Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Antoine Marie Rémi Chazallon (1802-1872) - Partie 1

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Nicolas Pouvreau

(Shom - Centre François Viète - Université de Bretagne Occidentale)

Publié le 25/06/2018

« Si l’on donnait une couronne civique à celui qui sauve une vie humaine combien n’en eût-il pas reçu ! »

Jules Michelet, au sujet de Chazallon dans son livre La Mer, 1861, p.333.

Le Bureau des longitudes s’intéresse, depuis sa fondation, à la compréhension du phénomène des marées et à sa mesure. Il coordonne par exemple, sous l’impulsion de Pierre-Simon de Laplace [1] (1749-1827) les observations faites au port de Brest entre 1806 et 1843 [2]. Dans les procès-verbaux des séances du Bureau des longitudes, on recense, entre 1839 et 1861, 14 fois le nom d'Antoine Chazallon. Ingénieur hydrographe au Dépôt des cartes et plans de la Marine (dont le Shom [3] est l’héritier) et ancien représentant du peuple (1848-1849), le nom de Chazallon est aujourd’hui davantage connu par les habitants de son village d’origine, Désaignes en Ardèche, que par les spécialistes de la discipline scientifique qu’il a pourtant développée, organisée et pérennisée : la marégraphie [4]

Portrait de Chazallon issue de la galerie des représentants du peuple (1848). (source : bnf)

Portrait de Chazallon issue de la galerie des représentants du peuple (1848). (source : bnf)

Ce premier volet va présenter quelques facettes de l'identité professionnelle de Chazallon : l’ingénieur hydrographe, l’éditeur de l’Annuaire des marées des côtes de France, le créateur du premier réseau d’observatoires permanents du niveau de la mer et l’inventeur en France du marégraphe à flotteur, instrument permettant l’observation en continu du niveau de la mer.

L’ingénieur hydrographe

Chazallon sort de l’École polytechnique en 1824 et intègre le Corps des ingénieurs hydrographes de la Marine. De 1825 à 1837, il participe activement à la reconnaissance des côtes de France sous les ordres de l'ingénieur-hydrographe de la Marine, Charles-François Beautemps-Beaupré [5] (1766-1854) et de son second Pierre Daussy [6] (1792-1860). Entre 1822 et 1843, ce dangereux et difficile travail en mer et à terre est couronné par la publication du Pilote français, contenant 150 cartes et plans, 279 vues et 184 tableaux des pleines et basses mers. Le Pilote français consacre l’excellence française en matière d’hydrographie. L'expertise acquise sur le terrain par Chazallon à cette époque est témoignée par la publication d'un Mémoire sur les divers moyens de se procurer une base. – Emploi de la vitesse du son – Emploi des observations astronomiques. – Formules géodésiques qui parait en 1837 dans les Annales maritimes et coloniales (t. 1 pp. 323 et suivantes). Chazallon dresse par ailleurs une carte des planisphères célestes spécialement destinés aux officiers de Marine, dessinés et gravés sous la direction de Delamarche [7]. Les procès-verbaux du Bureau des longitudes ne renferment d’ailleurs aucune trace de cette carte. Cela paraît d’ailleurs assez surprenant au regard des missions dévolues au Bureau et de la note explicative accompagnant ces planisphères : « [...] En publiant ces nouvelles cartes nous avons eu principalement pour but d’être utiles aux jeunes officiers de marine ; ils y trouveront toutes les étoiles, jusques et compris celles de 6-7e grandeur, qui peuvent être occultées par la Lune ».

En 1838 la carrière de Chazallon prend une tournure nouvelle et inédite pour un ingénieur hydrographe. Son vif intérêt pour la marégraphie le propulse responsable du service des marées au Dépôt, poste qu’il occupera jusqu’à sa mise en retraite en 1861 [8].

L’inventeur de l’Annuaire des marées des côtes de France

Sur les recommandations du contre-amiral Jacques Félix Emmanuel Hamelin (1768-1839), directeur du Dépôt des cartes et plans, le contre-amiral Claude du Campe de Rosamel (1774-1848), ministre de la Marine et des Colonies, autorise Chazallon à publier son idée « d’un annuaire indiquant pour chaque jour de l’année l’heure du plein et l’élévation de l’eau dans les principaux ports de l’Océan ». Même s’il n’en est pas fait mention dans les procès-verbaux, le Bureau des longitudes et plusieurs membres du Bureau sont chaleureusement cités et remerciés dès les premières pages de la première édition de l’annuaire des marées publiée en 1839 : Félix Savary [9] (1797-1841), François Arago [10] (1786-1853) et Pierre-Simon de Laplace. Pour calculer les marées, Chazallon s’appuie en effet sur les célèbres équations de la théorie dynamique de la marée développées par Laplace dans les tomes II et V de la Mécanique céleste. Publié par Chazallon, l’Annuaire des marées des côtes de France, innovation française, fut très rapidement repris par la plupart des pays. Étrangement, il n'en sera fait mention que 3 fois par la suite dans les procès-verbaux (19/03/1856, du 24/12/1856 et du 19/06/1861), à chaque fois pour indiquer que l’Annuaire a été distribué aux membres du Bureau.

