Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Les rédacteurs de la Connaissance des temps, et leurs principaux collaborateurs, de 1795 à 1932

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Guy Boistel

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 26/09/2017

Introduction – Avant le Bureau des longitudes [1]

La Connaissance des temps est la plus ancienne des éphémérides astronomiques publiée sans discontinuité depuis 1679, prenant la suite des éphémérides de Johann Hecker, elles-mêmes héritières des éphémérides de Johannes Kepler. Entre 1679 et 1701, elle est sous un régime semi-privé, sous contrôle du pouvoir royal ; le conseiller royal Joachim Dalencé et l’astronome Jean Picard en sont les rédacteurs de 1679 à 1683, puis la relève est assurée par Jean Lefèbvre pour les volumes de 1684 à 1701.

En 1701, la charge de cette publication est confiée à l’Académie royale des sciences à la suite d’une querelle entre Lefèbvre et l’astronome royal Philippe de La Hire. Se succèdent alors les astronomes Jacques Lieutaud (1702-1729), Louis Godin (1730-1734), Jean-Dominique Maraldi (II) (1735-1759), Jérôme Lalande (1760-1775), Edme-Sébastien Jeaurat (1776-1787) et Pierre Méchain (1788-1795, an III).

La Connaissance des temps, un nouvel almanach nautique et astronomique

Lalande apporte de profonds changements dans la conception de la Connaissance des temps et transforme en 1772 l’éphéméride astronomique en un almanach nautique à destination de navigateurs, en concurrence avec le Nautical Almanac and Astronomical Ephemeris de Nevil Maskelyne, publié par le Board of Longitude anglais. Ses successeurs, bien après Méchain, poursuivront son œuvre. Ils sont assistés de nombreux calculateurs que Lalande a su associer à ses propres travaux dans les années 1760 ; parmi ces calculateurs, signalons Louis-Robert Cornelier-Lémery. Il sera le premier calculateur officiellement recruté par l’Académie royale des sciences en 1785 pour le calcul des tables de la Lune et des distances lunaires destinées à la détermination des longitudes en mer pour le méridien de Paris (elles étaient jusque-là empruntées au Nautical Almanac). Traversant non sans mal les époques, Lémery sera souvent, dans l’ombre, le véritable pilier de la Connaissance des temps, des années 1780 à 1802.

Connaissance des temps pour 1808

Connaissance des temps pour 1808 (source : gallica.bnf.fr / Observatoire de Paris)

Malgré les troubles révolutionnaires, Lalande assure la publication en temps utile pendant que Méchain et Jean-Baptiste Delambre s’occupent des opérations de détermination de la méridienne Dunkerque-Barcelone. La Connaissance des temps n’est signée par le Bureau des longitudes qu’à partir du numéro pour l’an V (1797). Elle s’intitulera désormais Connaissance des temps ou des Mouvements Célestes à l’usage des astronomes et des navigateurs, titre qui ne variera plus beaucoup jusque dans les années 1970 ! [2]

La Connaissance des temps et les débuts du Bureau des longitudes

Cette période n’est pas simple à démêler. Lalande s’occupe presque essentiellement des « Additions » qui ont transformé la Connaissance des temps en une sorte de journal de l’astronomie à partir de 1759. Les calculs sont en revanche assurés par des « coopérateurs ». Ces derniers sont mobilisés par Lalande : c’est le cas de Lémery, des calculateurs du Bureau du Cadastre de Gaspard Prony (entre 1796 et 1802), des membres adjoints du Bureau des longitudes, — Michel Lefrançois de Lalande, neveu de Jérôme, Alexis Bouvard —,  et, à partir de 1798, du viennois naturalisé français Jean-Charles Burckhardt.

Entre 1797 et 1802, quand Méchain n’est pas présent à Paris, il semble bien qu’Alexis Bouvard assure la plus grande partie de la supervision des calculs. Après les décès de Méchain en 1804, puis de Lalande en 1807, la situation s’éclaircit. Les adjoints ne sont plus mobilisés pour les calculs de la Connaissance des temps ; Méchain ayant pu constituer, avant de repartir pour la méridienne, une petite équipe de calculateurs autour du rédacteur (ébauche d’un service des calculs qui n’est pas nommé – Voir le Focus « La lente stabilisation d’un Bureau des calculs au Bureau des longitudes»). Cette disposition implicite ne sera plus remise en cause.

 

Stabilisation des rédacteurs de la Connaissance des temps et création d’un « Bureau des calculateurs »

Lalande et Burckhardt assurent la rédaction des volumes de 1803 et 1804. Delambre remplace Lalande pour le volume de 1805 puis fait équipe avec Bouvard pour les volumes jusqu’en 1810. Les calculateurs principaux sont Jean-Baptiste Marion et le mathématicien Charles Haros, formés par Lémery au Cadastre.

À partir de 1811, Bouvard est seul rédacteur de la Connaissance des temps jusqu’au volume de 1829 ; il supervise une équipe de calculateurs formée par Marion et Lebaillif-Mesnager.

Charles-Louis Largeteau se voit confier la Connaissance des temps en 1829. Il dirige la publication des volumes de 1830 à 1852, année où sa santé défaillante le contraint à confier l’intérim à Claude-Louis Mathieu. Son équipe de calculateurs est constituée des principaux Lebaillif-Mesnager, du chimiste et inventeur en photographie Marc-Antoine Gaudin et de l’auxiliaire ingénieur-géographe de l’armée à la retraite, François Montalant.

