Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

En hommage à Jules-Henri Greber : échos du Bureau des longitudes dans une revue philosophique du tournant du 20e siècle

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Colette Le Lay

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 18/10/2021

Jules-Henri Greber est décédé le 14 septembre 2021 à 36 ans. Chercheur aux Archives Henri-Poincaré, pilier du projet CIRMATH (Circulations des mathématiques dans et par les journaux), c’était un spécialiste de l’histoire de la philosophie des sciences au tournant du 20e siècle. Il avait le projet d’un focus sur les échos du Bureau des longitudes dans les revues philosophiques qu’il analysait. Il n’a pas eu le temps de mener l’entreprise à terme. Afin de lui rendre hommage, nous publions ici quelques fragments résultant de nos échanges et de ses écrits.

La Philosophie positive, revue dirigée par Émile Littré et Grégoire Wyrouboff (Source : gallica.bnf.fr).

Dans le brillant article intitulé « Comment initier les philosophes aux nouveautés mathématiques à la fin du 19e siècle » qu’il a donné au site Images des mathématiques en février 2017, il écrivait :

« C’est afin de mettre un terme à la fragmentation et au cloisonnement institutionnels du savoir et pallier l’insuffisante formation scientifique des philosophes que des stratégies éditoriales et intellectuelles de médiation scientifique vont être mises en place dans les périodiques philosophiques. »

L’un des canaux empruntés pour atteindre cet objectif consiste à recenser, dans les revues de philosophie, les périodiques scientifiques accessibles à leur lectorat. Parmi ceux-ci figure l’Annuaire du Bureau des longitudes.

La Philosophie positive (1870-1871) d’Émile Littré et Grégoire Wyrouboff encense Charles-Eugène Delaunay pour deux notices dont il avait débuté la lecture à ses collègues du Bureau des longitudes le 10 novembre 1869.

« Dans l’annuaire de 1869, M. Delaunay avait inséré une étude sur l’analyse spectrale, où toutes les parties de cette importante découverte étaient exposées avec la méthode et la clarté qu’on lui connait. Il nous a donné, dans l’annuaire de 1870, les résultats auxquels viennent enfin d’aboutir les observations sur les météores et les étoiles filantes. Suivant son habitude dans ces notices spéciales, M. Delaunay adopte la marche d’exposition historique ; ce qui a, entre autres, l’avantage de bien déterminer la position de la question, et d’initier peu à peu le lecteur aux difficultés du problème, de manière à le conduire insensiblement à la solution. »

Mais la curiosité de Jules-Henri s’exerçait également sur des journaux antérieurs, moins empreints du désir d’abattre les murs entre science et philosophie, comme les Annales de philosophie chrétienne. À l’instar de la Revue philosophique de la France et de l’étranger et de la Philosophie positive, les Annales de philosophie chrétienne appartiennent au corpus des périodiques philosophiques dont Jules-Henri avait débuté l’inventaire sur la base ProsoPhiSci (http://prosophisci.ahp-numerique.fr/references/periodiques).

Annales de philosophie chrétienne, recueil périodique publié sous la direction de M. A. Bonnetty (Source : gallica.bnf.fr).

Sans surprise, les lecteurs des Annales de philosophie chrétienne ne partagent pas les vues élogieuses citées plus haut sur les notices de l’Annuaire. L’abbé Chaussier, professeur de physique au séminaire de Metz, s’insurge contre la notice sur les comètes qu’Arago publie dans l’Annuaire de 1832 :

« Il paraît que tous les savans ne sont pas encore disposés à signer le traité de paix qui se prépare entre la religion et la science. »

À l’appui de sa thèse, l’abbé Chaussier cite ce passage de la notice qu’il qualifie de « plaisanteries inconvenantes » :

« Lorsqu’en 1456, on vit paraître l’éclatante comète qui doit revenir dans le mois de novembre 1835, le pape Calixte en fut si effrayé, qu’il ordonna pour un certain temps des prières publiques, dans lesquelles, au milieu de chaque jour, on excommuniait à la fois la comète et les Turcs ; et afin que personne ne manquât à ce devoir, il établit l’usage, qui depuis s’est conservé, de sonner à midi les cloches des églises. »

En rapprochant dans ce focus deux points de vues correspondant à des époques et des contextes radicalement différents, nous avons sacrifié au goût de l’anecdote cher à Arago et abhorré par l’abbé Chaussier. Si Jules-Henri avait rédigé le focus projeté, nul doute qu’il aurait offert un panorama plus nuancé et scientifiquement construit que les quelques lignes qui précèdent. Celles-ci n’ont d’autre but que de saluer la mémoire d’un jeune et talentueux chercheur qui nous manque déjà.