Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Le télescope de Short acquis par le Bureau des longitudes

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Instrument présenté par Frédéric Soulu (Centre François Viète)

Publié le 19/07/2021

Le télescope de Short à l'Observatoire de Paris (© Martina Schiavon / Frédéric Soulu)

  • Date : 1752 – aujourd’hui
  • Instrument dans la base : IPVBDL0201

Contexte d’émergence

Cet instrument est le témoin de la suprématie des instruments astronomiques de fabrication britannique en France dans la seconde moitié du 18e siècle. Il est acquis à Londres auprès de James Short (1710-1768) par Pierre-Charles Le Monnier (1715-1799) vers 1752, puis racheté par le Bureau des longitudes en 1807 pour équiper l’Observatoire de Paris.

Le Monnier est élu « fellow » de la Royal Society de Londres le 05 avril 1739 en raison de sa participation à la détermination de la « figure de la Terre », lors de sa mission organisée par l’Académie des sciences de Paris en Laponie[1]. Dans son éloge funèbre, Jérôme Lalande, un de ses élèves, rappelle le rôle joué par Le Monnier entre les deux communautés scientifiques, avant que la Guerre de Sept-Ans (1756-1763) ne tende les relations entre les deux pays : « Le citoyen Le Monnier sentit de bonne heure qu’il avait besoin d’une correspondance avec les Astronomes d’Angleterre, qui travaillaient avec autant de zèle que de succès. Il transplanta en France leurs méthodes, leurs instruments, (...) »[2]. Plus récemment, l’historien et conservateur Jim Bennett a souligné le rôle d’intermédiaire joué par Le Monnier, « admirer of London instruments » dans l’introduction en France de la production anglaise en matière de quart-de-cercle, lunettes des passages ou pendules (J. A. Bennett 1992, 5).

En 1750, Le Monnier reçoit une importante gratification royale pour la construction d’une méridienne au château de Bellevue, que Louis XV fait édifier pour Madame de Pompadour à Meudon. Lalande nous éclaire sur l’usage de cette somme « qu’il employa à acheter des instruments » (Lalande 1797, 360). Effectivement, Le Monnier est à Londres à l’automne 1751 « pour s’y procurer les meilleurs et les plus parfaits télescopes qu’il poura [sic] »[3]. Il y retrouve Short, avec lequel il a observé une éclipse de Soleil en Écosse en juillet 1748 (Histoire de l’Académie Royale des sciences, 1766, p.33). Pendant l’été 1752, Short accuse réception d’un paiement et donne des détails sur les différents grossissements accessibles avec le télescope[4]. Le télescope est installé dans un observatoire dont Le Monnier dispose dans le jardin du couvent des Capucins, rue Saint-Honoré à Paris (Bigourdan Guillaume 1919).

Le Monnier décède le 10 novembre 1791. Lors de la création du Bureau des longitudes en 1795, ses membres font le constat de la déficience des instruments en fonction à l’Observatoire de Paris. Ils puisent alors dans les confiscations révolutionnaires pour équiper le lieu. Ils s’intéressent bien évidemment aux nombreux instruments laissés par Le Monnier et contactent sa veuve. Les quarts de cercle muraux anglais de Le Monnier sont transférés à l’Observatoire en 1798. Le télescope de Short est amené à une date que les procès-verbaux des séances ne permettent pas de définir, peut-être en 1801. Son statut est cependant évoqué en séance en 1807 : utilisé pour les observations, il est toujours propriété des héritiers Le Monnier et doit leur être racheté. Son coût est conséquent : 3000f alors que la dotation annuelle du Bureau pour l’achat et l’entretien des instruments astronomiques de l’Observatoire et de la Nation n’est que de 2000f. Il est convenu que le paiement sera fractionné sur trois années.

Signature et formule de James Short (© Martina Schiavon / Frédéric Soulu)

Construction (1751 ?)

Ce télescope est une réalisation de James Short (1710-1768).

