Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

[Présentation de Charles-Edouard Guillaume sur les récents progrès du système métrique]

Titre [Présentation de Charles-Edouard Guillaume sur les récents progrès du système métrique]
Créateur Guillaume, Charles-Edouard (1861-1938)
Contexte Volume 1906-1909
Date 1908-12-16
Identifiant O1906_1909_165
Relation O1906_1909_164
Format 20 x 26,8 cm; image/jpeg;
Éditeur Bureau des longitudes; Observatoire de Paris; Laboratoire d'Histoire des Sciences et de Philosophie - Archives Henri Poincaré (UMR 7117 CNRS / Université de Lorraine);
Droits CC BY-SA 3.0 FR
Type Ronéotypé; Text; [Note];
Description

Bureau des Longitudes

Annexe <au procès-verbal> de la séance du 16 décembre 1908

(9 pages)

M. Guillaume présente la suite de sa communication sur les récents progrès du système métrique. Il donne connaissance des lois de 1891 et 1900, introduisant le système métrique à titre facultatif dans les Empires japonais et russe. Au Japon, les mesures métriques se sont beaucoup répandues, le nombre des séries de poids métriques déterminées par les vérificateurs japonais atteint un chiffre annuel de 150 000 environ, douze fois supérieur à celui des séries japonaises vérifiées. La loi de 1891 a été déjà modifiée plusieurs fois, et toujours en vue de favoriser l'emploi des mesures métriques. Cette loi sera refondue très prochainement.

En Russie, le système métrique est imposé dans la médecine militaire ; le nombre des étalons métriques vérifiés en deux ans est de 250 000.

Le Danemark a légalisé le système métrique, qui deviendra obligatoire pour tous les usagers, à l'exception de la mesure des terres, dans un intervalle de quatre ans.

Enfin, dans les deux années 1907 et 1908, trois Etats, le Canada, le Chili et l'Uruguay ont adhéré à la Convention du Mètre, essentiellement en vue de pouvoir profiter des travaux géodésiques du Bureau international.

M. Guillaume donne ensuite quelques détails sur la lutte intense engagée pour ou contre l'adoption définitive du système métrique dans les pays anglo-saxons. Dans le Royaume-Uni, il est légal depuis l'année 1897 ; aux Etats-Unis, il est le seul légal depuis l'année 1866, le système usuel ayant été légalisé seulement dans chaque Etat séparément. De plus, les étalons du Mètre et du Kilogramme définissent légalement les valeurs du Yard et de la Livre, qui leur sont rattachés par un rapport numérique.

Dans les pays anglo-saxons, les partisans du système métrique ont pu, jusque tout récemment, agir en faveur de son adoption sans rencontrer d'autre opposition sérieuse que la routine et l'attachement à la tradition. Mais, depuis quelques années, un parti influent, et surtout nombreux parmi les représentants de l'Industrie textile, a pris pour tâche de retarder, par tous les moyens, son adoption obligatoire. Ce sont les menées de ces adversaires du système métrique que combat avec acharnement la Decimal Association, aux efforts de laquelle s'associent un grand nombre de savants et d'industriels de tous les pays, et avec laquelle le Bureau international entretient des relations constantes pour l'échange des renseignements et le groupement des influences utiles à la cause métrique.

Les adversaires du système métrique ayant affirmé à diverses reprises que son adoption diminuerait les échanges avec la Chine, où le système britannique est beaucoup employé, on devait considérer toute manifestation du Gouvernement chinois pour le système métrique ou pour le système britannique comme très importante pour le développement futur des mesures en Angleterre. Tandis que le Bureau international cherchait des appuis auprès des gouvernements français, italiens et japonais, en même temps qu'une action des agents diplomatiques sur les ministres plénipotentiaires de Chine en divers pays, la Decimal Association s'attachait plus particulièrement à paralyser l'action des adversaires du système métrique sur les représentants du Gouvernement chinois à Londres et à Washington. Et c'est grâce à cet ensemble d'influences que l'on a pu enregistrer récemment un premier pas de la Chine vers l'adoption du système métrique, et une défaite des défenseurs du système britannique.

