Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Les débuts de l'Annuaire

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Colette Le Lay

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 20/10/2017

Dès la fondation du Bureau des longitudes en 1795, l’article 9 du règlement précise que : « Le Bureau présentera chaque année au Corps Législatif un Annuaire propre à régler ceux de toute la République. »

Lors de la 39e assemblée du 22 nivôse an IV (12 janvier 1796), les membres du Bureau s’inquiètent de ce qui va composer ledit Annuaire :

Procès-verbal du 12 janvier 1796

Procès-verbal du 12 janvier 1796

« On parle de l'Annuaire que nous sommes chargés d'y mettre [sic] : le lever et le coucher du ☉ et de la ☾et l'équation du tems. les jours de la lune. périgée, équin.☾ascendant

les passages des planètes et les déclinaisons

une explication de la sphère et des éclipses, des comètes. les révolutions. Vénus en plein jour. les poids et mesures. » (Voir illustration)

 C’est le « citoyen » Bouvard qui est chargé de l’élaboration du premier numéro pour lequel Jérôme Lalande préconise un tirage à 4000 exemplaires – nombre réduit à 1200 l’année suivante.

Le 4 thermidor an IV (22 juillet 1796), une liste des destinataires est arrêtée. L’Institut a la part belle (144 exemplaires), les autres devant être remis au Directoire et aux ministres, à l’Ecole polytechnique, à quelques personnalités du monde savant et à l’Observatoire. Après quelques soubresauts, la première livraison pour 1797 est enfin disponible en août puisque l’année républicaine débute en vendémiaire-septembre (Voir illustration).

Annuaire du Bureau des longitudes pour l'année 1797

Annuaire du Bureau des longitudes pour l'année 1797 (source : gallica.bnf.fr / Observatoire de Paris)

L’un des enjeux de la période post révolutionnaire étant la généralisation des systèmes métrique et décimal, le Bureau établit, pour 1799, deux jeux d’épreuves. Dans la première, toutes les mesures sont décimalisées, y compris les angles et les heures. Dans la seconde, le système métrique et décimal est mis en place à l’exclusion de ces deux cas particuliers. Dès l’année suivante, cette seconde version gagne la bataille.

Le calendrier républicain donne également lieu à quelques échanges qui s’étendent sur plusieurs années. Doit-on s’y tenir ou proposer les deux calendriers ? En août 1805, le Bureau anticipe le retour programmé au calendrier grégorien : l’Annuaire pour l’an XIV ne comporte que trois mois mais il est complété par l’Annuaire entier de 1806. Désormais, l’Annuaire sera livré pour janvier.

Au fil du temps, les débats portent sur les tables à ajouter ou soustraire, les institutions et personnalités auxquelles on délivre l’Annuaire, le tirage. Ainsi, le 14 fructidor an XII (1er septembre 1804), Méchain qui poursuit la prolongation de la Méridienne de France écrit au Bureau pour demander « douze exemplaires de l'Annuaire pour distribuer à ceux qui favorisent ses opérations en Espagne. » Plus généralement, les astronomes et observatoires étrangers figurent très vite au nombre des destinataires afin de recevoir leurs publications en retour.

Pendant ces premières années, l’Annuaire tend à prendre la forme d’un inventaire à la Prévert dans lequel chaque membre préconise l’adjonction d’une table qui lui tient à cœur (population des villes importantes, marées, table de mortalité, etc.) provoquant une inflation du nombre de pages. Le 12 vendémiaire an XIV (4 octobre 1805), Laplace décide de faire cesser la cacophonie et devient, avec Burckhardt, commissaire pour l’Annuaire. C’est le début de l’institutionnalisation d’une « commission de l’Annuaire » qui prendra diverses formes, tantôt fusionnant avec son analogue de la Connaissance des temps, tantôt prenant son indépendance, se bornant parfois à une existence virtuelle jusqu’à ce qu’une séance décide de sa réunion après une période de somnolence…

Un authentique « courrier des lecteurs » se crée, les usagers faisant état d’erreurs, s’émouvant de certaines prévisions, suggérant de nouvelles tables, proposant des données. Ainsi, le 29 thermidor an VIII (17 août 1800), le préfet de police réclame les levers et couchers du Soleil et de la Lune afin d’établir un « tableau pour l’illumination des rues de Paris ». Notons également la crainte soulevée chez les habitants de Marennes par « la hauteur de la marée du 4 mars », annoncée dans l’Annuaire pour 1825. Le Bureau rassure en expliquant un chiffre « mal imprimé, et mal compris ». (PV du 26 janvier 1825).

Les traces de l’Histoire sont aussi perceptibles dans l’Annuaire. Sous l’Empire, les territoires annexés par les conquêtes napoléoniennes doivent figurer dans les tables de populations. Ainsi le 7 novembre 1810, le ministre de l’Intérieur demande d’y ajouter « les départements de l'Italie, de la Hollande et celle des cantons suisses. » Dans le PV du 18 septembre 1811, la carte s’agrandit avec « différentes parties de l'Europe : Westphalie, Wittenberg, Saxe, Suisse et Espagne. »

Jérôme Lalande était coutumier du procédé des « additions » à la Connaissance des temps. Il récidive avec l’Annuaire en proposant dès 1804 une notice de chronologie. La tradition des notices s’instaure, Biot proposant les voyages de Humboldt pour 1808 ou Prony décrivant les travaux des Ponts-et-Chaussées en 1809-1810. Mais les notices acquièrent leurs lettres de noblesse en 1811 lorsque François Arago s’en empare pour ne plus y renoncer jusqu’à sa mort en 1853. Rédigées en parallèle au cours public d’astronomie, elles s’en nourrissent ou l’alimentent. L’actualité astronomique engendre des thématiques. La célèbre question de Louis XVIII à Laplace au sujet de la lune rousse, lors de la remise officielle de l’Annuaire, occasionne un cycle autour des influences supposées de la Lune (Annuaire pour 1827 et 1828).

La terreur suscitée par la comète de 1832 donne naissance à plusieurs notices autour des comètes dont la célèbre « Une comète peut-elle venir choquer la Terre ou toute autre planète? »

Recueils de notices rédigées par François Arago

Recueils de notices rédigées par François Arago (© Colette Le Lay)

Les notices d’Arago deviennent un rendez-vous annuel incontournable à une époque où il n’existe pas de revue de diffusion de l’astronomie. Les éditeurs flairant la bonne affaire en font des recueils séparés qui se vendent comme des petits pains.

La parution de l’Annuaire pour 1838 sans notice d’Arago engendre un scandale public et une lettre du ministre auquel Arago doit préciser que les statuts du Bureau ne stipulent aucune obligation de publier des notices. Mais, pour satisfaire les lecteurs frustrés, une notice sur le tonnerre est distribuée gratuitement.

Qu’adviendra-t-il de l’Annuaire à la mort d’Arago ? C’est ce que nous découvrirons dans un prochain focus…