Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Collaborer pour diffuser les éphémérides astronomiques de l’Université de Coimbra : Manuel Pedro de Melo et Jean-Baptiste Delambre

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Fernando B. Figueiredo

(CITEUC - Department of Mathematics - University of Coimbra - Portugal)

Traduit en français par Laurent Rollet

Publié le 15/09/2020

En 1801, Manuel Pedro de Melo (1765-1833), qui vient d’être nommé professeur sur la chaire d’hydraulique de la faculté de mathématiques de l’Université de Coimbra, est chargé d’un voyage scientifique de plusieurs mois dans plusieurs pays d’Europe. A Paris, il rencontre Jean-Baptiste Joseph Delambre et lui donne des informations de première main sur les Ephemerides astronomicas portugaises. Delambre fera une présentation de cette publication lors de la séance du Bureau des longitudes du 8 juin 1804 : « Le Bureau reçoit les éphémérides de Coimbre par M. Monteiro, dans lesquelles il y a des tables pour trouver les longitudes en mer, des tables de la planète de Mars, des distances de la lune à Jupiter, Mars et Vénus. »

Pedro de Melo avait obtenu son doctorat de mathématiques en 1795 à l’Université de Coimbra et il était depuis 1793 professeur à l’Académie de marine. Impliqué dans la réforme des curricula de mathématiques, qui avait débouché sur la création d’un cours d’astronomie pratique, il avait été nommé professeur d’université en hydraulique. L’objectif principal de son voyage était de préparer son nouvel enseignement : il s’agissait pour lui d’actualiser ses connaissances en hydrodynamique et en résistance des fluides et d’explorer leurs applications pratiques en se focalisant sur les travaux, les modèles et les machines hydrauliques.

Les instructions spécifiques du voyage avaient été rédigées par José Monteiro da Rocha (1734-1891), doyen de la faculté de mathématiques et directeur de l’Observatoire astronomique royal de l’Université de Coimbra. Celles-ci étendaient largement les champs disciplinaires du voyage, de Melo se voyant confier une enquête à la fois pédagogique et scientifique notamment dans le domaine de l’astronomie. Monteiro demandait à rassembler des informations sur les écoles dédiées à l’enseignement scientifique, d’étudier les méthodes et les manuels d’enseignement, de s’intéresser aux sociétés savantes et aux académies scientifiques, tout particulièrement aux observatoires astronomiques et à leurs équipements, tout particulièrement aux concepteurs, fabricants et marchands d’instruments. « Le voyage ne devra pas se limiter à une seule discipline mais sera étendu à l’astronomie, ainsi qu’aux visites d’observatoires et au recueil d’informations nouvelles[1] ». Monteiro avait spécifiquement recommandé à Manuel Pedro d’essayer les télescopes fabriqués par William Herschel (1738-1822) afin de déterminer s’il était utile de dépenser d’importantes sommes d’argent pour équiper l’Observatoire de Coimbra. Il lui avait aussi demandé d’aller rencontrer le fabricant d’instruments Etienne Lenoir (1744-1832), « qui, à Paris, commençait à jouir d’une réputation grandissante en tant que fabricant, et de se renseigner auprès de lui sur le prix et les conditions d’acquisition d’un petit cercle portatif, tel que celui utilisé par Pierre Méchain (1744-1804) pour la triangulation de Dunkerque, ainsi que pour l’achat d’un autre appareil identique à celui qui avait été construit pour l’Observatoire de Paris[2] ». Enfin, Monteiro avait expressément ordonné que Manuel Pedro de Melo obtienne des informations sur les observatoires de Greenwich, de Paris ainsi que celui de Seeberg dirigé par Franz Xaver von Zach (1754-1832), afin d’établir un protocole de correspondance entre ces observatoires et l’Observatoire de Coimbra.

En effet, cet observatoire, rattaché à l’Université de Coimbra, avait été inauguré en 1799, et prévoyait dans ses règlements l’organisation de voyages scientifiques à l’étranger tous les 10 ans afin de mettre à jour ses savoirs et pratiques, et d’établir des collaborations scientifiques. « Les observatoires étrangers devront être visité et leurs instruments étudiés. Des correspondances devront en outre être établies afin d’encourager les pratiques scientifiques collectives et le partage d’observations ». (Extrait du règlement de l’Observatoire astronomique de l’Université de Coimbra).

