a ainsi une décimalisation complète absolue, les astronomes auront toute satisfaction mais le public acceptera-t-il l'abandon de ses heures?

Il est vrai qu'avec le mouvement actuel du monde des affaires, avec la multiplicité des fonctions et des relations de chaque individu la division horaire ne suffit pas pour fixer <par exemple> des rendez-vous, il faut avoir recours à une subdivision en minutes. L'emploi des cés paraitrait alors avantageux. En France d'ailleurs pour les mesures de longueur on se sert plutôt du centimètre que du décimètre de même qu'en Amérique le cent est la division naturelle du dollar, le centième du jour pourrait donc être acceptable.

3 Une troisième proposition consiste à prendre comme le fait l'état major le quadrant comme unité angulaire, ce qui entraine la division du jour en quarante heures, si l'on veut qu'il y ait concordance entre les éléments qui président aux calculs nautiques et aux longitudes.

Les astronomes [barré : feraient] <prendraient> dans ce cas le quart du chiffre des heures pour avoir la décimale du jour.

4 Enfin une quatrième proposition [barré : enfin consiste à] prend pour base π, c’est-à-dire la moitié de la circonférence.

Le jour serait divisé en 20 heures soit 10 heures de jour et dix heures de nuit

Le cercle en 200 degrés.

Ce système parait a priori séduisant en ce sens qu'il changerait le moins possible les habitudes, l'heure nouvelle que l'on pourrait appeler chrone (en empruntant le mot de M. de Chancourtois) vaudrait 72 minutes, le centichrone ou cent vaudrait 43^s,2=1^ci et enfin le dixmillichrone que l'on pourrait [barré : appeler c] désigner par cc vaudrait un peu moins d'une demi seconde de temps.

D'un autre coté le nouveau degré que l'on pourrait appeler Mer (de µεριζω diviser) vaudrait 108' et le centime 1^c.m. = 64",8

Cette division aurait un avantage sur celle [barré : de M. <de Rey> Paillade] préconisée par M. de Rey Paillade c'est que d'un pole à l'autre on compterait 100^mer au lieu de 50^cirs.

La question comme on le voit, est très complexe et il faut considérer surtout non pas seulement les avantages théoriques de telle ou telle solution mais surtout la possibilité [barré : d'une] <de> l'adoption internationale d'un système, l'échec éprouvé en 1791 au moment où l'on [barré : essay] modifiait tant de choses montre avec quelle prudence on doit présenter aujourd'hui une solution nouvelle, et l'on n'oubliera pas que celle des heures, celle qui intéresse le public est la plus importante, les savants useront à sa suite d'un cercle divisé en cent deux cents ou quatre cents parties cela n'offrira qu'une difficulté relative.

On passe sur les considérations des dépenses qu'il faudrait faire pour modifier les instruments, les cadrans et peut-être les balanciers des montres usuelles, enfin les lignes tracées sur les cartes géographiques.

Il est vrai qu'il a fallu un siècle pour internationaliser à peu près le système métrique et au bout d'un siècle les instruments et les cartes sont bien près d'être renouvelés.

Quoiqu'il en soit la question est grosse de conséquences morales et matérielles et elle embrasse aussi des questions secondaires, comme le sens dans lequel on doit compter les longitudes, la division des boussoles etc etc.

Un de vos prédécesseurs Monsieur le Ministre avait décidé [barré : l'examen] la réunion d'une grande commission pour examiner cette décimalisation des unités astronomiques, je crois que cette solution est la seule qui puisse encore vous être proposée mais pour qu'elle ait une suite pratiquement utile j'estime que le Bureau des Longitudes qui fonctionne d'une façon régulière devrait être chargé de cet examen.

[barré : Cet] Il vous a proposé et [barré : fait adopte] vous avez présenté une loi pour l'uniformisation de l'heure en France ; En dernier lieu il a appelé l'attention des [barré : astro] administrations sur l'utilité de compter les heures de 0 à 24 surtout sur les horaires de chemin de fer. L'Etude d'une question de même nature [barré : nous] parait rentrer dans ses attributions.

Toutefois en raison de la complexité de cet examen [barré : nous] je pense qu'en dehors des délégués <ordinaires> [pris?] du Bureau qui représentent le service géographique et le service hydrographique, il y aurait lieu de joindre aux membres du Bureau des représentants de la Société de Géographie du ministère de l'instruction publique des Télégraphes et des chemins de fer .

Vous jugeriez ensuite d'après les conclusions du rapport qui vous serait présenté si une solution mérite d'être [barré : présentée] <soumise> à un congrès international.