Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Les aciers au nickel et leurs applications à la chronométrie par M. Ch.-Ed. Guillaume

Titre Les aciers au nickel et leurs applications à la chronométrie par M. Ch.-Ed. Guillaume
Créateur Guillaume, Charles-Edouard (1861-1938)
Contexte Volume 1900-1902
Date 1902-04-23
Identifiant O1900_1902_154
Relation O1900_1902_152
Format 22,2 x 28,5 cm; image/jpeg;
Éditeur Bureau des longitudes; Observatoire de Paris; Laboratoire d'Histoire des Sciences et de Philosophie - Archives Henri Poincaré (UMR 7117 CNRS / Université de Lorraine);
Droits CC BY-SA 3.0 FR
Type Imprimé; Text; Communication;
Description

Les aciers au nickel et leurs applications à la chronométrie,

par

M. Ch.-Ed. Guillaume.

Les propriétés physiques des alliages employés dans l'industrie varient, en général, entre des limites assez étroites, et ce sont surtout leurs propriétés mécaniques, combinées avec leur prix de revient, qui déterminent les conditions de leur emploi industriel.

Seuls, jusqu'ici, les aciers au nickel font exception. Doués de propriétés inattendues ne rappelant en rien celles de métaux constituant ces alliages, et qui élargissent considérablement les limites de celles qui étaient jusqu'ici connues, possédant, en plus, des propriétés mécaniques et chimiques qui n'apportent aucune restriction à leur usage industriel, ils permettent de prévoir diverses combinaisons irréalisables avec aucun autre alliage usuel. En Chronométrie, leur emploi semble devoir prendre une grande importance, évidente pour tout praticien, s'il connaît le détail de ces propriétés. Je me propose de les exposer tout d'abord dans leur ensemble, puis je donnerai quelques indications sur les conditions d'emploi de ces alliages.

PREMIERE PARTIE.

Propriétés des aciers au nickel.

Propriétés magnétiques. – Un examen rapide des aciers au nickel fait tout d'abord ressortir la grande diversité de leurs propriétés magnétiques. Tandis que certains d'entre eux sont aussi magnétiques que le fer, plus magnétiques même dans des champs très intenses, d'autres ne présentent pas la moindre trace de sensibilité à l'aimant.

De plus, des variations même peu étendues de la température peuvent modifier considérablement cette sensibilité. En général, le magnétisme de ces alliages augmente à mesure qu’on les refroidit, l’augmentation pouvant être appréciée dans un intervalle de température de plusieurs centaines de degrés. Mais la manière dont le magnétisme apparaît ou disparaît peut différer du tout au tout, suivant la teneur de l’alliage en nickel, en carbone, en chrome ou en manganèse.

Pour simplifier, nous ne considérerons ici que des alliages de fer et de nickel, additionnés de très petites quantités d’ingrédients étrangers nécessaires pour les rendre bien homogènes et facilement malléables, c’est-à-dire ne dépassant pas sensiblement 1 pour 100 au total.

Dans ces conditions, on constate tout d’abord que les aciers au nickel peuvent appartenir à deux catégories bien distinctes : les uns, dont le magnétisme apparaît à une température déterminée, et augmente comme il vient d’être dit lorsque la température s’abaisse davantage, peuvent repasser par la même série de températures sans que le magnétisme acquis au refroidissement varie sensiblement. Pour les autres, le magnétisme qui s’est manifesté au refroidissement s’annule lorsqu’on réchauffe, sans qu’on puisse observer de différence bien sensible entre les valeurs de la susceptibilité magnétique, soit que l’alliage parte d’une température plus élevée, soit au contraire qu’il vienne d’une température plus basse. Les premiers alliages peuvent être appelés irréversibles, les seconds réversibles.

Ces propriétés ont été signalées pour la première fois, il y a une dizaine d’années, par J. Hopkinson. Les recherches expérimentales de MM. Osmond, Le Chatelier, G. Dumont, L. Dumas, et celles de l’auteur de ce Rapport, les ont fait mieux connaître. Le diagramme (fig. 1) qui les résume en donne une idée nette.

[schéma : Fig. 1]

Les teneurs en nickel sont ici portées en abscisses, et, en ordonnées, les températures d’apparition ou de disparition du magnétisme. Les deux courbes AB, CD, indiquent, la première, la région des températures où les propriétés magnétiques font leur première apparition au refroidissement ; la seconde, celle où ces propriétés disparaissent complètement au réchauffement. De plus importantes additions de carbone ou de chrome abaissent surtout la courbe inférieure, au point de faire passer au-dessous de la ligne de 0° une portion croissant de droite à gauche à mesure que la proportion de ces additions va en augmentant.

La courbe EF (1) [en note de bas de page : (1) M. Osmond sépare cette courbe en deux, correspondant à la disparition et au retour du magnétisme. Je n'ai pas observé de différence sensible entre les deux phénomènes.] correspond à la première apparition du magnétisme au refroidissement et à la disparition des dernières traces au réchauffement. Ainsi que M. Dumas l’a montré récemment, les courbes se croisent, de telle sorte qu’un alliage contenant, par exemple, 28 pour 100 de nickel peut subir d’abord la transformation réversible puis la transformation irréversible. Un refroidissement modéré lui communique le magnétisme passager ; un refroidissement plus énergique, le magnétisme permanent.

Propriétés mécaniques. — De petites additions de nickel améliorent en général les aciers en les rendant plus homogènes et en augmentant leur allongement à la rupture ; en un mot, elles rendent le métal plus sûr, ce qui fait rechercher ces aciers pour toutes les pièces de mécanisme qui, tout en pouvant supporter une faible augmentation de prix, doivent posséder le maximum de sécurité.

Des additions plus considérables de nickel accentuent d’abord ces modifications, puis finissent par les dénaturer complètement.

D'une manière générale, on peut dire que les aciers irréversibles à l’état non magnétique sont des métaux doux, tandis qu’ils sont beaucoup plus durs et plus secs a l’état magnétique, de telle sorte, par exemple, que le chrome, qui agit en général comme durcissant de l’acier, peut devenir un adoucissant lorsqu’il entre comme addition à 2 ou 3 pour 100 dans un acier contenant plus de 20 pour 100 de nickel. Dans ces conditions, la région de transformation étant refoulée vers des températures très basses ou même inaccessibles, l’alliage reste non magnétique en toutes circonstances et, par conséquent, relativement doux.

Les alliages réversibles sont généralement très doux, faciles à laminer, à étirer, à raboter et à limer. Cependant tout traitement qui comprime le métal l’écrouit assez fortement et élève sa limite élastique. Entre un alliage réversible recuit et laminé, il existe, au point de vue de la limite élastique, des différences analogues à celles que l’on constate dans le laiton aux états correspondants.

Le travail mécanique précipite la transformation des alliages irréversibles. Ainsi un alliage qui ne passerait à l’état magnétique que bien au-dessous de 0° devient magnétique, aux températures ordinaires, par quelques passes de laminage ou de tréfilage.