Écossais, il est repéré et protégé par Colin Maclaurin (1698-1746), son professeur de mathématiques à Édimbourg, newtonien et fellow de la Royal Society à partir de 1737 (Turner 1969). Venu à Londres comme répétiteur de mathématiques à l’âge de 26 ans, Short y fait rapidement fortune avec la vente de télescope dont il a commencé la construction à partir de 1732. Astronome, son statut particulier est très lié au newtonianisme, et sa production optique unique et atypique en est aussi le reflet (J. Bennett 2014).

Short n’a effectivement construit, tout au long de sa vie, que des télescopes, environ 1360 (Turner 1969, 100, 102). Il privilégie le montage optique de type Gregory plutôt que celui de Newton. L’observation, à l’arrière du télescope, est plus intuitive pour les non-spécialistes. Il est le premier à trouver des solutions techniques pour accroître les dimensions des télescopes : tubes en bois, monture équatoriale sur plate-forme de bois, secteurs dentés pour le mouvement (Daumas 1953, 226).

Il se détermine pour des miroirs métalliques, fait d’un alliage de cuivre et d’étain, auxquels il donne une surface parabolique. Ses procédures ont été décrites (Turner 1969). Chacun des télescopes qui sort de ses mains est signé et se voit attribuer une formule qui permet de savoir son ordre au sein de la production de Short.

Miroirs secondaires interchangeables dans leur boîte de transport (© Martina Schiavon / Frédéric Soulu)

Le télescope acheté par Le Monnier est un des plus grands construits par Short. Il porte l’inscription « James Short, London, 5/778=49.29. ».

Ceci indique que cet instrument avait une longueur focale maximale de 49inch (=1250 mm), qu’il était le 5e de cette dimension construit par Short et le 778e de ses miroirs de télescope. Neuf miroirs de 9inch de diamètre, soit 235mm, avec une telle longueur focale ont été réalisés dans sa carrière et seuls trois subsistent toujours[5]. Seuls quatre miroirs de taille supérieure ont été produits. Cet instrument faisait figure de géant au milieu du 18e siècle.

Short publiait des catalogues de ses prix, y compris en français (Turner 1969, 99). D’après un de ces documents, le prix de l’exemplaire de Le Monnier était de 100 guinées (plus de 800g d’or). L’exemplaire suivant dans cette série est aujourd’hui conservé au Science Museum de Londres et fut vendu près de 20 ans plus tard.

La description du principe de ses télescopes à monture équatoriale et leur usage possible a été publié par Short. Il accompagnait ses livraisons d’un courrier explicatif informant son client des combinaisons possibles entre choix du miroir secondaire et longueur focale de l’oculaire et des différents grossissements ainsi obtenus. Ce courrier reçu par Le Monnier a rejoint les archives de l’Observatoire, probablement lors de la cession par les héritiers.

Description

Cet instrument est destiné à l’observation des astres. Son dispositif optique est basé sur une combinaison de miroirs, concave parabolique et concave circulaire, et de lentilles. La lumière des astres est concentrée par un premier miroir concave, qui est percé en son centre, vers un second miroir concave, plus petit qui lui fait face. Ce dernier renvoie la lumière à travers le trou du premier, où se trouve un assemblage de lentilles, l’oculaire. Ce dispositif optique, imaginé par James Gregory (1638-1675) est appelé « grégorien ». Il est ici monté sur un assemblage mécanique permettant de suivre le mouvement apparent des astres : la monture équatoriale.

Schéma optique de l’instrument.

D’après Short, ce télescope, dont le miroir primaire fait 9inch soit 235mm, permet d’obtenir des grossissements de 102x à 630x en fonction du miroir secondaire mis en place et du choix de l’oculaire. En effet, il fut livré à Le Monnier avec trois miroirs secondaires interchangeables, de concavités différentes, et deux oculaires.

Le tube optique est en laiton et porte des traces de décor peint. Le dispositif pour le mouvement de déclinaison du télescope est un quadrant en métal.

L’axe du monde, dans la direction de l’axe de rotation de la Terre, est en bois. Il est adaptable à la latitude du lieu d’observation.