Signature d’Ulysse Bouchet, « calculateur principal » – Archives du BDL, fonds préservé aux Archives de l’Académie des Sciences

Signature d’Ulysse Bouchet, « calculateur principal » (source : Archives du Bureau des longitudes, fonds préservé aux Archives de l’Académie des Sciences) [3]

Les volumes de 1852 à 1868 sont placés sous la responsabilité de Mathieu. En 1863, Charles-Eugène Delaunay obtient la reconnaissance officielle de l’existence d’un « Bureau des calculateurs » constitué de fait dans le logement qu’occupent Delaunay, Mathieu et Laugier, au 76 Rue Notre-Dame des Champs (voir le procès-verbal du 1er avril 1863). Cette situation perdure depuis que le Bureau a été séparé de l’Observatoire de Paris en 1854, lui permettant ainsi de recruter de nombreux auxiliaires pour le calcul des nouvelles tables de la Lune établies d’après la théorie que Delaunay vient de développer. Le calculateur principal et superviseur de cette époque est le prêtre Ulysse Bouchet ; les calculateurs principaux sont Gaudin et l’officier R. Servier (Camille Flammarion y passera une année environ). Mathieu fait ensuite équipe avec Victor Puiseux pour les volumes de 1869, 1870 et 1871 mais leurs santés respectives déclinent rapidement.

La Connaissance des temps est alors confiée à l’astronome viennois et juif Maurice Loewy, non sans oppositions au sein du Bureau. Loewy publie les 32 volumes pour les années 1872 à 1906, les deux derniers étant rédigés avec l’aide de Rodolphe Radau. Avec l’Arrêté du 29 janvier 1881, Loewy et le Bureau obtiennent du ministère de l’Instruction publique la création d’un Service des calculs et la création de classes de calculateurs permettant à ces personnels une progression de carrière et un accès à la retraite, signes de la professionnalisation croissante du métier. Le Service des calculs s’étoffe progressivement en fonction des moyens financiers dont dispose le Bureau des longitudes, et l’on note l’entrée des premières femmes calculatrices (Mesdames Schmid et Domer, Mademoiselle Bellefontaine par exemple). Les deux calculateurs principaux et superviseurs les plus importants de cette époque sont l’officier Henri-Eumène Roche et surtout l’astronome viennois naturalisé français Léopold Schulhof. À la fin du XIXe siècle, on compte une dizaine de calculateurs titulaires au Bureau des longitudes.

Liste des calculateurs pour 1899 – Archives nationales, Archives du BDL, Instruction publique, F17/13.571

Liste des calculateurs pour 1899 (source : Archives nationales, Archives du Bureau des longitudes, Instruction publique, F17/13.571) [4]

À partir de l’année 1902, les noms des calculateurs sont donnés dans les deux publications du Bureau, l’Annuaire et la Connaissance des temps ; ces acteurs ne sont plus des anonymes.

La Connaissance des temps et la coopération internationale

En 1903 les distances lunaires sont supprimées de la Connaissance des temps (pour 1905) et l’éphéméride redevient une éphéméride astronomique dans un contexte d’internationalisation amorcé par les deux conférences réunissant les directeurs des quatre principales éphémérides à Paris en 1896 et 1911 (Connaissance des temps, Nautical Almanac, Berliner Astronomiches Jahrbuch, The American Ephemeris), préfigurant ainsi ce qui deviendra la Commission 4 des éphémérides de l’Union Astronomique Internationale, créée en 1919.

Au décès de Loewy en 1907, Radau et Octave Callandreau assurent un court intérim puis Radau publie seul la Connaissance des temps jusqu’au volume de 1910 (année de son décès). Le Service des calculs se stabilise autour d’une équipe d’une douzaine de calculateurs et la proportion de femmes augmente.

Henri Andoyer assure la rédaction de la Connaissance des temps de 1911 à 1929. En 1919, les calculateurs sont placés sur le même pied d’égalité, sous la responsabilité d’un principal superviseur ; depuis 1909, les calculs sont supervisés par Henri Ro[c]ques-Desvallées qui reste en service jusqu’en 1929 comme calculateur honoraire. Puis les classes disparaissent en 1928 et, à partir de 1930, il n’est plus fait mention de classes de calculateurs. Dans les années 1920-1930, on peut parfois compter plus de 50% de femmes au Service des calculs du Bureau des longitudes.

L’année 1930 est calculée par Guillaume Bigourdan et Maurice Hamy qui assurent l’intérim.

Enfin, les années 1931 à 1962 sont dirigées par Gaston Fayet. On compte environ 14 calculateurs titulaires au Bureau des longitudes jusque dans les années 1950.



[1] L’analyse des contenus de la Connaissance des temps fera l’objet d’un autre focus. Ici, il s’agit de donner quelques repères chronologiques, les noms des principaux rédacteurs ainsi que leurs plus proches collaborateurs. Avant 1902, aucune liste de calculateurs n’est publiée ; nous avons ainsi fait appel aux archives du Bureau des longitudes conservées aux Archives nationales (fonds du ministère de l’Instruction publique), aux procès-verbaux du Bureau des longitudes numérisés, aux « Avertissements » de la Connaissance des temps qui précisent irrégulièrement les contributions, et aux multiples correspondances entre savants (voir la bibliographie générale qui sera publiée sur ce site). 

[2] Aujourd'hui, l'édition de la Connaissance des temps est réalisée par l'Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides. Pour plus de détails, voir la page de l’IMCCE.

[3] Sur ce point, on pourra consulter le procès-verbal de la séance du 2 mars 1864, où Ulysse Bouchet a été nommé calculateur principal du Bureau des longitudes.

[4] On trouve également un tableau des calculateurs dans une annexe datée du 16 mars 1898.