Les sciences astronomiques, l’hydrographie et la cartographie géographique étaient d’une importance vitale pour l’empire portugais, qui dépendait fortement de la sécurité des voies maritimes et commerciales. Ces enjeux avaient été centraux au moment de la création de l’observatoire royal. Les statuts de l’université prévoyaient dès 1772 l’organisation d’un observatoire astronomique mais celui-ci devait finalement être transformé en observatoire royal au moment de son inauguration en 1799. En réalité, tout l’activité scientifique de l’observatoire devait se centrer, dans les années suivantes, sur le calcul et la publication d’éphémérides astronomiques destinées à aider la Marine portugaise et les travaux cartographiques. « Elles [les éphémérides astronomiques] devront être déterminées pour l’usage seul de l’Observatoire (tout comme le font les autres observatoires importants) et pour l’usage de la Marine portugaise[3] ».

Le calcul des éphémérides demandait un nombre très important d’observations astronomiques en lien avec un travail théorique de fond. Le premier volume des éphémérides astronomiques de Coimbra fut publié en 1803 par les Presses de l’Université de Coimbra au moment où Pedro de Melo était déjà en voyage. Il donnait des données astronomiques pour 1804, soit 12 pages pour chaque mois avec la position du Soleil, de la Lune, des planètes ainsi que les distances lunaires. Les éphémérides de Coimbra avaient quelques particularités innovantes par rapport à leurs congénères françaises, Connaissance des temps, et britanniques, Nautical Almanach[4].

Malheureusement on ne dispose que de rares informations sur le très long voyage de Pedro de Melo. Ainsi, il est pratiquement impossible de savoir s’il suivit véritablement les instructions de Monteiro da Rocha. Il voyagea dans de nombreux pays européens tels que l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie ou encore le Danemark et qu’il passa l’essentiel de ses 14 années d’absence à Paris. Il ne reviendra au Portugal qu’en 1815, essentiellement à cause de la Guerre d’indépendance de l’Espagne et des invasions napoléoniennes[5]. En revanche, on sait avec certitude que Pedro de Melo était bien installé au sein de la communauté scientifique et culturelle parisienne[6].

À Paris, il assista à quelques cours au Collège de France[7], et travailla avec Joseph Delambre à l’Observatoire de Paris. Cette collaboration avec l’astronome français fut très étroite, notamment pour le traité Astronomie théorique et pratique (Delambre, 1814)[8]. Et c’est sur cette base que Delambre s’avéra capable de faire une lecture critique attentive des éphémérides de l’Observatoire astronomique de l’Université de Coimbra et de certains des travaux de Monteiro da Rocha qu’elles contenaient. Cette collaboration permit également à Delambre, à partir de la séance du 8 juin 1805, de faire des rapports réguliers aux membres du Bureau des longitudes sur la structure et les contenus de ces éphémérides.

Delambre devait aussi publier plusieurs comptes rendus dans la Connaissance des temps[9]. Les deux premiers portaient sur les quatre premiers volumes des éphémérides de Coimbra. Dans son compte rendu pour 1809 Delambre accordait une attention spéciale au mémoire du calcul de l’éclipse publié sommairement dans le premier volume des éphémérides portugaises puis démontré et développé ensuite dans le quatrième volume. Delambre rendait ainsi hommage aux innovations introduites par Monteiro da Rocha dans le calcul et l’organisation des éphémérides et saluait la présence de nombreuses tables auxiliaires dans les deux premiers volumes dont l’utilisation facilitait grandement les calculs.

En 1808, Manuel Pedro de Melo publia à Paris les Mémoires sur l'Astronomie Practique (Monteiro da Rocha, 1808). Il s’agissait d’une traduction de quatre mémoires de Monteiro da Rocha publiés initialement dans les éphémérides de l’observatoire astronomique de l’Université de Coimbra[10]. Dans la Connaissances des temps pour 1810, Delambre écrivait qu’ils méritaient d’être traduits et publiés en français : « Les Mémoires que nous annonçons, ont paru dans les Éphémérides de Coimbre, et nous avons déjà parlé du plus considérable, dont nous avons donné un extrait détaillé dans la Connaissance des Tems de l’an 1809 ; mais nous n’avons pu rapporter que les formules les plus importantes, et nos lecteurs seront sans doute curieux d’en connaitre les démonstrations. Le traducteur, M. de Mello, a pensé, avec beaucoup de raison, que ces Mémoires méritaient d’être répandus encore davantage, et il les présente réunis dans une langue plus universellement connue » (Connaissance des temps pour l’an 1810, 1808, p. 471). Plus tard, Delambre devait introduire certains résultats obtenus par Monteiro da Rocha sur le réticule rhomboïdal dans son Astronomie Théorique et Pratique (Delambre, 1814, pp. 114, 439)[11].