L’état non magnétique de ces alliages est donc, à la température ordinaire, un état instable, que les alliages quittent aussitôt que l’on donne, par un malaxage mécanique, une mobilité suffisante aux molécules.

Certains aciers au nickel sont remarquables par leur ténacité. Ainsi, il n’est pas rare de rencontrer des aciers à haute teneur en nickel et contenant un peu de chrome, donner une charge de rupture peu inférieure à 100kg par millimètre carré avec un allongement de l’ordre de 50 pour 100. On a même signalé, dans les aciéries d’Imphy, une éprouvette allongée successivement de 30 pour 100 dix fois de suite avec un recuit précédant chaque essai de traction, et ne rompre finalement qu’après un allongement de 42 pour 100, portant ainsi à 242 pour 100 l’allongement total subi entièrement à froid.

Ces propriétés imposent quelques précautions dans le travail du métal. Cette remarquable ténacité s’oppose à l’arrachement des copeaux, et les outils les plus durs s’usent rapidement lorsqu’ils travaillent trop vite. Mais en travaillant lentement, avec des outils robustes et bien trempés, on ne rencontre pas de difficultés sérieuses dans les opérations ordinaires d’ajustage des pièces d’acier-nickel.

Le module d’élasticité des alliages irréversibles diminue à mesure qu’augmente la teneur en nickel ; il est moindre à l’état magnétique qu’à l’état non magnétique.

Celui des alliages réversibles diminue graduellement de 25 à 36 pour 100, où il passe par un minimum, puis augmente ensuite pour rejoindre graduellement le module du nickel pur. Le minimum est de 15 tonnes par millimètre carré, à peu près égal, par conséquent, aux deux tiers de celui qu’indiquerait la loi des mélanges.

Particularité très digne de remarque, et sur laquelle je reviendrai : la variation thermique du module des aciers irréversibles durs n’est que le tiers environ de celle de l’acier, ainsi qu’il résulte des observations faites sur des spiraux de ces alliages, notamment par M. Paul Perret.

Je parlerai plus loin des variations très curieuses des alliages réversibles.

Dilatations. — En subissant la transformation magnétique, les aciers au nickel irréversibles augmentent de volume d’une manière permanente et ne reviennent au volume primitif qu’en recoupant, aux températures élevées, la courbe de passage à l’état non magnétique. A ce dernier état, leur coefficient de dilatation est très voisin de celui du laiton, tandis qu’à l’état magnétique maximum, il n’est pas très différent de celui de l’acier. Aux états intermédiaires, le coefficient de dilatation possède une valeur qui diminue en même temps que croît le magnétisme. Un même barreau de métal peut donc posséder, d’une manière permanente, et entre les mêmes limites de température, toutes les dilatations comprises entre 10/1000000 et 18/1000000 environ, suivant le degré de transformation qu’il a subi.

Tout acier réversible, au contraire, possède, à chaque température, une dilatation qui, au moins en première approximation, a une valeur unique, ne dépendant que de cette température et de la teneur de l’alliage, et non des températures antérieurement subies.

L’allure de ces dilatations est, d’ailleurs, très singulière. A l’état magnétique, les alliages d’une teneur comprise entre 29 et 50 pour 100, seuls étudiés jusqu’ici, possèdent une dilatation plus faible que n’indique la loi des mélanges; puis, lorsque la susceptibilité magnétique commence à tendre vers zéro, la dilatation augmente rapidement pour finir par atteindre, à l’état non magnétique, une valeur élevée. La courbe (fig. 2) montre la succession de ces trois phases, OA, AB et BC.

Quant à la valeur de la dilatation en fonction de la teneur, elle est donnée par le diagramme (fig. 3), dans lequel les courbes étagées correspondent à la série des températures 0°, 50°.... On voit que, entre 26 et 29 pour 100 environ, les alliages sont, déjà à la température ordinaire, plus dilatables que ne l’indique la loi des mélanges, par le fait qu’ils se trouvent dans la région AB ou même BC de la courbe précédente.

Puis, conformément au diagramme (fig. 1), la région de transformation magnétique s’élève avec la teneur, et les alliages reculent de plus en plus dans la région OA, atteignant le point A à des températures de plus en plus élevées.

[schéma : Fig. 2]

La courbe correspondant à 0° s’abaisse considérablement vers 36 pour 100 de nickel, atteignant une ordonnée qui ne correspond plus qu'au dixième environ de la dilatation du platine, et l’on conclura, du diagramme (fig. 1), ce que l'expérience directe vérifie d’ailleurs, que cette dilatation très basse se maintient jusqu’au voisinage de 150°, pour entrer là dans la deuxième région.

[schéma : Fig. 3]

L’écartement des courbes successives à mesure que la température s'élève montre le déplacement graduel de gauche à droite de la région AB, qui atteint la courbe de 200° vers 37 pour 100.

Dans toute la région comprise entre 36 et 46 ou 47 pour 100, les courbes s'étagent dans l’ordre inverse, le coefficient du terme dépendant du carré de la température dans la formule de dilatation étant négatif.

Les additions de chrome, de carbone, de manganèse augmentent la dilatation, et la proportion de ces ingrédients varie, en général, un peu d'une coulée à l’autre. Le traitement mécanique des alliages peut aussi modifier leur dilatation, de telle sorte qu’il est plus intéressant de donner ici des résultats généraux que de citer des nombres précis qui ne peuvent se rapporter qu’à des coulées spéciales. Je dirai seulement que les plus faibles dilatations obtenues sont encore en dessous du minimum indiqué par le diagramme; mais ces résultats sont exceptionnels et ne peuvent être garantis.

Variations passagères et permanentes de volume. — Bien que peu apparentes, ces variations ont une grande importance au point de vue de l’emploi des alliages dans les arts de haute précision, et notamment pour leurs applications à l’horlogerie ; il convient donc d’en faire ici une étude approfondie que nous limiterons aux alliages réversibles.

Un alliage de cette catégorie, amené brusquement d’une température 01 à une autre température 02, ne prend pas immédiatement la longueur correspondant à la température actuelle, mais y arrive graduellement, après un temps souvent assez long. Lorsqu’il passe à une température supérieure à celle à laquelle l’alliage avait pris son état d’équilibre, il subit, à mesure que la température s’établit, une dilatation correspondant à sa teneur, puis se raccourcit ensuite légèrement. Dans le passage inverse, après s’être contracté, il augmente faiblement de longueur.

Il importe de connaître tout d’abord la différence entre les états que l’on observe au moment même de l’établissement de la nouvelle température et ceux qui s’établissent après un temps très long ; puis aussi la rapidité avec laquelle se produit, à chaque température, le passage d’un état à l’autre.