L'action du Bureau international a pu s'exercer utilement dans les colonies anglaises, et notamment dans l'Inde, en [barré : Australie] <Afrique> et dans les colonies australiennes, grâce aux relations suivies créées avec les savants de ces divers pays, surtout à la suite des perfectionnements apportés par le Bureau international aux méthodes de la géodésie. A la suite d'échanges de vues dans lesquels les intérêts du système métrique n'ont jamais été oubliés, on est arrivé à enregistrer récemment des promesses fermes d'emploi des mesures métriques dans la géodésie, la topographie et l'arpentage.

Malheureusement, les infractions aux principes du système métrique dans les pays qui l'ont adoptés, constituent pour ses adversaires [barré : du système métrique] des armes redoutables, dont ils se servent avec l'habileté.

C'est ainsi que, le 22 mars 1907, M. Lloyd George, alors Ministre du Commerce du Royaume-Uni, a pu faire rejeter la loi imposant le système métrique, en affirmant, au cours des débats de la Chambre des Communes, que ce système avait subi en France un échec désespéré. M. Lloyd George s'appuyait, pour corroborer cette affirmation sur une circulaire dans laquelle M. Doumergue priait les Chambres de Commerce d'user de leur influence pour amener la suppression des derniers vestiges des anciens systèmes, et l'adoption de la nomenclature intégrale du système métrique.

Le sens de la circulaire avait été certainement dénaturé. Mais, lorsque les principes du système sont méconnus dans les lois nouvelles, la tâche de ses partisans est rendue des plus difficiles. Le cas s'est présenté récemment lorsqu'une loi a institué la pièce de vingt-cinq centimes, contre laquelle le Bureau des Longitudes et l'Académie des Sciences ont déjà protesté. Aujourd'hui, une Commission du Sénat propose la création d'une pièce de deux centimes et demi (le demi-sou), qui constituerait une atteinte encore beaucoup plus grosse aux principes fondamentaux du système métrique.

Le danger de l'existence d'une pièce de vingt cinq centimes, ou quart de franc, n'a pas tardé à se manifester. Ainsi, un groupe d'intéressés s'est immédiatement adressé au Gouvernement de l'Empire d'Allemagne, s'appuyant sur la pièce nouvelle, pour demander l'autorisation de faire confectionner des poids de 250 grammes. De même, le congrès des fabricants d'appareils de pesage, récemment réuni à Paris, a émis un vœu en faveur de l'admission au contrôle de poids le 250 et 125 grammes.

La constatation de ces infractions, accomplies ou préparées par des demandes d'autorisation, conduit à examiner à nouveau la constitution même du système métrique, afin d'établir la nature des modifications qui pourraient lui être apportées sans dommage pour son intégrité.

Il faut distinguer, dans l'ensemble des facteurs constituants du système métrique, 1° des principes (définition du Mètre et du Kilogramme, division décimale), 2° des règles d'action (nomenclature des étalons autorisés, principes de la vérification, etc).

Tout le monde s'accorde pour reconnaître que les principes sont rigoureusement intangibles. Quant aux règles d'action, elles pourraient être modifiées dans une certaine mesure, s'il était clairement établi que ces modifications sont utiles, et n'entraînent par ailleurs aucun inconvénient grave.

Parmi des règles d'action se trouve celle que fixe l'article 8 de la loi du 18 germinal An III. "Dans les poids et les mesures de capacité, chacune des mesures décimales de ces deux genres aura son double et sa moitié, afin de donner à la vente des divers objets toute la commodité que l'on peut désirer."

Le sens de cet article de la loi et des limites raisonnables de son application seront clairement établies par quelques exemples.

