Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Le cercle méridien portatif n°3 du Bureau des longitudes

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Instrument présenté par Frédéric Soulu (Centre François Viète)

Publié le 19/07/2021

L’instrument de gauche sur cette image est identique au cercle méridien portatif n°3 de Rigaud. Il est utilisé ici lors de l’éclipse de Soleil de 1905 à Cistierna (Espagne) par les astronomes de l’Observatoire de Paris (Source: gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France - Observatoire de Paris)

  • Date : 1866 – après 1914
  • Type : instrument astrométrique
  • Format : diamètre du cercle = 0,415m, diamètre objectif = 0,063m, distance focale= 0,79m
  • Instrument dans la base : IPVBDL0620

Contexte d’émergence

Au milieu du 19e siècle, un nouvel instrument, le cercle méridien portatif, est promu pour les opérations de géodésie de précision en France. Ce sont d’abord les hydrographes de la Marine qui en proposent l’usage comme Ernest Mouchez (1821-1892) (Boistel, 2010), puis des astronomes dont Ernest Laugier (1812-1872) et Antoine Yvon Villarceau (1813-1883). L’émergence de cet instrument est en lien tout d’abord avec le développement d’opérations globales, à l’échelle du globe, dont celle dite « des méridiens fondamentaux » (Sabine Höhler, 2015). D’autre part, les astronomes français engagent des travaux pour s’assurer, au niveau international, de la primauté des références déterminées en France au moment de la Révolution, en affinant leurs mesures (travaux de remesure et de comparaison des étalons, travaux de remesure du méridien fondamental). Enfin, il convient de considérer les velléités de l’Observatoire de Paris, sous la direction de Le Verrier, de reprendre à son compte les opérations de géodésie nationale alors que cet établissement ne dépend plus de la tutelle du Bureau des longitudes depuis 1854 (tensions avec les militaires de l’État-major et avec les membres du Bureau des longitudes).

A la fin des années 1850, Antoine Joseph François Yvon Villarceau (1813-1883), ingénieur centralien saint-simonien ayant passé quelques années en Égypte au service de la construction d’une administration nationale pour Mehemet Ali, accueille à l’Observatoire de Paris Ismail Moustapha (1825-1901), jeune astronome égyptien en formation. Ce dernier est chargé par son gouvernement de se préparer à la cartographie de la vallée du Nil et d’acquérir en Europe les instruments nécessaires à ce projet. Yvon Villarceau, astronome à l’Observatoire de Paris mais aussi membre du Bureau des longitudes, conçoit dans ce but un cercle méridien portatif qu’il fait réaliser par le fabricant Rigaud (Stolz Daniel A., 2018, p.89-92). Cet instrument testé lors d’opérations géodésiques en France est particulièrement réussi et convaincant (Yvon Villarceau, 1866, « Détermination astronomiques de la longitude et de la latitude de Dunkerque », Annales de l’Observatoire impérial de Paris. Mémoires, vol. 8, p.210-211, 316). Yvon Villarceau en commande un deuxième exemplaire lorsque Ismail Effendi rejoint Le Caire avec l’exemplaire n°1.

Un cercle méridien portatif n°2 est commandé par l’Observatoire de Paris et est utilisé tout au long des années 1860 pour les opérations géodésiques menées par Yvon Villarceau. Il est régulièrement mentionné dans les procès-verbaux du Bureau des longitudes pour la qualité de ses mesures. Les qualités de deux premiers exemplaires encouragent Rigaud à en construire un troisième, destiné au Bureau des longitudes.

Construction (1866-1867)

On connaît peu d’éléments biographiques sur le constructeur d’instrument François-Antoine Rigaud. Les principales informations - le fait qu’il ait été l’élève de Prudence Henri Gambey (1787-1847), qu’il soit constructeur d’instruments de précision - sont livrées par les procès-verbaux du Bureau des longitudes.

Le cercle méridien portatif n°3 est présenté à l’Exposition universelle de Paris en 1867 (groupe II classe 12) où il est médaillé. Rigaud a beaucoup investi pour fabriquer cet instrument qui ne lui a pas été commandé mais qui était destiné à faire connaître sa production à l’international. La réputation des constructeurs français est alors à son acmé.

Description

La lunette méridienne portable est un instrument destiné à mesurer un angle, l’angle zénithal de l’astre à son passage au méridien, et l’heure de son passage.