J’ai déterminé ces éléments de la variation passagère sur un grand nombre d’échantillons de l’alliage le moins dilatable. La succession des états obtenus soit

[schéma : Fig. 4]

par une variation absolument brusque, soit par une variation infiniment lente de la température, diffère ainsi que l’indique la courbe du diagramme (fig. 4). Les températures sont portées en abscisses, les variations résiduelles en ordonnées, en microns par mètre. On voit, par exemple, sur la courbe, que, si l’on porte brusquement à 40° une barre ayant atteint son équilibre parfait à 0°, puis si l’on suit son mouvement à cette température, on verra la règle se raccourcir de 5/1000000 environ. La courbe ayant une très forte courbure, les variations correspondant aux changements ordinaires de la température ambiante sont beaucoup plus faibles. Entre 0° et 100°, ces variations sont suffisamment représentées par

Δl = – 0,00325.10-6θ2,

θ étant la température comptée à partir de 0°. Au sujet de la rapidité de la variation, je citerai seulement les nombres suivants :

La température passant de 0° à 25°, on commence à percevoir une différence au bout d’une vingtaine d’heures, et le mouvement, qui est au total de 1,5/1000000 environ, s’accomplit entièrement en deux cents heures. Si l’on passe de la température ordinaire à 100°, on constate déjà, au bout de dix minutes, un raccourcissement de 10/1000000, et le mouvement total est complètement effectué en moins d’une heure.

Lorsque la température baisse, les mouvements sont, à température finale égale, beaucoup plus lents que dans le premier cas. Si, par exemple, on passe de 100° à 60°, on observe un mouvement qui est, au début, de 0µ,1 environ par heure, pour une règle de 1m, et ne s’arrête qu’au bout de trois cents heures. De 60° à 40°, le mouvement initial est de 0µ,025 par heure et ne s’arrête qu'après sept cents heures. A la température ordinaire, le mouvement est encore beaucoup plus lent.

Outre ces variations, qui se produisent lentement et en totalité au bout d’un temps suffisamment long, on en constate d’autres qui semblent différer en principe des premières et consistent en un allongement lent et graduel des barres, qui peut durer des années, en tendant graduellement vers une limite. Ces mouve-

[schéma : Fig. 5]

ments s'effectuent d’autant plus rapidement que la température est plus élevée et ne parcourent leur cycle complet que lorsque l’alliage a été soumis à une série de recuits a des températures graduellement descendantes. La courbe (fig. 5) montre les variations subies par une barre de l’acier-nickel le moins dilatable, recuite lentement de 150° à 40°, puis abandonnée pendant plusieurs années à la température du laboratoire. Les points du diagramme représentent les longueurs directement observées à la température de 15°, à laquelle la règle était toujours ramenée pour la mesure. Ces points forment une série de festons annuels, s’abaissant d’autant plus que la température ambiante, dont la marche est indiquée par la courbe pointillée supérieure, s’élève davantage. La courbe continue qui montre la marche avec le temps est tracée par les points correspondant aux températures ambiantes les plus basses. Les distances entre les points isolés et la courbe correspondent sensiblement aux dépressions dues aux écarts de température, telles qu’elles sont représentées dans le diagramme (fig. 4).

La courbe continue montre que, au bout de trois ans de repos, la règle s’était allongée d’une quantité un peu inférieure à 0mm,01. Dans la troisième année, la variation n’était plus que de 1µ environ.

Ces variations peuvent encore être réduites si, avant d’abandonner la règle à la température ambiante, on la maintient pendant quelques semaines entre 25° et 30°.

Les variations dont il vient d’être question se rapportent toutes à un alliage contenant environ 36 pour 100 de nickel. A mesure que la teneur augmente, ces variations diminuent. A 30 pour 100 de nickel, elles sont beaucoup plus considérables que celles qui viennent d’être indiquées. A 43 pour 100, elles sont tout à fait inappréciables.

De plus, ces variations sont relatives seulement aux barres travaillées à chaud. Les barres étirées à froid subissent des variations d’une autre nature, dues à la disparition graduelle des tensions intérieures par le recuit. Ce retour en arrière, à peu près insensible à la température ordinaire, se manifeste fortement à 100° par un raccourcissement graduel de la barre qui, une fois effectué, ne se poursuit plus aux températures inférieures, auxquelles une barre étirée, bien recuite à 100°, se comporte comme une barre forgée à chaud.

Propriétés diverses. — Il est intéressant de signaler la résistance très grande que les aciers-nickel d’une teneur supérieure à 30 pour 100 offrent à l’oxydation. Ils ne bleuissent qu’à une température bien supérieure à celle qui convient à l’acier.

A l’air humide, ils se conservent indéfiniment sans une tache de rouille. Plongés dans l’eau froide, ils peuvent y demeurer plusieurs jours sans que les surfaces polies présentent la moindre tache de rouille.

En revanche, les surfaces brutes ou préalablement attaquées par un acide sont beaucoup plus sensibles à l’oxydation par l’eau. Néanmoins, dans les plus mauvaises conditions, ils sont incomparablement plus résistants que le fer.

Les aciers à haute teneur en nickel peuvent être obtenus presque exempts de piqûres, même microscopiques. Ils prennent un très beau poli et supportent d’excellents tracés.

SECONDE PARTIE.

Applications.

Nous venons de voir qu’aucune des propriétés accessoires des aciers au nickel ne s’oppose aux emplois que leurs singularités permettent de prévoir. Presque aussi faciles à travailler que l’acier ordinaire, ne présentant aucun des multiples inconvénients qui résultent de la facile oxydabilité de ce dernier, d'un prix qui, bien que plus élevé, est encore assez modique pour n'intervenir que comme facteur de second ordre dans la fabrication des instruments de précision, généralement assez coûteux par eux-mêmes, ils permettent de prévoir des combinaisons mécaniques nouvelles que je me propose de passer rapidement en revue.

Le pendule.

Description. — La nécessité de remplir la double condition d'une parfaite liberté et d'un parfait ajustage dans les nombreuses tiges qu'il met en œuvre a fait presque complètement renoncer au pendule compensé à gril, qui a cédé la place dans ces dernières années au pendule à compensation mercurielle. Mais ce dernier possède aussi quelques défauts dus à la mobilité du mercure dans la portion du pendule qui est précisément soumise aux mouvements les plus étendus, à sa facile oxydabilité, à son évaporation sensible, suivie de sa condensation en gouttelettes, d'où résulte la possibilité d'une variation de la masse ou de la position du centre d'oscillation du pendule. Un dispositif mécanique qui en utilisant un principe analogue, supprimerait l'emploi du mercure, permettrait de réaliser des progrès sensibles en évitant ces divers inconvénients.

Or, un coup d'œil jeté sur le diagramme des dilatations (fig. 3) montre qu'il est extrêmement facile de trouver un métal qui, associé à une tige de l'acier-nickel le moins dilatable, présente une dilatation qui soit à celle de ce dernier dans un rapport semblable au rapport de la dilatation cubique du mercure à la dilatation linéaire de l'acier. On pourra donc réaliser, par un procédé analogue, la compensation complète, en n'utilisant que des métaux ou des alliages solides.

