Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Émile Macé : un horloger de Nantes qui interroge le Bureau des longitudes sur la décimalisation des unités

Accueil > Focus > Champs d'expertise > Émile Macé : un horloger de Nantes qui interroge le Bureau des longitudes sur la décimalisation des unités

Christophe Gamez

Publié le 12/03/2021

« L'affaire Macé »

Figure 1 – La « Nouvelle Géodésie au décimal » ainsi que tous les échanges entre le ministère de l’instruction publique, le Bureau des longitudes et Macé sont réunis dans le dossier « L'affaire Macé », référencé F/17/3716 aux Archives nationales.

Dans le procès-verbal du 29 juin 1887, on lit : « Le Ministre écrit au sujet de M. Macé qui avait envoyé le 23 Décembre dernier un dossier au sujet de nouvelles divisions métriques. M. Bouquet de la Grye rapportera ce dossier mercredi prochain et fera un rapport ». Mais qui était ce monsieur Macé dont le ministre réclame au Bureau des longitudes un rapport sur ses travaux ?

Sans que cette affirmation ne soit péjorative, Macé fut un « simple horloger » de Nantes. De prénom Émile, il est né le 28 février 1821 à Pornic. Grâce aux Archives départementales de la Loire atlantique, nous savons qu’il était le fils de Louis Marie Macé, qui fut  aubergiste et négociant de vin dans la ville de Pornic, et de Désirée Fialon. Il avait au moins deux frères : Louis et Auguste qui fut conseiller-municipal de Pornic de 1855 à 1889 ainsi qu’administrateur de l’Hospice de Pornic et du Bureau de bienfaisance pendant trente ans.

Retrouver les grandes étapes de sa vie constitue une tâche difficile pour l’historien, car il existe peu d’informations sur les travaux des horlogers aux archives. Cependant, en croisant les quelques traces laissées par Émile Macé avec les études sur les horlogers du XIXème siècle, on peut se former une certaine idée de son parcours. De plus, les brochures écrites par Macé et signalées par les procès-verbaux du Bureau des longitudes ainsi que les articles qu’il publia dans certaines revues de son époque, nous ont permis d’affiner son parcours. À lire la brochure intitulée « Nouvelle Géodésie au décimal[1] » où Émile Macé présente l’avantage qu’il y aurait à passer au décimal les unités du temps, de géodésie et du calendrier, ainsi que toutes les pièces relatives à cette affaire entre le Bureau des longitudes, le ministère de l’Instruction publique et Macé, nous pouvons affirmer que cet horloger nantais a reçu une formation assez solide. Il est vrai qu’il se situe dans une couche sociale favorisée ainsi qu’on le constate à la lecture  de son texte « La géodésie au décimal[2] »  où il fait preuve d’un certain nombre de connaissances tant du point de vue mathématique (géométrie du cercle par exemple) que géodésique et cartographique (calcul des longitudes, etc.). D’autre part, Émile Macé fut un lecteur régulier et critique de journaux d’horlogerie : par exemple, dans le Moniteur de l’horlogerie du 20 aout 1867[3], on trouve la trace d’une réponse au journaliste Bernard Sernin. Ce dernier publia un article sur « La géodésie au décimal » le 15 juillet 1867, que Macé corrige ainsi :

« J’ai remarqué dans votre description un passage qu’il serait bon de rectifier : ma division décimale est établie sur les bases des étalons déjà adoptés, tandis que celle que la Convention avait voulu fonder n’avait aucune base[4] ».

Macé fut aussi très engagé dans les sociétés d’horlogerie : dans la Revue Chronométrique des années 1876-1877 – journal édité par des sociétés d’horlogerie et des chambres syndicales françaises –, on lit son article sur la « Poudre minérale dite Sidérophile de MM. Gourdon et Ribourg de Chemillé (Maine et Loire). Brevetés[5] ». Ces quelques traces de Macé, répertoriées pour certaines dans les procès-verbaux du Bureau des longitudes, contribuent à nous donner une image d’un horloger qui recherchait ou revendiquait un certain « statut social  et qui souhaitait être reconnu pour sa qualité professionnelle.

Les Archives municipales de la ville de Nantes, nous ont aussi appris que Macé a vécu et exercé sa profession d'horloger, une partie de sa vie, au Passage Pommeraye[6] de la ville de Nantes, au numéro 30 de la galerie haute. Cependant, Macé n’a pas toujours vécu à cette adresse. En effet, dans une lettre qu’il adresse au ministre de l’Instruction publique à la date du 18 juillet 1890[7] et qui fait partie de la laisse F/17/3716, il nous indique qu’il vient d’ouvrir un atelier d’horlogerie à Pornic. Cette information est confirmée dans un article de la revue Pornic Histoire où il est écrit : « il s’installe à Nantes pour exercer son métier, mais revient vivre à Pornic au décès de son frère Auguste[8] ». On apprend aussi qu’Émile Macé possédait, au moment de sa mort, une maison avec un jardin dans la ville de Pornic où il avait fait installer l’horloge à double cadran (heure classique et heure décimale) pour laquelle il avait reçu une mention honorable à l’Exposition universelle de 1878.