Les mesures permettent, lorsque que l’on connaît bien la position des étoiles observées sur la voûte céleste, de déterminer avec une grande précision la latitude et la longitude du lieu d’observation.

Si la position de l’instrument est connue, les passages d’étoiles cataloguées permettent de régler précisément une horloge.

L’instrument est décrit dans : Chevalier Michel (dir.), Rapports du jury international. Tome deuxième, Groupe II classes 6 à 13, Paris, Imprimerie administrative de Paul Dupont, 1868, p.455-458 et dans Yvon Villarceau Antoine, 1865, « Cercle méridien portatif No. II de Rigaud. », Annales de l'Observatoire de Paris. Observations, vol. 20, p.50-56.

Socle et pied en fonte sur trois vis calantes.

L’objectif de la lunette a une longueur focale d’environ 0,80m pour un diamètre de 0,063m.

Le cercle d’un diamètre de 0,415m est gradué de 5’ en 5’ et chiffré de 2° en 2°.

L’instrument est équipé d’un micromètre à 5 fils horaires.

Deux lampes et leurs accessoires sont acquis par Yvon Villarceau en 1873.

L’inventaire du matériel du Bureau des longitudes dressé par Yvon Villarceau et transmis le 12 juillet 1876 à Bréguet (archives du Bureau des longitudes, boîte 2014) évoque aussi une couverture en soie pour cet instrument et une vitrine.

Désignations

Lieu

Cet instrument a été présenté à l’Exposition Universelle de Paris de 1867.

Entre 1872 et 1874, il a été installé sous une cabane en planche toilée dans le jardin sud de l’Observatoire de Paris.

A partir de 1874, il est utilisé à l’observatoire du Bureau des longitudes à Montsouris. Il y est toujours présent dans un inventaire daté du début de l’année 1908, où il porte le n°16 (archives du Bureau des longitudes, boîte E). Il a disparu depuis.

L’instrument est souvent décrit comme le « cercle méridien n°III de Rigaud ». Il est ainsi rattaché à la prestigieuse généalogie d’instruments de géodésie astronomique produits par le fabricant Rigaud et conçus avec l’astronome Yvon Villarceau. Il est ainsi distingué de son aîné, le cercle n°2, qui est utilisé à l’Observatoire de Paris jusqu’au début du 20e siècle.

On trouve aussi l’appellation de « cercle méridien portatif » qui indique une propriété fondamentale de cet outil : il peut être apporté sur le terrain pour déterminer, avec une précision alors équivalente aux meilleurs instruments de l’Observatoire de Paris, la position géographique d’un point.

Enfin, on trouve parfois la mention de l’ « instrument méridien portatif que possède le Bureau » pour désigner cet instrument dans les procès-verbaux. Il s’agit en effet de l’unique instrument de ce type que possède le Bureau jusqu’à l’achat de modèles aux frères Brunner.

Usage scientifique de 1866 à après 1914

Yvon Villarceau propose au Bureau des longitudes d’en faire l’acquisition lors de la séance du 29 mai 1867 :

« On pourrait consacrer les fonds actuellement disponibles à l'acquisition d'un cercle méridien portatif construit par un artiste français, M. Rigaud, et qui figure à l'exposition. M. Yvon a cru pouvoir recommander particulièrement cet instrument, parce qu'il a été construit sur le modèle de celui qu'il a employé depuis 1863, instrument dont il a entretenu le Bureau à diverses reprises et qui lui paraît jouir de la plus grande précision dont un tel appareil soit susceptible. Il a caractérisé cette précision, en la présentant comme n'étant point inférieure à celle des grands instruments méridiens de l'Observatoire Impérial. Il serait regrettable que l'instrument de M. Rigaud passât à l'étranger. »

Yvon Villarceau ajoute peu après :

« Un autre ordre de considération s'est présenté à l'esprit de la commission. M. Rigaud, élève de Gambey, a construit son cercle méridien pour l'Exposition. Il appartient au Bureau des Longitudes d'apprécier son œuvre et d'en encourager l'auteur suivant les ressources dont il peut disposer. Il serait regrettable que le talent de M. Rigaud fut réduit à produire les instruments d'arpentage et de nivellements dont il cherche, en ce moment, à se procurer des commandes pour rentrer dans les avances que la construction de son instrument méridien l'a obligé à faire.
Le prix du dit cercle méridien est de 4.800 francs. »

On apprend lors de la séance du 5 juin 1867 que cet instrument est réceptionné par Yvon Villarceau pour le compte du Bureau des longitudes. Il est dès lors intégré à la collection d’instruments du Bureau dont Yvon Villarceau a la charge et il apparaît dans les inventaires successifs.