Trois dispositifs mécaniques distincts ont été proposés pour arriver à ce résultat. Le premier en date, dont un modèle a été présenté au Comité international des Poids et Mesures en avril 1897, consiste (fig. 6a) à disposer la lentille sur l'écrou de telle façon que sa dilatation de bas en haut compense la dilatation de haut en bas de la tige. Dans une description de ce pendule donnée dans le Journal suisse d'Horlogerie, j'indiquais la possibilité d'entailler au besoin la lentille, ou d'intercaler entre la lentille et l'écrou, supposé du même alliage que la tige, une ou plusieurs cales de métal fortement dilatable, permettant de corriger, par l'étude des marches, la petite erreur commise dans la réalisation de la compensation.

Le deuxième dispositif, dû à M. Thury, fait intervenir un double cylindre fileté en laiton (fig. 6b) reposant sur l’écrou, et que l’on peut étendre ou raccourcir à volonté, de manière à modifier les mouvements qu’il communique à la lentille, reposant sur lui par son centre de gravité.

[deux schémas : Fig. 6a et Fig. 6b]

Enfin, dans une combinaison un peu différente, M. Riefler substitue au cylindre extensible deux cylindres superposés, de métaux différents, dont la longueur totale est toujours la même, et dont les longueurs individuelles sont choisies de manière que leur dilatation totale ait la grandeur voulue.

Des pendules de ces trois systèmes ont été adaptés à de bonnes horloges en observation depuis quelques années ; mais la pratique n’a pas encore donné des indications suffisantes permettant de recommander un système à l’exclusion des autres.

Tous trois peuvent encourir le reproche de ne donner la compensation que si la température au niveau de la lentille est égale à la température moyenne de la tige ; mais la même critique peut être adressée au pendule à mercure de la forme ordinaire, avec cette circonstance aggravante que, dans ce pendule, l’erreur résultante est de dix à vingt fois plus grande, suivant la dilatation de la tige d’acier- nickel.

Déformations lentes. — Il convient, cependant, avant d’aller plus loin, de se rendre un compte exact des erreurs que pourront entraîner, dans la marche d’une horloge, les déformations de la tige non contenues dans la formule de dilatation déterminée par des variations rapides de la température.

Remarquons tout d’abord qu’une variation de 1 millionième dans la longueur de la tige entraîne un changement de 4 centièmes de seconde par jour dans la marche de l’horloge. Or le diagramme (fig. 5) nous montre que, si une tige d’invar a subi la série rationnelle des recuits, et si elle reste en repos pendant un an, elle n’éprouve plus, dans l’année qui suit, qu’une variation de 2 millionièmes et, dans la troisième année, qu’une variation deux fois moindre. Cette variation est, d’ailleurs, régulière et progressive, et les marches observées de l’horloge permettront une interpolation très sûre.

Cependant, à cette marche progressive s’en superpose une autre, due aux variations étendues de la température ambiante. Il convient de noter qu’une horloge convenablement installée, ne doit subir normalement que les variations saisonnières de la température, et que les variations diurnes doivent être atténuées de façon à ne comporter qu’un petit nombre de degrés. Dans ces conditions, et à ces petits écarts près, la tige reste très peu en retard de l’écart définitif correspondant à chacune des températures moyennes à toute époque de l’année. Pour cette application particulière, il conviendra de considérer le pendule comme arrivant, à chaque température, à la longueur définitive correspondante, c’est-à-dire qu’on devra calculer la compensation en partant d’une formule de dilatation corrigée de la quantité 0,00325.10-6θ2. L’erreur qui pourra rester dans le résultat dépendra des écarts diurnes de la température par rapport à la température moyenne de la saison. Il est aisé d’évaluer cette erreur.

Supposons que, la température moyenne à une époque déterminée étant de 15°, l’écart diurne puisse atteindre 5 degrés dans les deux sens, ce que l’on pourra considérer comme un grand maximum. L’erreur entre la dilatation vraie et la dilatation admise pourra atteindre 0,5.10-6, correspondant à 2 centièmes de seconde par jour. Sur l’ensemble des 24 heures, la compensation sera encore plus parfaite, et sur les deux moitiés de la journée l’erreur ne sera guère que de 1 centième de seconde. Les quantités, calculées pour un cas défavorable, sont certainement négligeables.

Les quelques craintes que pouvaient donner les variations lentes des aciers-nickel sont donc écartées, et la substitution des pendules qu’ils permettent de construire à ceux dont la compensation est obtenue par le mercure semble ne présenter que des avantages.

Je tiens cependant à insister encore sur la nécessité absolue, pour réduire les variations lentes aux valeurs indiquées ci-dessus, de recuire systématiquement les tiges à des températures graduellement décroissantes, depuis 100° jusqu’à la température ordinaire. On réalise les conditions les plus parfaites du recuit en débutant, par exemple, par une centaine d’heures à 100°, puis en laissant refroidir pendant un mois ou six semaines, de manière à prolonger d’autant plus le séjour à une température déterminée qu’elle est plus basse. Il est indifférent que le refroidissement soit continu, ou procède par petits sauts, de 10 à 20 degrés, surtout aux températures supérieures à 50°, qu’il soit fait en une seule fois ou qu’il soit interrompu, à la condition que, si l’on a atteint rapidement la température ambiante, on retourne à la dernière température de recuit pour refroidir lentement.

Pour des pendules de second ordre, des précautions aussi minutieuses deviennent superflues, et l’on obtiendra déjà une amélioration sensible en abaissant la température en deux ou trois jours de 100° à la température ordinaire, après une exposition de quelques heures à 100°. Les chaleurs ordinaires de l’été produisent aussi un recuit très efficace.

Une crainte a été exprimée au sujet de l’application au pendule de mesures faites sur des barres robustes soumises seulement aux efforts mécaniques résultant de leur propre poids, alors que les tiges de pendule supportent des tractions atteignant exceptionnellement 200gr par millimètre carré, et normalement la moitié de cette valeur. L’objection méritait d’être examinée de près. Pour pouvoir y répondre, j’ai étudié les variations de longueur d’un fil soumis à une traction permanente de 5kg par millimètre carré et déterminé sa dilatation dans ces conditions. Dans des expériences ayant duré une quinzaine de jours, et dans lesquelles le fil a atteint les températures de 0° et 38°, il n’a présenté aucune variation permettant de conclure à un saut brusque ou à un allongement insolite. La même expérience, répétée à un an de distance avec un autre fil, a conduit au même résultat. Malgré les difficultés inhérentes à la mesure de la dilatation d’un fil tendu, les erreurs résiduelles des mesures ne permettent pas de conclure à des variations susceptibles de provoquer des changements supérieurs à 1 ou 2 centièmes de seconde par jour dans une horloge.

Assurément, la durée de ces expériences pouvait être considérée comme insuffisante ; mais, d’une part, l’écart de température était environ double de celui auquel sont soumises les bonnes horloges, et la traction exercée sur le fil était 25 à 100 fois plus grande que celle à laquelle sont exposées les tiges de pendule ; on peut donc être complètement rassuré sur ce point.