[1] Lettre de Monteiro da Rocha à Francisco de Lemos, recteur de l’université (30-8-1801), in : (Teixeira, 1888).

[2] Ibidem

[3] Règlement de l’Observatoire royal de l’Université de Coimbra.

[4] À la différence de la Connaissance des temps ou du Nautical Almanach, qui prenaient pour référence de leur calcul le soleil vrai, elles étaient calculées en prenant pour référence le soleil moyen ; elles utilisaient les mesures à 360° au lieu de l’unité largement répandue et proposaient les distances lunaires non seulement par rapport au Soleil et aux étoiles mais aussi par rapport aux planètes Mars, Jupiter et Saturne. Pour en savoir plus, voir : (Figueiredo, 2017).

[5] Les dernières années de vie de Pedro de Melo devaient s’avérer très difficiles. Défendant des idées libérales, il dut vivre dans la clandestinité en raison des persécutions subies durant la guerre civile (1828‑1834). Par ailleurs une grande partie de ses papiers et de ses mémoires disparurent lors de l’incendie de sa maison en 1821. Il mourut en 1833, à Ventosa do Bairro (Mealhada), un petit village près de Coimbra.

[6] Un des rares documents à avoir survécu est une lettre de Manuel Pedro de Melo adressée à Francisco Miranda, le garde et conservateur des instruments de l’Observatoire astronomique de l’Université de Coimbra, en 1817. (Melo, Manuel Pedro, ‘Sr. José Joaquim de Miranda’, (21.8.1817, Cacilhas, Lisboa). Archives de l’observatoire astronomique de l’Université de Coimbra). Dans cette lettre, Pedro de Melo fait des remarques assez critiques au sujet des fabricants français d’instruments. Une étude de cette lettre a été présentée lors du colloque SIC2015 meeting (Figueiredo, 2015).

[7] L’enseignement de mathématiques y était assuré par François Sylvestre Lacroix (1815-1843) ; le cours d’astronomie était fait par Jérôme de Lalande (1768-1807) et par Delambre (1807-1822). Le cours de physique était dispensé par Jean-Baptiste Biot (1801-1862).

[8] Michelle Chapront-Touzé (1998) a ainsi identifié dans les archives de Delambre un ensemble de documents attestant cette collaboration étroite.

[9] Dans les volumes pour 1808 (Paris, 1806), pp. 454‑457 ; 1809 (Paris, 1807), pp. 459‑483 ; 1810 (Paris, 1808), pp. 471‑475.

[10] Mémoire sur l'usage du Réticule Rhomboïdal (pp. 1‑16) ; Mémoire sur l'usage de l'Instrument des Passages (pp. 17‑29) ; Nouvelle méthode sur le calcul des Éclipses sujettes aux effets des parallaxes (pp. 30‑120) ; Exposition des méthodes particulières employées dans les calculs des Éphémérides de Coimbra (pp. 121‑164).

[11] Dans les années 1810, ce traité, ainsi que celui de Biot – Traité Élémentaire d’Astronomie Physique (1810-11) – fut adopté pour l’enseignement de l’astronomie à la faculté de mathématiques.


Bibliographie 

Chapront-Touzé Michelle (1998). « Inventaire des archives manuscrites du Bureau des longitudes », Alidade.

Delambre Jean-Baptiste (1814). Astronomie théorique et pratique, Paris, Courcier.

Figueiredo Fernando B. (2015). « A letter (1817) by Manuel Pedro de Melo (1765-1833) about some astronomical instruments for the Royal Astronomical Observatory of the University Of Coimbra », Instruments in Conflict Turin.

Figueiredo Fernando B. (2017). « Astronomical and Nautical Ephemerides in late 18th century Portugal », dans Schiavon M., Rollet L. (dirs.), Pour une histoire du Bureau des longitudes (1795-1932), Nancy, Presses universitaires de Nancy – Éditions universitaires de Lorraine (Collection « Histoire des institutions scientifiques »), p. 147‑173.

Monteiro da Rocha Joseph (1808). Mémoires sur l’astronomie pratique, Paris, Courcier.

Teixeira A. (1888). « Cartas do Dr. José Monteiro da Rocha a D. Francisco de Lemos de Faria Pereira Coutinho », dans O Instituto, 37, p. 56.