Lorsque le système métrique fut rendu obligatoire en Suisse, la règle du double/et de la moitié fut appliquée avec une extrême rigueur, même aux verres et bouteilles destinées à la consommation directe dans les auberges et les cabarets. Or, l'exécution de cette mesure donna lieu à de nombreuses difficultés, résultant du fait qu'il est impossible d'imposer à quiconque l'obligation de boire immédiatement une quantité donnée de liquide. Entre le verre ou la bouteille de 2 décilitres, et ceux de 5 décilitres, l'intervalle était trop considérable, et on fut obligé de revenir à la contenance usuelle de 3 décilitres.

On reconnut ainsi que, pour les vases destinés à la consommation immédiate et intégrale, la règle devait être susceptible de fléchir, et restait même mieux dans l'esprit de la loi qui établit cette règle "Afin de donner à la vente des divers objets toute la commodité que l'on peut désirer."

Mais l'établissement de l'échelle des monnaies est très différent du cas des vases de consommation. La monnaie, étalon de mesure des valeurs, n'implique pas la consommation immédiate et intégrale, elle est bien plutôt assimilable aux étalons de masse ou de capacité, que l'on peut additionner de manière à atteindre toute valeur donnée. Or, dans tous les cas analogues, la règle pratique consiste à établir la série des étalons de telle sorte 1° qu'avec un nombre aussi petit que possible de valeurs distinctes, ils permettent d'atteindre, par l'association du plus petit nombre d'entre eux, toute quantité susceptible d'être mesurée, 2° de faciliter au maximum le calcul de leur somme.

Dans toutes les propositions de division du franc, figurent le demi-franc, le décime et le demi-décime. Mais, pour partager l'intervalle compris entre le décime et le demi-franc, on peut s'arrêter soit au double décime soit à la pièce de vingt-cinq centimes, et si cette dernière, opposée aux règles d'action du système métrique, ne présente pas d'avantages sur l'autre, il faudra évidemment l'abandonner.

En examinant la constitution des sommes comprises entre cinq centimes et quarante-cinq centimes (à partir de cinquante centimes, les combinaisons se reproduisent), on constate qu'il faut, en moyenne, exactement le même nombre de pièces pour atteindre toutes les valeurs, en employant soit la pièce de deux décimes, soit celle de vingt cinq centimes. La première condition ne donne donc aucun avantage à cette dernière.

Si l'on examine ensuite la valeur des pièces en tenant compte de la deuxième condition, on reconnaît que la pièce de deux décimes est préférable puisque les additions faites en partant des plus grosses valeurs, débutent par un seul chiffre, et ne font apparaître le second que lorsqu'intervient la pièce de cinq centimes qui achève la somme. Au contraire, si l'on commence pour une pièce de vingt-cinq centimes, le calcul comporte d'emblée deux chiffres, ce qui le rend plus difficile.

L'abandon des règles du système métrique en faveur de la pièce de vingt-cinq centimes a donc été une erreur, contre laquelle il est très désirable de réagir.

Les arguments donnés s'appliquent a fortiori à la pièce de deux centimes et demi, <qui contient une fraction du centime, ultime division utile et légale du franc. La pièce de deux centimes et demi ne se justifierait que comme demi-sou, et ferait revivre légalement une unité condamnée par l'ordonnance du 27 octobre 1840.

Les raisons invoquées par M. le Sénateur Cicéron dans le Rapport concluant à la création de cette pièce ne semblent pas suffisantes pour engager à enfreindre gravement les règles du système métrique.

Il ne faut pas, en effet, s'exagérer l'importance du fait que, le petit consommateur est désavantagé par le partage en deux parties inégales à son détriment, de toute somme exprimée par un nombre entier de fois cinq centimes. Le cas le plus fréquent est celui des achats quotidiens tels que ceux du pain et du lait. Or, le consommateur établit toujours, d'accord avec le vendeur, un régime compensatoire réunissant les jours deux par deux.