Calcul des éléments d’un pendule compensé. — Dans les calculs relatifs au pendule, on partira, pour les raisons précédemment indiquées, de la formule de dilatation par variation rapide de la température, corrigée de la quantité — 0,00325.10-6θ2. Puis, dans le choix de la pièce compensatrice, faisant ou non partie de la lentille, on tiendra compte, autant que possible, du rapport des deux coefficients de la formule de dilatation.

La succession des courbes du diagramme (fig. 3) montre que le rapport des deux coefficients forme, pour les aciers au nickel, une série continue de valeurs passant du positif au négatif. On pourra donc choisir, parmi les alliages, celui pour lequel le rapport des deux coefficients est sensiblement le même que pour la pièce compensatrice, ce qui assurera une compensation complète. Il faut remarquer, toutefois, que la correction du deuxième terme, nécessitée par les changements lents, fait reculer le point de croisement des courbes vers les faibles teneurs, ce qui obligera souvent, si l’on veut remplir la condition de compensation complète, à chercher, pour la pièce compensatrice, un alliage dont la dilatation diminue à température croissante, par exemple un acier à 45 pour 100 de nickel. Lorsqu’on voudra pousser aussi loin l’égalisation des effets de la dilatation, il faudra, de toute nécessité, déterminer directement, par des expériences très précises, la dilatation des diverses pièces du pendule. On peut observer toutefois que, sans précautions particulières, on se trouvera, en général, au point de vue de l’erreur secondaire, dans de meilleures conditions que pour la correction mercurielle d’un pendule à tige d’acier.

Le choix des alliages étant fait, on n’aura plus à tenir compte, dans le calcul, des deux coefficients des formules de dilatation des pièces, mais seulement de la dilatation vraie à une température moyenne.

Voici maintenant comment on peut arriver, par un calcul numérique très simple, à déterminer avec exactitude les dimensions de la pièce compensatrice :

Supposons la lentille ramassée en son centre de gravité, hypothèse insuffisante pour le calcul de la longueur totale du pendule, mais suffisante pour le calcul de la compensation, et soient L la distance de ce point à l'axe de suspension, l la longueur de la pièce compensatrice, α2, α1 les coefficients de dilatation de cette pièce et de la tige ; nous aurons d'abord, en négligeant la masse de la tige,

(1) [formule mathématique]

λ' étant une valeur provisoire de λ, L' une valeur de L, calculée par exemple comme pour le pendule simple. En possession de λ', nous pourrons immédiatement fixer l par des raisons de constructions, en tenant compte de la longueur de l'écrou.

Désignons maintenant par M et m les masses de la lentille et de la tige, et par A leur rapport, toujours beaucoup plus grand que l'unité. Le pendule à seconde, que nous prendrons pour type, est défini par la condition

(2) [formule mathématique]

I et S désignant respectivement le moment d'inertie et le moment statique du pendule complet.

Introduisant, dans cette relation, les valeurs de ces quantités et développant, on trouve, pour déterminer L en seconde approximation,

(3) [formule mathématique]

Si l'on a à résoudre numériquement cette équation un grand nombre de fois, il convient de la mettre sous une forme pratique pour le calcul, en substituant à L l'expression 100 + δ, où δ est toujours très petit. Pour g = 981, toutes les grandeurs étant exprimées dans le système C.G.S., on trouve

(4) [formule mathématique]

Si g a une valeur sensiblement différente de celle qui a été admise, on corrigera L proportionnellement à l'écart relatif des deux valeurs. On peut maintenant recalculer λ' par la première formule.

La condition vraie de la compensation est la suivante :

(5) [formule mathématique]

C étant indépendant de la température ; cette condition peut être écrite

(6) [formule mathématique]

Faisant varier chacun des termes de l'équation d'une quantité correspondante aux dilatations qui se produisent sur un intervalle de 1 degré, on aura, pour déterminer la seule inconnue λ, l'équation

(7) [formule mathématique]

Mais nous connaissons déjà la valeur λ', très voisine de λ ; nous pourrons donc poser

λ = λ' + ε,

et simplifier l'équation par la relation

1 + λ'α1 – λ'α2 = 0 ;

posant

α21 = β,

on aura finalement

(8) [formule mathématique]

d'où

(9) [formule mathématique]

On voit, d'après l'équation (5), que C n'est pas très différent de L. le principe même du pendule compensé impose une valeur de β beaucoup plus grande que l'unité ; aucun des facteurs de l'expression ci-dessus n'est donc voisin de zéro, de telle sorte qu'on pourra, dans le calcul numérique, se limiter à un petit nombre de décimales pour toutes les grandeurs intervenant dans la formule, sans jamais commettre sur ε d'erreur affectant le résultat d'une façon appréciable.

Il faut enfin tenir compte de la suspension que, pour simplifier, nous avons négligée jusqu'ici.

Soient α3 sa dilatation moyenne, s sa longueur, comptée depuis l'axe d'oscillation jusqu'à l'endroit où la tige commence à se dilater librement. Posons α3 – α1 = γ ; on aura, comme première approximation de la longueur additionnelle de la pièce compensatrice annulant l'effet de la suspension,

(10) [formule mathématique]

et, en seconde approximation, comme on trouve aisément en introduisant la dilatation des pièces dans l'équation (7),

(10') [formule mathématique]

le terme correctif de la parenthèse dépasse rarement 0,05 en pratique.

J'ajouterai une seule remarque concernant la suspension : la grande différence de dilatabilité de l'invar et des métaux usuels produit nécessairement des tensions dans les pièces où cet alliage est enserré dans un métal ordinaire ou inversement. Dans les grands écarts de température, ces efforts peuvent dépasser ceux du serrage et donner lieu à des déplacements permanents. Le cas peut se présenter lorsque la tige d’invar d’un pendule est engagée, à son extrémité supérieure, dans une douille de laiton où elle est serrée et goupillée, et qui porte les crochets de suspension.

Pour éviter les variations de cette nature, M. Riefler, de Munich, qui a adopté depuis quelque temps pour ses horloges le pendule à tige d’invar, forme les crochets par fraisage aux dépens de cette dernière, à laquelle il donne, dans le pendule à seconde, un diamètre de 14mm.

C’est probablement à l’inobservance de cette précaution que l’on doit certains sauts brusques constatés dans la marche de quelques horloges munies du nouveau pendule.

Le balancier compensateur.

Théorie de l’erreur secondaire. — Un emploi judicieux des aciers au nickel permet de résoudre très simplement la question de l’erreur secondaire des chronomètres, sans l’adjonction au balancier d’aucune compensation auxiliaire qui en complique la construction et constitue une cause fréquente de dérangement des marches.