Plan du marégraphe – Chazallon (1/7). (source : Archives SHOM - Portefeuille 12-7.471)

Plan du marégraphe – Chazallon (1/7). (source : Archives SHOM - Portefeuille 12-7.471)

Le bâtisseur du premier réseau marégraphique français

Chazallon se rend rapidement compte que la théorie de Laplace est « susceptible de perfectionnement » grâce à des séries de mesures continues de hauteur de la mer faites en plusieurs ports. Le Bureau des longitudes est ainsi directement sollicité ; on en trouve des échos dans les procès-verbaux. Chazallon est chargé de faire une tournée des côtes de France (procès-verbal du 11/9/1839). Suite à ses déplacements, il rédige un rapport où il propose des améliorations pour l’observation du niveau marin. Ce rapport (malheureusement disparu) est transmis au Bureau des longitudes par le ministre de la Marine. Pour juger des propositions sur ce sujet important une commission composée d'Arago, Louis de Freycinet [11] (1779-1842), Daussy et Savary est nommée (procès-verbal du 8/4/1840) et ses conclusions sont lues et adoptées lors de la séance du 17 juin 1840. Malheureusement, ce rapport a également disparu des procès-verbaux.

Au cours de sa tournée d’inspection Chazallon décèle les limites des mesures de hauteurs d’eau faites par l’homme à l’aide d’échelles de marée. Il propose d’équiper plusieurs ports français de marégraphes, appareils mécaniques permettant la mesure en continu du niveau de la mer. D’après ses plans, Wagner Neveu, artiste horloger à Paris, construira plusieurs marégraphes. Grâce à cette innovation Chazallon reçoit le 5 juin 1850 la médaille d’argent de la Société d’encouragement au nom du Comité des arts mécaniques. Il faut savoir que, pour fonctionner, les marégraphes ont besoin de puits de marées, maçonnerie délicate à exécuter le long des quais et qui accusent des retards de livraison, au point que s’en alarment les membres du Bureau dans les séances du 10 et 17 janvier 1844. Le premier réseau marégraphique français (une première mondiale !) devient opérationnel quelques mois plus tard et se déploie au fil des années : Alger en 1843, Toulon en 1844, Brest en 1845, Cherbourg en 1846, Saint-Malo (Saint-Servan) en 1849, Le Havre en 1850, Fort-Enet (estuaire de La Charente) en 1859 et Saint-Nazaire en 1863 (mais initialement prévu en 1861).

L’acquisition de mesures précises et continues du niveau de la mer constitue une véritable révolution permettant l’essor de nouvelles études marégraphiques inédites qui seront présentés dans un second volet.



[1] Membre fondateur dès 1795 comme géomètre.

[2] Pouvreau N. (2017), « Les mesures du niveau de la mer à Brest : l'Observatoire méconnu du Bureau des longitudes », in Schiavon Martina & Rollet Laurent (Ed.), Pour une histoire du Bureau des longitudes, Nancy, PUN-Editions universitaires de Lorraine, p. 119-144.

[3] Shom : Service hydrographique et océanographique de la marine. – www.shom.fr

[4] Apparue au milieu du 19ème siècle sous l'impulsion de Chazallon, la marégraphie associe les mesures de hauteurs du niveau de la mer et les protocoles d’acquisition, les instruments d’observation et les observatoires, la description du phénomène des marées et l’ensemble des autres causes influant sur cette mesure physique.

[5] Nommé géographe au Bureau des longitudes en 1826.

[6] Membre adjoint à partir de 1839 et nommé géographe au Bureau des longitudes une première fois le 16/04/1855 puis une seconde fois le 05/03/1856 en remplacement de son mentor Beautemps-Beaupré.

[7] Consultable à l’adresse suivante : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530934925

[8] Une parenthèse intervient toutefois dans les activités marégraphiques de Chazallon suite à son élection à l’Assemblée nationale constituante durant la 2ème République. Chazallon y siégera du 23 avril 1848 au 26 mai 1849.

[9] Nommé membre adjoint en 1829.

[10] Membre adjoint à compter de 1807 et nommé astronome au Bureau en 1822.

[11] Nommé ancien navigateur au Bureau des longitudes en 1830.