Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Comment le Bureau des longitudes n’a pas commémoré son centenaire

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Colette Le Lay

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 23/11/2018

Centenaire de l'Ecole Normale

Fondée en 1795 par la Convention, comme le Bureau des longitudes, l’Ecole Normale célèbre l’anniversaire en grande pompe. La presse s’en fait l’écho et une publication couronne l’événement. (source : openlibrary.org)

Lorsqu’une institution a la chance d’avoir un siècle d’histoire, elle ne manque pas de fêter l’événement afin de montrer à son autorité de tutelle et/ou au grand public l’étendue de son œuvre et l’intérêt de ses projets. Examinons comment le Bureau des longitudes se singularise par l’absence de commémoration de son centenaire, en dépit des multiples idées émises au cours de ses séances.

Tout débute pour le mieux puisque, dès février 1895, le Bureau se préoccupe de la célébration. Ainsi lit-on dans le procès-verbal du 6 février :

« Le Président [Jules Janssen] rappelle au Bureau que la date du centenaire de sa création est proche ; c'est le 25 juin prochain. Il estime qu'il y aurait lieu de s'occuper sans tarder de cette question et de décider de quelle façon ce centenaire pourrait être célébré. A son avis, il faudrait au moins prévoir une publication commémorative. »

Deux mois passent et le 3 avril, la discussion reprend :

« M. le Président rappelle que le centenaire de la fondation du Bureau tombe au mois de juin prochain ; il convient de voir dès à présent si on veut le célébrer solennellement comme ont fait d'autres corps.

Une courte discussion s'engage à ce sujet et divers membres préconisent l'idée d'une séance qui ne serait pas publique, mais où on inviterait un certain nombre de savants et d'officiers ; elle pourrait se tenir un mercredi dans la salle des séances de l'Académie et on y ferait un historique sommaire des travaux accomplis par le Bureau depuis sa fondation en exposant brièvement les travaux projetés ou en cours d'exécution. »

Centenaire de l'Institut

Le 23 octobre, le Bureau avance l’heure de sa séance et l’écourte afin de permettre à ses membres d’assister aux cérémonies du centenaire de l’Institut. (source : gallica.bnf.fr)

Le 17 avril, une pièce intitulée « Centenaire du Bureau » est annexée au procès-verbal. Le président fait valoir à ses collègues qu’une abstention de leur part, tandis que l’Institut et L’Ecole Normale Supérieure s’apprêtent à célébrer leur siècle d’existence, pourrait passer pour de « l’hostilité ». Il revient à sa mémoire que l’article 7 de la loi relative à la formation d’un Bureau des longitudes (7 messidor an III – 25 juin 1795) stipulait : « Il rendra annuellement un compte de ses travaux dans une séance publique ». Pourquoi ne pas renouer avec cette obligation ? Une typologie des invités est imaginée. Les ministres de l’Instruction publique, de la Guerre et de la Marine seraient conviés à présider la séance. Et, pour donner plus de lustre à la cérémonie, il est envisagé d’y décerner des médailles (de vermeil, voire d’or) « et ces récompenses devront s'adresser à la Marine, à l'armée de terre à la Géographie. » Afin de mettre en œuvre toutes ces mesures, une commission ad hoc est créée.

Le 22 mai, « M. Cornu propose qu'à l'occasion du centenaire, on imprime la table des additions à la Connaissance des temps que vient de préparer M. Bigourdan et qu'on y joigne le relevé des notices de l'Annuaire. » Mais peu de temps après, un devis s’élevant à 1600 francs est communiqué par l’imprimeur Gauthier-Villars. Le Bureau, engagé dans la coûteuse opération de la carte magnétique du globe, ne peut mobiliser une telle somme et ajourne la publication.

Le 17 juillet, comme chaque année à pareille époque, on se préoccupe des Notices de l’Annuaire et « M. le Président explique qu'il conviendra d'y faire figurer le Discours du Centenaire ».

Après la période estivale, le sujet qui est devenu un serpent de mer refait surface. Le 9 octobre

« M. le Président soulève la question de la célébration du centenaire. S'il y a lieu de tenir une séance publique il faudrait s'en occuper dès à présent.

Invitation au Ministère

Carte personnelle d'invitation au Ministère. (source : gallica.bnf.fr)

M. Loewy dit qu'une semblable séance ne pourrait réunir qu'un public trop restreint, et qu'il conviendrait seulement, à l'occasion du Centenaire, de publier dans l'Annuaire, un compte rendu des travaux du Bureau dans le siècle qui vient de s'écouler. »

La Bibliothèque de l’Institut conserve sous les cotes 1370 à 1383 les documents relatifs aux festivités du centenaire de l'institution dont elle préserve la mémoire. Inutile de chercher l’équivalent dans les archives du Bureau des longitudes. Ses ambitions commémoratives ont fondu comme neige au soleil : exit la séance publique, exit les médailles.

Une Notice dans l’Annuaire semble bien le moins que le Bureau puisse faire pour mettre en exergue son premier siècle d’histoire. Mais, même sur ce terrain, nos espérances sont déçues. Pas de notice dans l’Annuaire pour 1896, publié fin 1895, pas plus que dans les années qui suivent. Il faut attendre 1928 pour que l’astronome Guillaume Bigourdan (1851-1932), membre titulaire du Bureau des longitudes à compter de 1903, débute la célèbre fresque historique qui s’étend dans l’Annuaire jusqu’à l’exemplaire posthume, pour l’année 1933. Mais ceci est une autre histoire que nous retracerons dans un prochain focus…