Montres donnant l'heure décimale et l'heure actuelle dans le même mouvement

Figure 2 – Montres donnant l'heure décimale et l'heure actuelle dans le même mouvement. (E. Macé : "Nouvelle géodésie au décimal")

Le parcours professionnel de Macé semble aussi avoir été assez représentatif de celui des fabricants de précision de son époque. En effet, pour se faire connaître et vendre leurs instruments, les fabricants de la deuxième moitié du XIXème utilisaient divers moyens : les catalogues commerciaux, les Expositions universelles, les récompenses[9]. Tout d’abord, même si nous n’avons pas trouvé trace d’un catalogue commercial des magasins Macé, à la lecture des documents retrouvés, on peut dire que Macé avait pour souci de faire connaitre son travail de différentes manières. Par exemple : par des articles dans des journaux[10] ; mais aussi en éditant la brochure La géodésie au décimal et en y mettant des illustrations de ses propositions ; enfin en apposant sa nouvelle horloge à double cadran, dont l’un marque l’heure ancienne et l’autre l’heure décimale à l’aide d’un rouage fort simple, devant son atelier d’horlogerie de Pornic. Ensuite, comme nous l’avons indiqué précédemment, il avait participé à l’Exposition universelle de 1878, palais du Champ de Mars, galerie du mobilier, comme exposant dans le groupe III, classe 26[11] c’est-à-dire celle de l’horlogerie. Émile Macé a concouru dans la catégorie N°2 celle de « L’horlogerie astronomique ou chronométrie, composée des montres marines ».

À sa mort, en février 1897, il fit une donation d’environ 23 700 frs à la ville de Pornic. Une somme conséquente si on se rappelle à titre de comparaison, qu’à la fin du XIXème siècle, un membre titulaire du Bureau des longitudes touchait une pension annuelle de 5 000 à 6 000 francs ; qu’un adjoint était rémunéré 4 000 francs ; que le garçon de bureau gagnait environ 500 francs par an[12]. Cette donation fut faite à la condition que son nom fut attribué à une des places de la ville[13]. Son testament stipulait même de manière précise : « On fera une place publique aussi agréable que possible et qui portera le nom de Place MACE[14] ». La place Macé existe toujours dans la ville haute de Pornic. Émile Macé est par ailleurs enterré dans le caveau familial de Pornic qui est surmonté d’un globe. Celui-ci fait référence au système décimal et comporte de ce fait 10 mois. On peut encore voir sa tombe de nos jours au cimetière de Pornic.

Les procès-verbaux du Bureau des longitudes ont permis de retracer le parcours d’Émile Macé et de préciser l’image d’un horloger de la fin du XIXème siècle à son époque. La citation des travaux de Macé dans les procès-verbaux, en particulier de sa « nouvelle géodésie au décimal », nous permettent de constater combien Macé était initié aux idéaux de justice et d’égalité inculqués par la Révolution française et toujours présents dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Et cela même si en 1887 Bouquet de la Grye clôt l’affaire Macé avec ces mots : « M. Bouquet de la Grye lit le rapport qu'il a préparé sur les nouvelles mesures proposées par M. Macé; le rapport conclut qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter aux propositions de l'auteur ; il sera adressé au Ministre (6 juillet 1887) ».



[1] E. Macé, « Nouvelle géodésie établie sur les bases du principe métrique décimal, suivie d’une nouvelle méthode de calculer les parallèles des méridiens », Nantes, Imprimerie Bourgeois, 1879. Disponible dans la liasse F/17/3716 aux Archives Nationales.

[2] E. Macé, « Nouvelle géodésie établie sur les bases du principe métrique décimal, suivie d’une nouvelle méthode de calculer les parallèles des méridiens », Nantes, Imprimerie Bourgeois, 1879.

[3] Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5829480p/f2.item.

[4] Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5829480p/f2.item.

[5] La Revue Chronométrique, Volume 9, 1876-1877, pp. 300-301. Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6339614n/f336.image.r=Macé.

[6] Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Passage_Pommeraye.

[7] Lettre de Macé au ministre de l’Instruction publique, 18 juillet 1890, AN/F/17/3716.

[8] Pornic Histoire, Bulletin n°8, juin 2013, pp. 22-23.

[9] Approfondissement des instruments, cours n°2, Artisans : Formation des apprentis, usines, boutiques, production et vente. Martina Schiavon.

[10] Article dans le Moniteur de l’horlogerie du 15 juillet 1867.

[11] Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k90424x/f229.item.r=Exposition universelle internationale de 1878 à Paris.zoom.

[12] Schiavon Martina & Rollet Laurent : « Pour une histoire du Bureau des longitudes (1795-1931) », 2017, p. 56.

[13] Pornic Histoire, Bulletin n°8, juin 2013, pp. 22-23.

[14] Ibid.