En mai 1871, un feu ravage une partie de l’Observatoire de Paris pendant les affrontements de la fin de la Commune. Le cercle de Rigaud n°2 est détruit par les flammes. Au cours de l’année suivante, Delaunay, le directeur de l’Observatoire emprunte le cercle n°3 au Bureau des longitudes et propose d’y faire quelques modifications, en particulier de son niveau à bulle qu’il souhaite remplacer par un modèle allemand de Repsold, plus précis. Le projet est alors de reprendre la géodésie astronomique en France. Une coupole, en partie toilée, spécifique est montée dans les jardins de l’Observatoire. L’instrument qui n’avait jusqu’alors jamais servi est étudié en détail pour la correction des mesures (séance du 29 mai 1872).

En septembre 1873, l’entretien du cercle méridien portatif du Bureau des longitudes est confié à un autre de ses membres, le constructeur d’instrument Louis François Clément Bréguet (1804-1883).

Avec la mort de Delaunay, à la fin de 1872, et le retour de Le Verrier à la direction de l’Observatoire de Paris, des tensions se créent autour de l’accès au cercle méridien du Bureau des longitudes. Le Verrier décide de l’arrêt des opérations conjointes avec le Bureau et installe un cadenas à la porte de la coupole du cercle n°3. Quelques mois plus tard, en février 1874, il décline toute responsabilité pour l’entretien de l’instrument qu’il décrit comme soumis aux intempéries.

Au printemps 1874, les membres du Bureau décident d’installer l’instrument et sa cabane dans le nouvel observatoire qu’ils créent avec les ministères de la Marine et de la Guerre dans le parc parisien de Montsouris. On profite de ce transfert pour faire nettoyer l’instrument chez Eichens. Après étude de ses « constantes instrumentales », l’instrument est dès lors employé à la formation des marins et voyageurs, et aux mesures réalisées depuis Montsouris, comme par exemple la détermination de la différence de longitude entre Paris, Berlin et Bonn en 1877 (voir Annales du Bureau des longitudes, tome 2, 1882).

En 1875, la fonction pédagogique de cet instrument est aussi mobilisée par Hervé Faye (1814-1902), membre du Bureau, pour illustrer ses cours d’astronomie et de géodésie à l’École polytechnique. Les autres membres du Bureau autorisent le démontage de l’instrument et son transfert à l’École pour une séance de photographie.

Une des publications d’observations réalisées avec cet instrument est :

  • Loewy Maurice, Le Clerc Félix Auguste, Bernardières Octave de, 1882, « Détermination des différences de longitudes entre Paris et Berlin et entre Paris et Bonn », Annales du Bureau des longitudes, vol. 2, Paris, Gauthier-Villars, p.A.1 – A.336

Entretien, réparation

Plusieurs artisans sont sollicités par les membres du Bureau des longitudes pour l’entretien de cet instrument. Les procès-verbaux mentionnent ainsi les noms de Eichens, puis de frères Brunner dans le dernier quart du 19e siècle.

Désinstallation, conservation

Nous ne savons pas ce qu’il est advenu de cet instrument. Est-ce celui de la collection de Robert de Balkany, vendu en 2016 dans une salle de vente parisienne ?



Bibliographie

Boistel Guy, L’Observatoire de la marine et du bureau des longitudes au parc Montsouris, 1875-1914: une école pratique d’astronomie au service des marins et des explorateurs, Paris, Edite : IMCCE (Histoire des sciences), 2010.

Höhler Sabine, « Inventorier la Terre », in Pestre Dominique, Histoire des sciences et des savoirs, Modernité et globalisation / [ed] Kapil Raj, H. Otto Sibum, Paris, Éditions du Seuil, 2015, p. 167-181

Loewy Maurice, Le Clerc Félix Auguste, Bernardières Octave de, 1882, « Détermination des différences de longitudes entre Paris et Berlin et entre Paris et Bonn », Annales du Bureau des longitudes, vol. 2, Paris, Gauthier-Villars, p.A.25-A27

Stolz, Daniel A. The Lighthouse and the Observatory: Islam, Science, and Empire in Late Ottoman Egypt. Cambridge University Press, 2018.