Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

La météorologie au Bureau des longitudes

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Frédérique Rémy

(CNRS - Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales)

Publié le 08/02/2021

"Le Bureau des Longitudes s'occupera également de la Météorologie, science peu avancée".

Abbé Grégoire

À l’aube des années 1880, l’Organisation météorologique Internationale prépare la première année polaire internationale, dédiée à l’étude du climat et de la météorologie. La France propose d’organiser une mission scientifique au cap Horn, dans laquelle quelques membres du Bureau des longitudes sont impliqués. Lors de la séance du 30 novembre 1881, Hervé Faye, alors président du Bureau, conteste ce choix n’en voyant pas l’intérêt scientifique et propose « une entreprise beaucoup plus importante ». En effet, le service météorologique du New-York Herald arrive à annoncer les tempêtes qui menacent l’Europe du Nord. Or, celles qui menacent la France passent plus au Sud, vers les Açores, c’est donc là qu’il faudrait installer une station météorologique. En effet, si, au bout d’un an, on a établi la corrélation entre les ouragans qui passent aux Açores et ceux qui frappent les côtes françaises, alors le Bureau pourrait demander de relier les Açores au Portugal par un fil télégraphique. Faye suggère aussi d’utiliser sur les bateaux un petit appareil qui donne la direction des vents et d’indiquer sur les cartes marines, la direction du vent dominant et la marche des tempêtes. L’amiral George Cloué s’oppose à cette idée, car les marins connaissent la marche des tempêtes et les cartes sont suffisamment surchargées. À ce procès-verbal est adjointe une annexe écrite par Faye dans laquelle il détaille son projet qu’il appelle un centre d’ « avertissement des tempêtes ».

Avertissement des tempêtes… Le terme nous fait penser inévitablement à Urbain Le Verrier, autre membre du Bureau, mort quatre ans auparavant. Il ne voulait pas utiliser le mot « prédiction » car il rappelle celle des almanachs, ni « prévision », terme trop proche du premier. On sait que suite à la mort de François Arago en 1853, Le Verrier avait été nommé à la direction de l’Observatoire de Paris en 1854. La perte des navires français cette année-là, pendant la guerre de Crimée, avait marqué les esprits : si l’on avait connu l’avancée des tempêtes en Europe, cette catastrophe aurait pu être évitée ! Napoléon III avait alors demandé à Le Verrier d’installer un réseau d’observatoires météorologiques pour annoncer les tempêtes et ainsi éviter, dans le futur, un tel désastre. Deux ans plus tard, l’astronome écrit au Ministre de l’Instruction publique : « Les conclusions auxquelles nous sommes arrivés laissent entrevoir des applications très importantes. […] Avant peu, nous aurons l’honneur de rendre compte des premiers pas qui auront été faits dans l’organisation d’un service propre à prévenir de l’approche des tempêtes »[1]. Mais ces premiers pas sont-ils vraiment le fait de Le Verrier ?

François Arago, Jacques Babinet, le bibliothécaire adjoint du Bureau des longitudes, et d’autres membres du Bureau ont largement contribué à cela.

Déjà, en 1820, les basses températures de l’hiver incitent les membres du Bureau à se poser des questions sur les causes de ce froid, sur ses occurrences, sur les moyens de déterminer si le retour des plus grands froids ou des plus grandes chaleurs est régulier… Arago écrit alors une longue notice dans l’Annuaire de l’année 1825 (focus « L’hiver 1820 »). En juin 1836, Arago et Poisson discutent sur la façon d’évaluer le froid interplanétaire à partir des températures minimales terrestres et sont amenés à exposer les causes des températures terrestres : rayonnement solaire, rôle de l’atmosphère, effet de serre (focus « George Back : du froid polaire au froid de l’espace »). L’année suivante, alors que l’explorateur polaire Paul Gaimard souhaite avoir du Bureau des longitudes des recommandations pour sa nouvelle mission, le président Louis de Freycinet lui avait suggéré de nombreuses mesures météorologiques : température de l’air et de la mer, pression atmosphérique, vent, hauteur des neiges perpétuelles, fréquence de la grêle, de la neige… (focus « Les expéditions polaires de Paul Gaimard »). En 1847, Jacques Babinet développe une théorie sur la formation de la pluie qu’il expose lors d’une séance : l’air en se soulevant, par exemple lorsqu’il rencontre un obstacle, se refroidit et l’humidité des nuages précipite. Il explique ainsi différentes observations. Les membres suivent également avec attention, les premières ascensions en ballons et notent l’épaisseur des nuages traversés, la diminution de températures avec l’altitude… à différentes séances, les membres discutent aussi du vent : quelle est l’influence du vent sur la hauteur barométrique, sur la hauteur de la mer, sur la végétation ? Quelle est la cause des vents alizés ? Pourquoi n’ont-ils pas la même intensité ? Ils proposent des améliorations sur le baromètre et les testent à l’Observatoire.

De même, en 1846, Arago et Babinet s’intéressent à la prévision du temps. Arago semble assez pessimiste : pour lui, la variabilité des glaces polaires est trop forte pour cela. Babinet l’est moins. Pour lui, la difficulté de la prévision du temps vient de la variabilité des vents d’Ouest. Il faudrait de très nombreuses observations, ce qui est délicat mais non infaisable. Il a alors l’idée de se baser sur le trajet emprunté par les navires polaires pour reconstituer la position des glaces et donc du Gulf Stream. La première année, sa prévision est excellente, la seconde nettement moins[2]

Autant de premiers pas vers la connaissance de la météorologie et de sa prévision, sans compter les nombreuses notices écrites par Arago sur le climat polaire[3] ou la température polaire ou sur le rayonnement nocturne[4].

On lit aussi dans le procès-verbal de la séance du 15 septembre 1852 : « Il est question d'un travail de M. Liais concernant le climat de Cherbourg, ainsi que de la description qu'il a donnée d'un orage accompagné de circonstances remarquables. ». Emmanuel Liais avait entre autres compris que la douceur du climat de Cherbourg, sa ville natale, était due aux vents d’Ouest arrivant de l’océan. Arago avait remarqué ce jeune chercheur depuis quelques années. Il en reparle encore à la séance du 4 mai 1853 et le fait venir à l’Observatoire. Mais celui-ci arrivera quelques mois après son décès et sera accueilli par Le Verrier. On connait son rôle capital dans la construction du système d’observations dont Le Verrier se glorifie.



[1] Lettre de Le Verrier au ministre de l’Instruction publique du 19 janvier 1855. AN F173728. Cité par Fabien Locher, Le savant et la tempête, Presse Universitaire de Rennes, 2008.

[2] Sur cette discussion entre Arago et Babinet, se référer aussi au focus : « Il pleut au Bureau des longitudes » [lien hypertexte].

[3] Rémy, Frédérique, 2017, « Le bureau des longitudes et les glaces polaires », in Pour une histoire du Bureau des Longitudes, sous la direction de Martina Schiavon et Laurent Rollet, PUN-éditions universitaires de Lorraine, collection Histoire des institutions scientifiques.

[4] Le Lay, Colette. « Arago et la « lune rousse » des jardiniers ». Bibnum. Textes fondateurs de la science, janvier 2015. journals.openedition.org [en ligne] http://journals.openedition.org/bibnum/772.