Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Quelques traces de la guerre franco-prussienne de 1870 dans les procès-verbaux

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Colette Le Lay

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 17/01/2019

Quelques repères chronologiques sont nécessaires pour situer les procès-verbaux que nous avons sélectionnés pour éclairer plusieurs « effets collatéraux » de la guerre de 1870 sur le Bureau des longitudes.

La guerre est déclarée par la France à la Prusse le 19 juillet 1870. Après plusieurs défaites, Napoléon III capitule à Sedan le 2 septembre et la République est proclamée le 4 septembre. Du 17 septembre 1870 au 26 janvier 1871, Paris est assiégé par l’armée prussienne et le seul moyen de s’échapper devient le ballon. 

La première mention que nous avons relevée dans les procès-verbaux est celle de la réquisition de l’observatoire météorologique de Montsouris. Rappelons que celui-ci fut établi en 1869 à l’instigation de Charles Sainte-Claire Deville (1814-1877) dans le palais du Bardo, réplique du palais du Bey de Tunis construite pour l’exposition universelle de 1867. Urbain Le Verrier voyait d’un très mauvais œil la création de cette institution concurrente du service météorologique de l’Observatoire de Paris. Mais entretemps, Le Verrier a été destitué et Eugène Delaunay a pris le 3 mars 1870 les rênes de l’Observatoire qui s’est vu confier la tutelle de la station météorologique de Montsouris [1]. Vue sa situation stratégique au sud de la capitale, elle devient un enjeu militaire. Dans sa séance du 21 septembre 1870, le Bureau reçoit : « Une circulaire du Président de la commission météorologique de l'Observatoire de Mont-souris, en date du 11 courant, par laquelle il fait savoir que le dit établissement a été mis à la disposition de l'autorité militaire, en vue de la défense de Paris. » 

Très vite, la perspective d’un bombardement se fait jour et l’Observatoire de Paris lui-même est menacé. Delaunay expose dans le procès-verbal du 19 octobre 1870 les mesures de sauvegarde qu’il a dû prendre : « Mr Delaunay explique pourquoi le lieu des séances du Bureau a été changé : pour soustraire les instruments de l’Observatoire aux effets du bombardement dont la ville de Paris est menacée par les Prussiens, il a fait démonter et transporter ces instruments dans la salle du Bureau des Longitudes ». La menace du bombardement prendra effet en décembre 1870-janvier 1871. 

Départ de Gambetta en ballon Place Saint-Pierre le 7 octobre 1870

Jacques Guiaud et Jules Didier, "Départ de Gambetta en ballon Place Saint-Pierre le 7 octobre 1870", musée Carnavalet, Paris. (Source : wikimedia commons)

Tout le monde a en tête l’image de Léon Gambetta quittant Paris assiégé le 7 octobre 1870 pour rejoindre la délégation gouvernementale chargée d’organiser la résistance à partir de Tours. Mais le procès-verbal du 19 octobre 1870 évoque une autre ascension, moins connue, dont le but premier est scientifique : « M. Faye rappelle que le 22 décembre prochain, aura lieu une éclipse totale de Soleil, qui sera observable en Algérie : il croit que M. Janssen pourrait y être envoyé pour observer, au moyen du spectroscope, diverses régions circumpolaires qui présentent un intérêt particulier : M. Janssen partirait en Ballon, si le siège de Paris n'est pas levé en temps opportun ». Effectivement, Jules Janssen s’envole le 2 décembre à bord du ballon Volta. Il fait escale à Nantes d’où il gagne Tours pour transmettre un message à Gambetta. Puis, par la voie des airs, il gagne Oran où malheureusement les conditions météorologiques ne lui permettent pas d’observer l’éclipse. Toutefois, comme l’indique Françoise Launay dans Un globe-trotter de la physique céleste, l’astronome Jules Janssen (Observatoire de Paris-Vuibert, 2008), il ne perd pas son temps puisqu’il conçoit le compas aéronautique, fournissant direction et vitesse de l’aérostat. 

A côté de ces expéditions héroïques, la vie quotidienne dramatique des assiégés, réduits à manger les chats et les rats ou à se partager l’éléphant du Jardin des Plantes, fait la une des journaux. Le rationnement opère dans tous les domaines notamment celui de l’énergie. Pour publier la Connaissance des temps et l’Annuaire, l’imprimeur Gauthier-Villars a besoin de houille. Ainsi, dans le procès-verbal de la séance du 21 décembre 1870, on peut lire : « Le sécrétaire donne lecture de la lettre, que, conformément à la décision prise dans la dernière séance, il a adressée à M. Gauthier-Villars : il donne également lecture de la réponse de ce dernier. M. Gauthier-Villars demande que le Bureau obtienne qu'on mette à sa disposition 4500 kilog de Houille dont il aurait besoin, pour terminer l'impression de la Connssance des Temps et de l'Annuaire. Comme il s'agit d'un service public, le Bureau pourrait obtenir l'autorisation nécessité par le fait de la réquisition des Houilles ordonnées par le gouvernement, à raison de l'Etat de Siège de la ville de Paris.

Premier numéro des Astronomische Nachrichten

Le premier numéro des Astronomische Nachrichten. (Source : Wikisource)

Le sécrétaire fait observer qu'il n'appartient pas au Bureau de se prononcer sur la quantité de houille nécessaire et qu'il doit se borner à faire connaître à l'Administration la quantité de feuilles à imprimer. Une commission a été nommée, ces jours derniers, pour prononcer sur la quantité de houille à livrer à l'industrie privée, et sans doute l'Administration renverra la demande du Bureau à cette commission. » 

Enfin, dernière trace du conflit franco-prussien, nous notons l’absence d’une publication astronomique phare habituellement citée dans chacun des procès-verbaux. Créées en 1821 par Heinrich Christian Schumacher (1780-1850), astronome à l’observatoire d’Altona, les Astronomische Nachrichten sont reçues chaque mois par le Bureau des longitudes et souvent commentées. La reprise de l’abonnement après le conflit entre les deux pays est un événement souligné par le procès-verbal du 29 mars 1871 qui inventorie les numéros manquants : « Le Bureau reçoit les Nos 1836 et 37 des Astr. Nachr. Ce sont les premiers qui soient parvenus depuis la levée du siège. La collection présente une lacune s'étendant du N° 1818 à 1835 inclusivement. » 

Mais, peu après la fin du siège, dès mars 1871, un nouvel épisode historique, celui de la Commune de Paris, marque de son empreinte la vie du Bureau des longitudes. Il fera l’objet d’un prochain focus.



[1] Voir Guy Boistel, L’observatoire de la marine et du Bureau des longitudes au parc Montsouris, 1875-1914, IMCCE, e/dite, 2010.