L’erreur secondaire est due, comme on sait, en majeure partie, au terme de second ordre de la variation d’élasticité du spiral avec la température. Cette erreur dépend, en effet, dans une large mesure, de la nature du spiral ; elle est environ quatre fois plus forte avec le spiral d’acier qu’avec celui de palladium, et l’on sait, d’autre part, que toutes les variations thermiques de l’acier sont affectées d’un terme de second ordre relativement important.

Le balancier lui-même peut, il est vrai, introduire un terme secondaire dans la compensation ; mais il est ordinairement très petit. Nous allons voir qu'on peut modifier sa grandeur et son signe à volonté.

La variation du rayon de courbure d’une lame bi-métallique est exprimée, suivant Villarceau, par l’équation

(1) [formule mathématique]

ρ0 et θ0 désignant deux valeurs initiales correspondantes du rayon ρ et de la température θ. Dans cette expression, h désigne en abrégé

[formule mathématique]

e représentant l’épaisseur de la lame, e1, e2 les épaisseurs respectives de chacun des métaux, E1, E2 leurs modules d’élasticité.

Posons

(2) [formule mathématique]

et écrivons l’équation sous la forme

(3) [formule mathématique]

e' désignant le quotient e/ρ, ou l'épaisseur relative de la lame.

On voit immédiatement que la variation relative du rayon de courbure est proportionnelle à la différence des dilatations des deux parties de la lame et inversement proportionnelle à son épaisseur relative ; c’est donc cette dernière quantité qui, dans les balanciers de dimensions différentes, assure la similitude des déformations, c’est-à-dire l’égalité d’action.

Le maximum de déformation est atteint lorsque B = 0, ou lorsque

(4) [formule mathématique]

condition indiquée pour la première fois par Villarceau.

Voyons d’abord comment les variations de B sont susceptibles d’influer sur l’erreur secondaire.

Supposons que, comme on le fait toujours en pratique, on ait cherché à réaliser la condition de Villarceau, mais que les quantités e1 et e2 s’en écartent respectivement de ε1 et ε2; on aura, dans ce cas,

(5) [formule mathématique]

expression montrant que, si les ε sont dus aux dilatations thermiques, la valeur de B dépendra du carré de la température. Mais ces quantités restent toujours bien en dessous du millième ; B est donc toujours bien inférieur au millionième ; et, comme les plus grands écarts à compenser restent en dessous de 500 secondes par jour, les termes quadratiques provenant des variations des épaisseurs sont absolument inappréciables. Il en est de même des changements dus aux variations des modules d’élasticité, bien qu’elles soient beaucoup plus considérables que les dilatations.

La détermination de l’erreur secondaire se réduira donc à la discussion de l’équation

(6) [formule mathématique]

où la variabilité de ρ introduit encore une complication dont on peut se débarrasser.

Le document le plus sûr dont nous puissions nous servir pour chercher à corriger l’erreur secondaire est le résultat de l’observation des chronomètres munis de la compensation habituelle. Or nous nous proposons de substituer au balancier acier-laiton un autre balancier ayant la même action moyenne, mais une action de second ordre un peu différente. Dans le nouveau balancier, la variation de l’épaisseur relative de la lame et la variation relative du rayon de courbure seront les mêmes que dans l’ancien et, s’il s’agit seulement de déterminer la différence des actions secondaires, nous pouvons négliger le terme commun aux deux balanciers. Le calcul pourra donc être fait comme si le rayon était constant au dénominateur du premier membre ainsi qu’au dénominateur de e'.

Le pouvoir compensateur du balancier est imposé par la nature du spiral. Ses deux éléments, de signes contraires, sont la variation de courbure de la lame et le mouvement radial de son point d’attache. Le premier de ces effets est environ douze fois plus grand que le second, et c’est celui d’où dépend la solution pratique du problème.

Les dilatations n’étant pas, en général, proportionnelles aux températures, nous pourrons développer l’expression des dilatations moyennes, et poser

(7) [formule mathématique]

L’erreur secondaire entre deux températures, par exemple 0° et 2θ, est la différence entre la variation de marche entre 0 et θ, et la moitié de la variation entre 0 et 2θ ; elle est exprimée par

(8) [formule mathématique]

En désignant par Q l'action de la bilame imposée par le spiral, on aura

(9) [formule mathématique]

et, en introduisant cette valeur dans l’équation précédente, on trouve

(10) [formule mathématique]

Cette équation nous montre que l’erreur secondaire due à la lame est proportionnelle à l’effet exigé d’elle, et proportionnelle au quotient de la différence des termes de second ordre dans les expressions de la dilatation par la différence des termes exprimant les dilatations moyennes. La proportionnalité au carré de la température provient uniquement du fait que nous avons adopté une formule du second degré pour les dilatations. En pratique, une expression de cette forme a suffi jusqu’ici à tous les cas dont nous pouvons avoir à nous occuper ici.

Exemples numériques. —Appliquons en premier lieu la formule qui précède au calcul de l’effet d’une bilame acier-laiton. Les mesures faites par M. Benoît à l'aide du dilatomètre Fizeau ont donné :

Acier ………………………………………… α1 = (10 400 + 5,20θ)10-9

Laiton………………………………………… α2 = (18 600 + 5,50θ)10-9

En admettant que le spiral exige une correction moyenne de 11 secondes par degré et par jour, on trouve, pour les balanciers de construction ordinaire, en tenant compte de l’effet propre du bras,

[formule mathématique]

d’où

[formule mathématique]

Faisant, comme à l’ordinaire, θ = 15, il vient S = 0,1. On trouve aisément que la part du déplacement radial du point d’attache de la lame, dans l’erreur secondaire, est environ moitié moindre ; celle due à la variation du moment d’inertie du bras est encore beaucoup plus petite.

D’autre part, l’observation directe des chronomètres nous enseigne qu’un spiral d’acier, compensé par un balancier acier-laiton, conserve une erreur secondaire de 2s à 2s,5. Nous devrons donc choisir les métaux composant le balancier de telle sorte que la valeur de S donnée par l’expression (10) soit de cet ordre de grandeur. Les aciers au nickel nous donnent bien des moyens d’atteindre ce résultat. Le coefficient du terme quadratique de la dilatation variant depuis une valeur positive très grande jusqu’à une valeur négative, il suffira de choisir parmi eux, soit pour la partie extérieure, soit pour la partie intérieure de la lame, un alliage donnant avec tout autre métal ou alliage un quotient caractéristique convenable.

Mais, en pratique, la question se limite immédiatement. Les procédés actuels de fabrication des balanciers exigent le tournage très précis d’une plaque de l’un des métaux, dans laquelle on creuse une rainure qu’on remplit ensuite, par fusion directe, d’un alliage beaucoup moins réfractaire que le métal de la plaque. Après un nouveau tournage de la matière rapportée, le balancier est ensuite forgé par petits coups donnés sur le pourtour.