Le socle de bois du télescope dispose de poignées de transport. Des niveaux sont disposés sur le socle pour la mise en place de l’instrument. Short évoque aussi la présence d’une boussole pour aider au réglage de l’axe du monde (Short 1750, 246).

Lieu

Observatoire du jardin des Capucins, rue Saint-Honoré, Paris

Observatoire de Paris, cabinets d’observation (?) puis musée

Désignation

Ce télescope est désigné comme « télescope de Short », du nom de son constructeur anglais, dans les procès-verbaux et non par le nom de son ancien propriétaire, Le Monnier.

Usage scientifique d’environ 1752 à aujourd’hui

Son utilisation par Le Monnier n’est que peu documentée.

A l’Observatoire de Paris, ce télescope a été utilisé principalement pour observer les satellites de Jupiter et leurs éclipses ou pour les occultations d’étoiles par la Lune. Ces observations sont publiées en regard des observations des passages d’étoiles réalisées à la lunette méridienne. Ces phénomènes pouvaient être utilisés par les voyageurs pour déterminer leur longitude en comparant leur observation à celle réalisée à Paris.

Alexis Bouvard (1767-1843), Claude-Louis Mathieu (1783-1875), François Arago (1786-1853) et Joseph-Nicolas Nicollet (1786-1843) ont publié des observations réalisées avec ce télescope à l’Observatoire de Paris entre 1805 et 1823.

L’instrument ne semble plus en service ensuite pour les observations régulières. L’astronome genevois Alfred Gautier (1793-1881) ne cite pas cet instrument dans ses articles descriptifs de l’Observatoire de Paris qui font suite à sa visite au début des années 1820 dans La bibliothèque universelle des sciences, belles-lettres et arts.

Quadrant de déclinaison (© Martina Schiavon / Frédéric Soulu)

Bureau des longitudes, Observations astronomiques faites à l’Observatoire impérial de Paris, en l’an XIII et XIV [1804 et 1805], Paris, Bachelier, 1805, 112p.

---, Observations astronomiques faites à l’Observatoire impérial de Paris pendant l’année 1806, Paris, Bachelier, 1806, 84p.

---, Observations astronomiques faites à l’Observatoire impérial de Paris pendant les années 1807 et 1808, Paris, Bachelier, 1808, 212p.

---, Observations astronomiques faites à l’Observatoire impérial de Paris, Paris, Bachelier, 1812, 296p.

---, Observations astronomiques faites à l’Observatoire royal de Paris, Paris, Bachelier, 1825, 182p.

--- Observations astronomiques faites à l’Observatoire royal de Paris. Tome 2, Paris, Bachelier, 1838, 150p.

Entretien, réparation

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Désinstallation, conservation

Le télescope figure dans l’inventaire des « Principaux instruments anciens » réalisé par Guillaume Bigourdan à l’Observatoire de Paris en 1895. Cette liste dressée par Bigourdan est celle des « principaux instruments anciens qui forment le Musée[6] ». Une photo plus récente de Jean Counil, au milieu du 20e siècle, présente cet instrument au sein du Musée de l’Observatoire de Paris, où il est toujours aujourd’hui (Inv. 104).



[1] Royal Society Archives, EC/1739/01.

[2] Lalande Jérôme, 1797, « Éloge de Pierre-Charles Le Monnier », Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, vol.16, p. 358.

[3] Lettre de Joseph-Nicolas Delisle à James Short, Paris, 13 octobre 1751, B1/6-171, Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.

[4] J. Short à [Le Monnier], Londres, 20 juillet 1752, B4/12 (15), Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.

[5] Une liste de ces télescopes a été publiée par Roph Willach en 2007 et est maintenue à jour par Yuri Petrunin (Willach 2007). 

[6] Bigourdan Guilllaume, 1895, « Inventaire général et sommaire des manuscrits de la bibliothèque de l’Observatoire de Paris », Annales de l’Observatoire de Paris – Mémoires, vol. 21, F.6.