Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Paul Adrien Bourdalouë (1798-1868), pionnier du nivellement

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Alain Coulomb

(Institut national de l’information géographique et forestière)

Publié le 12/03/2021

Médaillon représentant Paul Adrien Bourdalouë

Médaillon représentant Paul Adrien Bourdalouë (© IGN). Cet objet, de 27 centimètres de diamètre, fut établi à partir d’une médaille signée par le graveur Valentin Maurice Borrel (1804-1882), conçue à l’initiative du conseil général du Cher après le nivellement de ce département.

“Il est des hommes qui semblent nés pour le perfectionnement d’une science” : ainsi s’exprime le géographe Louis Vivien de Saint-Martin (1802-1897) à propos de Paul Adrien Bourdalouë. Tenter de retracer la vie et l’œuvre de Bourdalouë conduit en effet à s’intéresser à celle du nivellement de précision. En cette matière, il y a un avant et un après Bourdalouë.

Le nivellement fournit des altitudes ; il traduit par des chiffres le relief du sol. La méthode de nivellement la plus précise est celle du nivellement géométrique dont le principe est très simple. Afin de connaître la différence de niveau entre deux points proches, on pose tour à tour sur chacun des points une règle graduée appelée mire de nivellement et on installe entre ces deux points un instrument de mesure baptisé niveau, qui permet des visées horizontales. Les mires sont dressées verticalement par des employés appelés porte-mires.

Croquis d’une opération élémentaire de nivellement de précision

Croquis d’une opération élémentaire de nivellement de précision (© IGN). Les deux visées horizontales faites avec le niveau donnent, par la différence des lectures La et Lb sur les mires maintenues verticales, la dénivellation dnAB entre les deux points les supportant.

Les cercles saint-simoniens

Après des études effectuées à Bourges, sa ville natale, Paul Adrien Bourdalouë entre aux Ponts et Chaussées où il accède, en fin de carrière, au grade de conducteur principal. Pendant sa première partie de carrière, très classique, ses capacités techniques et de meneur d’hommes sont remarquées par l’ingénieur Paulin Talabot, futur directeur de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, aujourd’hui célèbre par son sigle PLM. Talabot est très proche des milieux saint-simoniens. A partir de 1830, il emploie Bourdalouë sur de très nombreux chantiers industriels ou d’aménagement du territoire : routes, chemins de fer, canaux, exploitations minières, assèchements de marais, rien n’est étranger au Berruyer. Sur tous ces terrains, il conçoit et expérimente de nouveaux matériels. Certains de ses instruments sont construits par Jean Brunner. Bourdalouë modernise les méthodes de nivellement, les fait progresser de façon notable et offre ainsi beaucoup plus de fiabilité que ses prédécesseurs.

Niveau et mires parlantes inventés par Bourdalouë

Niveau et mires parlantes inventés par Bourdalouë (© Alain Coulomb).

La mire « parlante »

Son invention la plus marquante est la mire dite parlante. En début de carrière, Bourdalouë emploie des mires munies d’un voyant. Le porte-mire manœuvre le voyant à l’aide d’une corde et d’une poulie, le bloque sur ordre de l’opérateur, effectue la lecture et la transmet à l’opérateur. Il vient à l’idée de Bourdalouë d’améliorer ce très primitif instrument. Il met au point la mire dite parlante parce que l’opérateur effectue lui-même la lecture sur une mire à graduations peintes. Cette invention révolutionnaire accélère les opérations de nivellement et en augmente très fortement la précision. Grâce à sa mire parlante et à ses méthodes innovantes, Bourdalouë acquiert une compétence unique qui le conduit jusqu’en Égypte.

Les équipes de Bourdalouë en Égypte

Les équipes de Bourdalouë en Égypte (© IGN).

La gloire de Bourdalouë

Napoléon 1er, déjà, veut percer l’isthme de Suez. Il le fait niveler en 1799, pendant la fameuse expédition d’Égypte. Ses ingénieurs géographes trouvent une différence de niveau de près de 10 mètres entre la mer Rouge et la Méditerranée (voir les procès-verbaux des 14 juin 1815 et 13 janvier 1836). Les savants de l’époque, parmi lesquels Jean Baptiste Joseph Fourier, Pierre Simon Laplace et François Arago, émettent très vite des doutes quant à ce résultat et c’est Bourdalouë qui confirme leur bien fondé, durant une courte mission organisée par les saint-simoniens à la fin de l’année 1847 ; la technique vient alors en appui de la science. Néanmoins, ses conclusions sont très discutées par une frange des milieux savants. Les divergences durent plusieurs années (voir les procès-verbaux des 2 octobre 1850, 9 octobre 1850 et 17 octobre 1923). Une fois la réalité bien établie, les résultats de Bourdalouë ouvrent la voie au percement du canal de Suez.

Repère de nivellement de type Bourdalouë implanté sur l’île d’Oléron

Repère de nivellement de type Bourdalouë implanté sur l’île d’Oléron (© Alain Coulomb). L’inscription placée sur le pourtour du repère se compose de deux parties. Celle du haut est : “NIVELLEMENT GAL de la FRANCE” et celle gravée en bas indique : “AU DESSUS DU NIVEAU MOYEN DE LA MER”.

Le nivellement général de la France

Durant de longues années, Bourdalouë met en avant la nécessité d’effectuer un nivellement général de la France. Pour convaincre de son utilité, il réalise à ses frais le nivellement du département du Cher. Il tisse des réseaux d’influence et profite de ceux des saint-simoniens. Il partage son temps entre Bourges et Paris et fréquente des fonctionnaires influents au ministère des Travaux publics et dans l’administration des Ponts et Chaussées, des ministres, et jusqu’à l’empereur Napoléon III qu’il rencontre plusieurs fois. Enfin, la circulaire ministérielle du 15 juillet 1857 marque le début du nivellement général de la France (voir les procès-verbaux des 3 octobre 1888, 14 novembre 1888, 14 mai 1890, 4 juin 1890, 1er octobre 1890 et 6 janvier 1892).

Afin de laisser sur le terrain des traces durables de cette grande opération, Bourdalouë fait sceller 15 000 repères de nivellement. Ces repères métalliques offrent à l’extérieur une surface cylindrique de 12,7 cm de diamètre. L’altitude correspond au sommet du cylindre (voir le procès-verbal du 2 avril 1879).

Un homme remarquable

Conseiller municipal, adjoint au maire de Bourges, conseiller d’arrondissement, Bourdalouë est aussi philanthrope, féru d’archéologie, rédacteur de notices sur ses travaux, formateur de nombreux niveleurs, promoteur des caisses de retraite et de secours mutuel… Toutes ses actions hors du commun, et beaucoup d’autres qui ne peuvent toutes être mentionnées ici, attirent sur lui les honneurs. Bourdalouë est récompensé dans plusieurs expositions nationales et internationales, notamment à l’exposition universelle de Paris en 1855. Napoléon III le fait officier de la Légion d’honneur. Il est aussi chevalier de l’Ordre du Lion néerlandais, commandeur de l’Ordre des saints Maurice et Lazare d’Italie, et décoré par le roi de Prusse et l’empereur du Mexique…


Bibliographie

Coulomb, Alain. « Enfin Bourdalouë vint ! » Revue La Bouinotte, le magazine du Berry, no 152, été 2020.

---. « Paul Adrien Bourdalouë, un Berrichon d’exception ». Revue La Gazette berrichonne, no 241, 4ème trimestre 2020.

Vincent, Robert. « Paul Adrien Bourdalouë ». Revue XYZ éditée par l’Association française de topographie, no 68, 3ème trimestre 1996.