Ce procédé de fabrication exige que l’alliage rapporté se trouve à l’extérieur ; et, comme la correction de l’erreur secondaire nécessite une augmentation accélérée de la courbure, on est limité à l’emploi, pour la partie intérieure, d’un alliage possédant un terme quadratique s’éloignant dans le sens négatif de celui de l’alliage extérieur. On le trouvera parmi les aciers au nickel dont le deuxième coefficient de dilatation est négatif, c’est-à-dire dans la région comprise entre 36 et 48 pour 100, en remarquant que la correction pour les déformations lentes diminue à mesure qu’on augmente la teneur en nickel.

Un alliage à 44 pour 100 m’a donné, par exemple,

a = 8508.10-9, b = - 2,51.10-9.

Rapprochant ces nombres de ceux qui ont été donnés précédemment pour le laiton, on trouve, S = - 2,2. Cette combinaison convient donc au problème que nous nous étions proposé.

On trouverait de même des combinaisons compensant parfaitement le spiral de palladium.

Il est utile d’ajouter que les alliages qui assurent le mieux la correction de l’erreur secondaire, conservent extrêmement peu de magnétisme permanent, sont d’une grande stabilité, peu oxydables et susceptibles d’un beau poli. On peut, toutefois, leur reprocher d’avoir une limite élastique peu élevée lorsqu’ils ont été soumis aux températures du soudage du laiton, ce qui peut faire craindre des déformations permanentes après les grands écarts de température.

Résultats. — Il était intéressant de vérifier, par une expérience pratique, les conclusions théoriques du calcul qui précède. Mais on pouvait, en même temps, réaliser un autre perfectionnement de détail. L’emploi du laiton, combiné avec un alliage moins dilatable que l’acier, permettait soit de raccourcir la lame, soit de lui donner une plus grande épaisseur et, par conséquent, de diminuer l’effet de la force centrifuge. Je m’arrêtai à la première idée, pour la raison suivante : La force centrifuge produit, à la fois, une flexion de la lame et une rotation autour de son point d’attache si les mouvements autour de ce point sont inégaux ; il en résulte un effet irrégulier et impossible à prévoir de la force centrifuge, tandis qu’une lame symétrique autour du point d’attache n’est soumise qu’à sa propre flexion.

Partant d’un balancier que voulut bien me confier M. P. Nardin, je calculai d’abord les constantes d’un balancier de la forme représentée fig. 7, et dont l’exé-

[schéma : Fig. 7]

cution fut confiée à M. J. Vaucher, à Travers (Suisse). Ce balancier fut aussitôt substitué, par les soins de M. Nardin, à un balancier de forme ordinaire, dans un chronomètre de marine parfaitement réglé, mais dont l'erreur secondaire dépassait deux secondes.

Les essais d’isochronisme firent immédiatement ressortir l'effet de la forme adoptée ; il y avait une avance sensible aux grands arcs, et l'on dut rapprocher les courbes terminales de la forme théorique et refaire un réglage, dont M. Nardin chargea son très habile collaborateur, M. H. Rosat. Le chronomètre fut ensuite déposé à l'Observatoire de Neuchâtel, où il fut observé du 24 janvier au 25 mars de cette année. Voici ses marches moyennes dans les périodes les plus intéressantes (- = avance) :

Dates.

Températures moyennes.

Marches diurnes moyennes.

24 janvier – 1 février 1900

10°,0

-1s,72

1 – 8 février

9,7

-1,68

8 – 11 "

32,0

-0,85

11 – 14 "

10,2

-1,26

14 – 17 "

0,5

-1,05

17 – 24 "

10,6

-1,40

18 – 25 mars

11,6

-2,04

L’examen de ces résultats montre que les épreuves thermiques ont été sans effet notable sur les marches qui, après l’étuve et la glacière, se sont retrouvées à moins de 0s,3 de ce qu’elles étaient avant l’épreuve. Pendant les deux mois des épreuves on trouve une avance totale de 0s,3 par jour, ce qui peut être considéré comme un très bon résultat. Enfin, si l’on construit le diagramme des marches aux températures, en faisant intervenir à égalité chacun des groupes du 1er au 24 février, on trouve une erreur secondaire qui, réduite à un intervalle de 30 degrés, est très voisine de 0s,3 d’avance, quantité qui touche aux limites des erreurs fortuites des marches dans les périodes relativement courtes des épreuves thermiques.

Voici, comme deuxième exemple, les marches d’un chronomètre de poche à tourbillon et à ressort, construit aussi par M. Nardin et observé à Neuchâtel (1) [en note de bas de page : (1) Les observations en position horizontale, avec cadran en haut, sont seules reproduites ici.] :

Dates.

Températures moyennes.

Marches diurnes moyennes.

5 – 14 avril

12°,0

+2s,4

14 -15 "

31,6

+1,9

15 – 16 "

13,1

+1,9

16 – 17 "

0,7

+2,9

17 – 20 "

11,6

+3,4

10 – 17 mai

14,1

+2,0

Les épreuves thermiques semblent avoir introduit, dans les marches de cette pièce, une petite perturbation, due peut-être à l’humidité, et qui avait disparu au bout de peu de temps.

Si l’on combine entre elles toutes les observations du 5 au 20 avril, on trouve une erreur secondaire en retard de 0s,2, tandis que, si l’on élimine celles du 17 au 20, l’erreur change de signe, en restant voisine de 0s,2. On peut en conclure que, d’après ces observations, l’erreur secondaire est très petite et encore indéterminée.

Le même chronomètre, observé à Genève, donna une erreur de une seconde de retard si l’on combine toutes les observations avec cadran en haut. Mais, si l'on tient compte des observations avec cadran en bas, l’erreur est diminuée de moitié. On se trouve encore ici dans les limites des écarts dus au mécanisme.

Plusieurs chronomètres de poche, construits par M. Paul Ditisheim, ont confirmé les résultats qu’on déduit des déterminations précédentes.

L’ensemble des observations faites jusqu’ici montre que le nouveau balancier, tout en résolvant, comme on pouvait en être à peu près certain d’avance, la question de l’erreur secondaire du spiral d’acier, conserve suffisamment sa forme, au moins aux températures atteintes dans les épreuves thermiques faites jusqu’ici, pour que les marches ne soient pas sensiblement modifiées avec le temps.

Cependant, des épreuves de très longue durée pourront seules mettre ce point définitivement hors de doute (2). [en note de bas de page : (2) Les épreuves auxquelles divers chronomètres ont été soumis, depuis la réunion du Congrès, ont confirmé la parfaite stabilité du nouveau balancier.]

Le spiral.

En mars 1897, M. Paul Perret observa ce fait singulier qu’un spiral d’invar, associé à un balancier monométallique, donnait une forte avance au chaud. Il en conclut immédiatement qu’il devait exister certains aciers au nickel assurant l’invariabilité d’élasticité du spiral. Nous entreprîmes alors en commun, et avec la coopération de la Société de Commentry-Fourchambault, des expériences systématiques destinées à rechercher les alliages jouissant de cette propriété ou, plus exactement, d’une variation positive telle qu’elle compensât l’augmentation du moment d’inertie d’un balancier fait avec un métal choisi, en tenant compte surtout de la facilité de la fabrication.