Le Rapport cite l'exemple de certaines monnaies dont la valeur nominale est voisine de deux centimes et demi. Mais, une semblable coïncadence [coïncidence] est sans importance aucune, puisque le billon ne franchit pas les frontières, et que sa capacité d'achat varie beaucoup d'un pays à l'autre.

Au surplus, si l'on excepte la monnaie anglaise, tous les exemples donnés par M. le Sénateur Cicéron obéissent au principe de la division purement décimale ou à la règle du double et de la moitié. Tels sont le Kopek russe (0,01 rouble) l'ochr'el guerch égyptien (0,001 de la livre) la pièce de deux öre scandinave (0,02 du kroner), le sen japonais (0,01 du yen), sans parler de la pièce bulgare de deux stotinkis (0,02 du lev) dont la valeur est exactement égale à deux centimes.

D'autre part, la création de la pièce d'un demi-sou constituerait une atteinte tellement grave aux règles de constitution du système métrique, qu'il deviendrait impossible d'en arrêter la désagrégation.

M. Guillaume parle ensuite de la réforme du carat, qu'il a proposée au début de l'année 1905, et qui est en voie de pleine réalisation.

Le carat varie entre de larges limites d'un pays à l'autre, et ne possède nulle part une valeur métrique simple. Sa valeur la plus communément répandue est comprise entre 205 et 206 mg. Sa réforme, par l'adoption d'un carat unique de deux décigrammes ayant semblé à la fois possible et éminemment désirable, la proposition en fut faite, d'abord par la voie de la presse technique, puis au sein du Comité international des Poids et Mesures, qui lui donna sa pleine approbation. La proposition fut ensuite communiquée aux principales chambres syndicales intéressées dont beaucoup se déclarèrent prêtes à l'accepter, à la condition que la réforme fût internationale. Enfin, la Conférence générale des Poids et Mesures sanctionna, en octobre 1907, le carat métrique de deux décigrammes. Cette décision fut communiquée aux Gouvernements par le Comité international des Poids et Mesures, puis le Gouvernement français pris l'initiative d'une enquête auprès des autres Gouvernements, sur leurs intentions à l'égard de la réforme. La plupart ont répondu de façon entièrement favorable, et le Gouvernement français a pu, après cette consultation, soumettre à la Chambre des Députés, un texte de loi dont l'article unique est le suivant.

"Dans les transactions relatives aux diamants, perles fines, pierres précieuses, la dénomination de carat métrique pourra, par dérogation à l'article 5 de la loi du 4 juillet 1837, être donnée au double décigramme.

L'emploi du mot carat pour désigner tout autre poids demeure prohibé."

La réforme sera certainement accomplie dans la plupart des pays au cours de l'année prochaine.

[au crayon de papier : En admettant une telle [mot illisible]]

Type de document Procès-verbal
Transcripteur Muller, Julien
Commentaires Numéroté de 1 à 9.
Collection Volume 1906-1909
Citer ce document “[Présentation de Charles-Edouard Guillaume sur les récents progrès du système métrique]”, 1908-12-16, Les procès-verbaux du Bureau des longitudes, consulté le 20 avril 2024, http://purl.oclc.org/net/bdl/items/show/5959

Item Relations

This item has no relations.

FR751142302_006_013158_A.jpg
FR751142302_006_013166_A.jpg
FR751142302_006_013165_A.jpg
FR751142302_006_013164_A.jpg
FR751142302_006_013163_A.jpg
FR751142302_006_013162_A.jpg
FR751142302_006_013161_A.jpg
FR751142302_006_013160_A.jpg
FR751142302_006_013159_A.jpg
FR751142302_006_013149_A.jpg
FR751142302_006_013157_A.jpg
FR751142302_006_013156_A.jpg
FR751142302_006_013155_A.jpg
FR751142302_006_013154_A.jpg
FR751142302_006_013153_A.jpg
FR751142302_006_013152_A.jpg
FR751142302_006_013151_A.jpg
FR751142302_006_013150_A.jpg