Les procès-verbaux du Bureau des longitudes

Armand Lambert (1880-1944), astronome à l’Observatoire de Paris, assassiné à Auschwitz

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Colette Le Lay

(Centre François Viète - Université de Nantes)

Publié le 30/11/2021

Membres de l'Observatoire de Paris dans un bureau (titre forgé)

Irénée Lagarde (?), Edmée Chandon, Rose Bonnet, Armand Lambert et Raymonde Chevallier (Source : Bibliothèque de l'Observatoire de Paris, Inv.I.1928)

Dans mon travail sur les femmes du corps des astronomes de l’Observatoire de Paris, j’ai rencontré à de nombreuses reprises le nom d’Armand Lambert, avec lequel elles collaborent.

Son destin tragique m’a interpelée. Voici un bref rappel de quelques étapes de sa vie abrégée par la barbarie nazie secondée par le régime de Vichy.

Il est cité à de multiples occasions dans les procès-verbaux du Bureau des longitudes et participe parfois aux séances (comme le 16 mai 1923). Il sera élu membre correspondant en 1937. Je retiens, à titre d’exemple, quatre mentions qui couvrent une partie de la vaste étendue de ses travaux.

Le 7 décembre 1921, son implication dans la détermination de la différence de longitude entre Paris et Nice est évoquée. Par la suite, Lambert participera aux deux Opérations mondiales des Longitudes, en 1926 et 1933. Le Bureau des longitudes le charge de la centralisation des mesures des 42 stations lors de la première entreprise. Il sera chef de la mission d’Alger lors de la seconde.

Le 28 décembre 1922, Henri Andoyer fait hommage à ses collègues du Bureau des longitudes de son Cours d’astronomie, précisant que le tome I a bénéficié des apports d’Armand Lambert. Dans sa notice nécrologique, Nicolas Stoyko, qui fut son collègue, nous rappelle que Lambert fut choisi par Andoyer en 1919 pour assurer les conférences d’astronomie et les travaux pratiques de la Sorbonne.

Le 13 juin 1923, le procès-verbal fait état de la comparaison de 4 instruments méridiens de l’Observatoire. Rattaché au service méridien dès ses débuts à l’Observatoire, Lambert en sera nommé chef de service en 1927.

Le procès-verbal du 4 juillet 1923 s’arrête sur le service de l’heure dont Lambert est aussi une pièce maîtresse, devenant directeur exécutif du Bureau international de l’heure à partir de 1929. Il est le premier à publier « l’heure définitive », formée à partir des données de plusieurs observatoires. Son article intitulé « Le Bureau international de l’Heure – son rôle, son fonctionnement » dans l’Annuaire du Bureau des longitudes pour 1940, est remarquable de précision et de clarté.

Ces quatre procès-verbaux illustrent quelques facettes de l’activité inlassable de Lambert à l’Observatoire, récompensée par trois prix de l’Académie des sciences :

  • 1915 : Prix Valz pour l’ensemble de ses travaux d’observation et de ses recherches théoriques ;
  • 1926 : Prix Lalande pour son Catalogue des étoiles fondamentales de l’Observatoire de Paris ;
  • 1935 : Prix Pierre Guzman pour l’ensemble de ses travaux.
Armand Lambert

Portrait d'Armand Lambert (Source : Bibliothèque de l'Observatoire de Paris, Inv.I.1486)

Sa carrière est exemplaire, couronnée par la Légion d’honneur en 1931. Agrégé de mathématiques (1905), il entre à l’Observatoire à titre d’élève en 1906, soutient sa thèse Sur le développement de la fonction perturbatrice des planètes en 1907, est nommé astronome adjoint en 1908 (sans passer par la case « aide-astronome ») et astronome titulaire en 1930. Notons que deux membres éminents du Bureau des longitudes, Henri Poincaré et Paul Appell, siègent dans son jury de thèse. La liste bibliographique de ses publications dressée par Nicolas Stoyko ne compte pas moins de 52 items.

Armand Lambert est juif. Les lois raciales du régime de Vichy provoquent sa radiation des cadres de l’Observatoire en 1941. Mais, ancien soldat de la Première Guerre mondiale, il se croit à l’abri des poursuites et refuse la proposition du directeur de l’Observatoire Ernest Esclangon qui l’invite à se réfugier dans sa maison de Dordogne. Armand Lambert arbore l’étoile jaune et continue son travail au Bureau international de l’heure jusqu’à son arrestation à son domicile au 99 boulevard Arago à Paris, le 21 août 1943. Il est livré aux Allemands par la police française. Après un bref internement à Drancy, il est convoyé dès le 2 septembre 1943 à Auschwitz où il est assassiné le 15 août 1944. Le général Georges Perrier (1872-1946), membre du Bureau des longitudes et de l’Académie des sciences, qui avait apprécié les qualités de Lambert lors de la seconde Opération mondiale des Longitudes qu’il dirigeait, tenta en vain d’intervenir en sa faveur dans une protestation adressée au maréchal Pétain et signée de tous les membres de l’Académie des sciences. Le directeur de l’Observatoire écrivit au ministre de l’Éducation nationale en insistant sur la gestion internationale du Bureau de l’heure et en précisant qu’Armand Lambert « n’est actuellement pas remplaçable »[1]. Les deux démarches n’eurent aucun écho. Bien que l’espoir de le revoir vivant ait été quasiment réduit à néant à la libération des camps, ce n’est qu’en 1946 que l’Observatoire se vit confirmer la fin tragique d’Armand Lambert.



[1] Merci à Christophe Eckes qui m’a communiqué cette lettre conservée à la bibliothèque de l’Observatoire de Meudon sous la cote 02 AO 40.