En août de la même année, le professeur Marc Thury publia, au Journal suisse d’Horlogerie, le résultat d’une expérience de flexion sur une lame d’acier très peu dilatable, indiquant aussi que le module d’élasticité de cet alliage augmente avec la température. M. Thury décrivait, à la suite de ses expériences, un mode de compensation consistant à associer un spiral du nouvel alliage avec un spiral d'acier, la variation de l’un compensant celle de l’autre.

A cette époque, nous avions déjà obtenu, M. Perret et moi, des résultats très encourageants dans la direction indiquée ; je les communiquai à M. Thury, qui renonça très courtoisement à poursuivre ses recherches.

L’acier et le nickel ayant chacun une variation négative de l’élasticité par l’élévation de la température, on pouvait prévoir l’existence de deux alliages possédant une variation nulle, ou assez faiblement positive pour compenser la variation du balancier monométallique. Ces alliages furent trouvés au voisinage de 45 pour 100 et de 28 pour 100 de nickel et, dans ces deux régions, on peut obtenir la compensation moyenne aux températures dans l’emploi d’un balancier d’un métal ou alliage arbitrairement choisi. Mais les conditions dans lesquelles se produit cette compensation sont très différentes. Tandis que les alliages à forte teneur donnent une erreur secondaire très peu supérieure à celle des spiraux ordinaires, ceux à 28 pour 100 sont affectés d’une variation de second ordre extrêmement importante, dont la raison apparaîtra si l’on se reporte aux variations magnétiques des alliages de cette catégorie. Aux températures ordinaires, ces alliages se trouvent dans la dernière partie de la courbe de perte du magnétisme. Peu au-dessus, ils sont dans la région non magnétique, et suivent dès lors la règle générale de diminution de l’élasticité par augmentation de la température. A des températures sensiblement différentes de celles du début de la transformation, au contraire, les alliages à faible teneur se trouvent dans des conditions semblables à celles de l'invar aux températures ordinaires, et possèdent un coefficient fortement positif de variation. Le passage graduel d’un état à l’autre se produit aux températures usuelles, auxquelles la variation change de signe, de telle sorte que l’on profite d’un minimum assez étalé. Les expériences sont très bien représentées par une formule parabolique plaçant, pour certains de ces alliages, le sommet de la parabole au voisinage de 15°. La compensation entre 0° et 30° est alors obtenue, mais avec une erreur secondaire de 15 à 20 secondes. On remarquera que cette erreur est environ vingt fois plus faible que la variation à peu près linéaire du spiral d’acier entre les mêmes limites de température, et que l’amélioration résultant de l’emploi de ces spiraux pour les montres non compensées serait déjà très considérable. Nous avons néanmoins cherché à étaler encore le minimum, ce qu’on obtient en modifiant l’alliage. Les spiraux de cette catégorie joignent, aux avantages résultant de leurs propriétés élastiques, celui d’être à peu près insensibles au magnétisme.

Les spiraux faits avec les alliages à forte teneur ont donné, aux mains d’un régleur aussi habile que M. Paul Perret, qui a eu à surmonter, dans la confection de ces spiraux, de grosses difficultés, des résultats remarquables comme compensation et comme constance de marche. Mais ces spiraux seraient jugés trop mous par la majorité des régleurs.

Au printemps 1898, alors que sévissait une crise économique sur les spiraux, un groupe d’horlogers sollicita notre intervention en vue de bénéficier des recherches déjà faites dans le domaine des spiraux d’acier-nickel. Le désir de leur donner satisfaction nous détourna momentanément de nos recherches ; mais nous pûmes nous convaincre, par l’essai important qui fut fait des nouveaux spiraux par l’industrie horlogère, notamment en Suisse, qu’aucune raison pratique ne s’oppose à leur emploi pour les montres des diverses catégories.

En même temps, nous pûmes mettre à l’épreuve les résultats d’études déjà achevées concernant l’emploi des alliages irréversibles.

Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce Mémoire, les alliages contenant environ 24 pour 100 de nickel peuvent être, aux températures ordinaires, non magnétiques et mous, ou magnétiques et secs, suivant les transformations qu’ils ont subies. Des spiraux, fabriqués avec ces alliages, se sont montrés presque aussi élastiques que les spiraux trempés, et susceptibles de les suppléer dans la plupart de leurs emplois. Ils sont beaucoup moins oxydables et, fait déjà signalé, nécessitent une compensation trois fois moindre.

Cette variation réduite des propriétés élastiques ne pouvait manquer d’introduire une certaine perturbation dans les habitudes des régleurs. On pouvait chercher la compensation exacte dans trois procédés distincts : 1° Association, dans la bilame, de métaux autres que l’acier et le laiton ; 2° Modification des épaisseurs relatives ; 3° Déplacement de la coupure.

Le premier procédé présente l’inconvénient de substituer, à une combinaison connue et ayant fait ses preuves, une association nécessitant de nombreuses expériences et l’épreuve du temps pour pouvoir être recommandée.

Le deuxième éloigne des conditions de maximum d’action de la bilame, conditions présentant l’inappréciable avantage de comporter une assez large tolérance dans les épaisseurs relatives des deux métaux. La troisième solution restait seule pratique, et c’est celle qui a été généralement adoptée. Les conditions de compensation sont telles que, si l’on coupe à angle droit du bras un balancier destiné à un spiral d’acier, on assure la compensation pour un spiral de la catégorie des aciers-nickel irréversibles. Cette disposition donne aux balanciers une rigidité beaucoup plus grande que la coupure au ras du bras, et une plus grande permanence avec le temps.

Conclusions.

Dans cette revue rapide des propriétés des aciers au nickel et de leurs principales applications à l’Horlogerie et à la Chronométrie, nous avons pu nous rendre compte des simplifications ou des perfectionnements résultant des conditions rationnelles de leur emploi dans l’horloge ou la montre. Dans plus d’une direction, ces curieux alliages ont subi l’épreuve de quelques années d’étude systématique, et leurs applications peuvent être exactement prévues. Dans d’autres subsiste encore une part d’inconnu, la possibilité de quelques déceptions, comme aussi celle de découvertes ou d’inventions nouvelles étendant le domaine aujourd’hui exploré. Mais, quel que soit le sort qui leur soit définitivement réservé dans telle de leurs applications, on peut dès maintenant affirmer que, dans leur ensemble, ils devront fixer l’attention des horlogers soucieux du progrès dans le bel art qu’ils cultivent.

Type de document Procès-verbal
Transcripteur Muller, Julien
Collection Volume 1900-1902
Citer ce document “Les aciers au nickel et leurs applications à la chronométrie par M. Ch.-Ed. Guillaume”, 1902-04-23, Les procès-verbaux du Bureau des longitudes, consulté le 20 avril 2024, http://purl.oclc.org/net/bdl/items/show/5572

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