Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Alexis Paucton (1732-1798), un « mécontent », et un « père » de la métrologie scientifique moderne ; calculateur du Bureau du Cadastre de Gaspard Prony et pour la Connaissance des temps de 1794 à 1798

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Guy Boistel

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 12/03/2021
Page de titre

Page de titre de Métrologie ou Traité des mesures, poids et monnoies des anciens peuples & des modernes, d'Alexis Paucton. (Source : gallica.bnf.fr)

Alexis Paucton[1] est né en Mayenne près de Lassay, le 10 février 1732, d’une famille très modeste[2]. Remarqué par un ecclésiastique, c’est à partir de ses 18 ans qu’il fit ses études de mathématiques et de pilotage à Nantes où il dut manifester quelques talents. Puis il se rendit à Paris où il gagna sa vie en tant que précepteur. En 1768 il publie une Théorie de la Vis d’Archimède […] (Paris, J.-H. Bulard) peut-être destinée à concourir pour un prix proposé par l’Académie de Berlin. Paucton se fait très certainement connaître de l’Académie des sciences par son traité modèle publié en 1780, Métrologie ou Traité des mesures, poids et monnoies des anciens peuples & des modernes (Paris, Veuve Desaint)[3], dans lequel il défend l’idée d’une base métrologique[4] commune partagée par les peuples anciens, idée forte de l’époque. En outre, Paucton suggère de rattacher les étalons métrologiques à des quantités prises dans la nature et propose un étalon de longueur lié de manière simple à la circonférence terrestre. Cet ouvrage forge la métrologie scientifique[5]. Il est attesté que Lalande a contribué à cet ouvrage et l’a sans doute même encouragé[6].

Puis il publie en 1781, une Théorie des Lois de la Nature ou la Science des causes et des effets, suivie d’une dissertation sur les Pyramides d’Égypte (Paris, Veuve Desaint) dans lequel il poursuit ses considérations sur les normes de mesures antiques et tente de montrer que la coudée pharaonique se rattachait au degré de méridien terrestre[7]. Ses qualités remarquables lui permettent d’obtenir une chaire de mathématiques à l’Université de Strasbourg, qu’il doit quitter rapidement suite au blocus des Autrichiens. Il se rend alors à Dôle avec sa femme et ses trois enfants (deux filles et un garçon né en 1790) où il trouve un emploi de précepteur chez un particulier dans des conditions déplorables qu’il fustige dans un opuscule intitulé Défense contre le citoyen F. En 1794, Paucton se fâche avec son logeur qui veut le payer en assignats hors de cours, ce qui anéantit son salaire et le plonge dans une « grande maladie ».

De retour à Paris, il est recruté par Gaspard Prony pour calculer au Bureau du Cadastre dans l’ombre de Cornelier-Lémery (voir notre focus consacré à Lémery) et aux côtés des futurs calculateurs du Bureau, Jean-Baptiste Marion et Charles Haros. D’une certaine manière « père » de la métrologie moderne, évoluant au beau milieu de la révolution métrologique et de la réforme des poids et mesures, Paucton est dans la foulée élu membre associé non résidant de la section des Arts méchaniques de la 1ère Classe de l’Institut national, le 28 février 1796 (9 Ventôse an IV)[8] et reçoit un secours de 3000 francs de la Convention.

Dans une lettre adressée au Baron de Zach en janvier 1798, Lalande témoigne d’une situation institutionnelle embarrassante que Paucton a lui-même créée : 

« Le citoyen Paucton dont j’ai fait connaître en 1780 la Métrologie, et qui veut maintenant l’améliorer pour en préparer une nouvelle édition n’a écrit que des bêtises sur le Système des Poids et Mesures ; il n’ose plus se montrer à l’Institut National. Je ne sais pas ce qu’il deviendra ; il est très pauvre, sa tête doit avoir souffert de chagrin et de besoin, comme La Harpe a souffert de sa peur[9] ».

Paucton décède le 15 juin 1798 (27 prairial an VI), et, selon Lalande, « sans ressources, sans traitement [sic] qui le laisse au désespoir et à la mort. L’Institut est occupé à solliciter du secours auprès du Gouvernement pour sa veuve et ses enfants ». Lalande explique de nouveau au Baron de Zach que « Paucton, l’auteur de la Métrologie est mort dans la misère, mais c’est en partie de sa faute. S’il n’avait pas écrit des bêtises contre le nouveau système métrique[10], il aurait pu compter sur une assistance, alors qu’il s’est fait de tous les savants ses ennemis[11] ». Paucton est mort un an avant que le mètre soit proclamé, lui qui avait milité pour forger sa métrologie sur la circonférence terrestre et en faire une mesure universelle.



[1] Édouard Doublet, nécrologie, Le Figaro, supplément littéraire du 16 avril 1910.

[2] Biographie nouvelle des Contemporains […], par A.V. Arnault et al., 1824, tome 16, p. 67.

[3] Il a été approuvé par le censeur royal Jean-Étienne Montucla qui a trouvé l’ouvrage « rempli de recherches curieuses & profondes » (9 octobre 1777). Une recension en est faite dans le Journal des sçavans, décembre 1780, p. 846-854, qui laisse entendre que Lalande (sans doute l’auteur de la recension…) aurait encouragé Paucton à travailler à cette Métrologie que lui-même n’avait pas le temps d’écrire...

[4] Marie-Ange Cotteret, 2003, Métrologie et enseignement, thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Université Paris 8, p. 80 et sq. Simon Schaffer, 2014, « Les cérémonies de la mesure : repenser l’histoire mondiale des sciences », XXXVIe Conférence Marc-Bloch, 3 juin 2014 (EHESS).

[5] C’est-à-dire ce qui étudie les unités, les étalons, les méthodes de mesure et calculs d’incertitudes.

[6] Aux pages 839-845 de cette Métrologie, Paucton publie plusieurs extraits de lettres écrites par des savants étrangers à Lalande avec les détails des poids et mesures dans divers pays. Ce qui atteste des relations entre Lalande et Paucton dès les années 1775-76. Lalande, 1795, Abrégé d’astronomie, Paris, p. 296-297 : « Paucton a donné dans sa Métrologie les rapports des mesures étrangères avec la nôtre d’après les matériaux que j’avois rassemblés de toutes parts » (et Journal des sçavans, août 1789, p. 564). Voir D. Triaire, 2012, « Lalande, Bernoulli, Poczobut… Lettres de savants de l’Ouest à des astronomes de l’Est », Revue d’histoire des sciences, 65/1, note 21.

[7] Lucien Gérardin, 1986, « La circonférence terrestre, étalon naturel de longueur selon la métrologie (1780) du mathématicien A. J.-P. Paucton », La Vie des Sciences, tome 3, n°3, p. 300-301.

[8] Index biographique de l’Académie des sciences, 1979, Paris, Gauthier-Villars p. 405.

[9] Lalandiana III. Jérôme Lalande. Lettres à F.X. Von Zach (1792-1804), S. Dumont et J.-C. Pecker (éds.), Paris, J. Vrin ; Lettres 24, janvier 1798, p. 84.

[10] Lalande ne précise malheureusement pas de quelles « bêtises » s’est rendu coupable Paucton aux yeux des savants.

[11] Lalandiana III, op. cit., Lettres 30, le 25 juin 1798, p. 111.